Cash en circulation : comment réduire sa dominance ?

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Éducation : le ministère accélère la régularisation des fonctionnairesDes billets d'agent © DR

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Le Maroc fait face à un défi économique majeur : le volume d’argent liquide en circulation connait une envolée spectaculaire. Avec un taux atteignant près de 30% du PIB, le Royaume se distingue par l’une des plus fortes dépendances au cash au monde. Une situation complexe qui nécessite une transition vers des solutions de paiement digital pour améliorer la transparence et l’efficacité économique.

Lors de la deuxième réunion trimestrielle du Conseil de Bank Al-Maghrib (BAM) pour l’année 2024, le wali de BAM, Abdellatif Jouahri, a souligné l’urgence de renforcer l’éducation financière et de promouvoir l’adoption du digital dans les transactions financières. Cette démarche vise à répondre à une préoccupation croissante : la hausse de la circulation fiduciaire dans l’économie marocaine. Jouahri a révélé que le niveau de cash en circulation au Maroc représente environ 30% du PIB, l’un des taux les plus élevés au monde, soulignant l’importance de passer par le canal digital pour lutter contre ce fléau.

Pour mieux comprendre les défis et les solutions potentiels à cette problématique, nous avons interrogé l’économiste Driss Aissaoui. Dans cet entretien, il nous éclaire sur les facteurs économiques et sociaux qui expliquent la forte préférence des Marocains pour l’utilisation du cash et propose des pistes pour encourager l’adoption des transactions digitales.

Lire aussi : Bank Al-Maghrib réduit son taux directeur à 2,75%

LeBrief : Quels sont, selon vous, les facteurs économiques et sociaux qui expliquent la forte préférence pour l’utilisation du cash au Maroc, une tendance qui préoccupe les autorités monétaires ?

Driss Aissaoui : La forte préférence pour l’utilisation du cash dans les échanges quotidiens au Maroc est un phénomène très préoccupant, aussi bien pour Bank Al-Maghrib que pour les opérateurs économiques et financiers. Ce phénomène est probablement lié à plusieurs facteurs, principalement sociaux.

Tout d’abord, le taux élevé d’analphabétisme est un facteur clé. L’analphabétisme pousse les gens à préférer le cash plutôt que les cartes de paiement, les cartes de crédit, ou les comptes bancaires. Car ces moyens de paiement nécessitent un minimum de formation que beaucoup de citoyens marocains ne possèdent pas. Pour eux, utiliser les moyens de paiement modernes est perçu comme un luxe.

Sur le plan économique, il est souvent impossible de payer le prix d’un immeuble, d’un appartement ou d’un terrain agricole avec des moyens de paiement classiques. L’utilisation des chèques ou autres moyens modernes de paiement nécessite une capacité financière et une confiance dans ces systèmes que beaucoup de Marocains n’ont pas encore développée. Bien que certaines personnes aient commencé à adopter les moyens de paiement modernes, ce phénomène reste récent et insuffisant pour en faire une norme généralisée.

Ce manque d’adoption des moyens de paiement modernes est une source de préoccupation pour les autorités économiques et financières. À l’avenir, avec une meilleure éducation et une plus grande confiance dans les systèmes financiers, les Marocains pourront gérer leurs finances de manière plus moderne. Cela se fait déjà dans d’autres pays africains où la téléphonie mobile est utilisée pour les transferts d’argent. Au Maroc, cette transition vers des moyens de paiement digitaux n’est pas encore pleinement réalisée.

LeBrief : Quels sont les principaux obstacles à l’adoption des transactions digitales au Maroc ?

Driss Aissaoui : Il faut d’abord alphabétiser de manière systématique toute la population et passer par une phase d’alphabétisation financière et économique, ce qui est bien plus complexe. Le facteur essentiel est la prise de conscience par les gens de leur identité et de la manière dont ils doivent se comporter et gérer leurs besoins en financement et en utilisation de moyens économiques et financiers. Cependant, cela reste également lié à la capacité de la société marocaine à évoluer.

LeBrief : Comment le gouvernement et les institutions financières peuvent-ils encourager l’utilisation des services financiers digitaux ?

Driss Aissaoui : Il est extrêmement difficile de dire précisément comment le gouvernement et les institutions financières peuvent inciter à l’utilisation des services financiers digitaux. Bien que la volonté existe et que des premières initiatives aient été prises par le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) et par plusieurs banques, nous faisons face à des défis persistants.

Le principal problème réside dans le faible niveau d’alphabétisation de la population. Beaucoup de personnes ne savent ni lire ni écrire, et encore moins utiliser les réseaux sociaux ou les services financiers digitaux. Cela nécessite une prise de conscience de la société marocaine sur l’importance de savoir gérer ses finances de manière moderne.

Actuellement, les Marocains utilisent les services digitaux principalement pour échanger des informations, souvent des fake news, ou pour se divertir, plutôt que pour effectuer des transactions financières. Pour que les services financiers digitaux se diffusent largement, il faut que la société marocaine évolue dans sa perception et son utilisation des outils digitaux, en comprenant mieux comment ces moyens peuvent améliorer la gestion de leurs ressources financières.

LeBrief : Quel serait l’impact sur l’économie marocaine si la circulation fiduciaire était réduite grâce à une adoption accrue du digital ?

Driss Aissaoui : Aujourd’hui, le digital est principalement utilisé pour le divertissement, bien que les technologies digitales soient déjà présentes parmi nous. À l’avenir, nous nous retrouverons dans une situation très différente de celle que nous connaissons actuellement. À un moment donné, nous atteindrons une masse critique où nous serons tous obligés de vivre selon la logique du digital et des technologies associées.

La réduction de la circulation fiduciaire entraînera une utilisation accrue des moyens de paiement digitaux. Cela ne posera aucun problème, car nous serons contraints de nous adapter à cette nouvelle réalité. Pour le Royaume du Maroc, qui connaît de nombreuses évolutions positives, il faudra encore un peu de temps avant de constater des changements significatifs. Cependant, une adoption accrue du digital contribuera à moderniser l’économie, à améliorer l’efficacité des transactions financières et à réduire les coûts liés à la gestion du cash.

LeBrief : Comment peut-on augmenter la confiance des citoyens marocains dans les systèmes de paiement digital ?

Driss Aissaoui : La réponse à cette question est relativement simple. Pour augmenter la confiance des citoyens marocains dans les systèmes de paiement digital, il faut atteindre une masse critique d’utilisateurs où ces systèmes deviendront la norme. À ce stade, les problèmes d’analphabétisme seront atténués, car l’usage des paiements digitaux sera intégré dans le fonctionnement quotidien de la société.

La clé réside donc dans la sensibilisation et l’éducation. Les citoyens doivent être informés sur la sécurité et les avantages des paiements digitaux. En parallèle, les gouvernements et les institutions financières doivent garantir la sécurité des transactions et protéger les données personnelles des utilisateurs. À mesure que les gens verront les bénéfices concrets et constateront la fiabilité des systèmes, leur confiance augmentera naturellement.

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