Stations-service : un secteur au bord de la crise

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Stations-service : un secteur sous pression et au bord de la criseUne sation-service © DR

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Rien ne va plus entre Leila Benali et les professionnels des stations-service. Excédés par ce qu’ils dénoncent comme une « surdité administrative », les gérants ont refusé de participer à la réunion de ce vendredi et menacent de durcir le ton. Les détails.

Le climat dans le secteur des hydrocarbures au Maroc se tend. La Fédération nationale des propriétaires, commerçants et gérants de stations-service (FGNPS) a annoncé le 24 septembre dernier son intention de boycotter la réunion convoquée par le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable, initialement prévue le 26 septembre. Une décision motivée par le sentiment de frustration et de méfiance vis-à-vis de la tutelle, accusée de « surdité administrative » et d’inaction face aux problèmes persistants du secteur.

Des problèmes structurels qui fragilisent le secteur

Les professionnels des stations-service dénoncent depuis plus d’un an un manque de réponse de la part du ministère de la Transition énergétique et du Développement durable, estimant que la tutelle ne prend pas en compte les problèmes structurels du secteur. Ces derniers, selon eux, mettent en péril la viabilité économique de nombreuses stations et exposent la population à des risques sérieux.

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Au cœur de ces préoccupations figurent les ventes hors stations-service, un phénomène de plus en plus répandu qui fragilise la rentabilité des exploitants légaux. Ces ventes, parfois réalisées par des acteurs non agréés, échappent aux règles fiscales et environnementales et concurrencent directement les stations officielles. À cela s’ajoutent les abus imputés à certaines compagnies pétrolières vis-à-vis de leurs franchisés, notamment à travers des conditions contractuelles jugées déséquilibrées. Selon les professionnels, ces pratiques accentuent la précarité des petites structures et amplifient les tensions au sein du secteur.

Mais ce n’est pas tout. La FGNPS tire également la sonnette d’alarme sur l’essor d’un marché parallèle du carburant, qualifié de « marché noir légal ». Des stations fixes sont transformées en points de vente mobiles sur roues, tandis que des dépôts clandestins stockent du carburant sans respecter les normes de sécurité. Des circuits d’approvisionnement opaques se développent, échappant au contrôle des autorités et favorisant des pratiques illégales. Ces dérives ne sont pas seulement économiques : elles constituent un danger réel pour les riverains et les salariés des stations, exposés à des installations potentiellement inflammables et non sécurisées.

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Sur le plan économique, la situation est tout aussi préoccupante. Les professionnels dénoncent des marges compressées par des écarts tarifaires jugés injustes. Les ventes aux gros clients bénéficient de prix préférentiels, tandis que les stations indépendantes n’obtiennent que des réductions limitées. Résultat : certaines petites structures se retrouvent dans l’incapacité de rivaliser, avec le risque de fermetures en série et de faillites. À cela s’ajoute une prolifération de stations-service sur le territoire, assimilée à une « bombe à retardement » par les gérants. Le secteur est décrit comme saturé, concurrentiel au point de devenir invivable et menacé de crise ou de sclérose économique.

Le ministère tente de répondre à ces enjeux en mettant en avant le programme de marquage des produits pétroliers, qui vise à garantir la traçabilité du carburant et à lutter contre les fraudes. Chaque produit devrait être identifiable grâce à un traceur chimique spécifique, avec un suivi assuré par des laboratoires sélectionnés par appel d’offres. Mais pour les professionnels, ce dispositif reste largement théorique. Faute d’infrastructures opérationnelles et de laboratoires équipés, la traçabilité ne pourra résoudre les problèmes fondamentaux du secteur. L’urgence, selon eux, n’est pas le marquage mais la lutte contre l’expansion d’un marché parallèle qui échappe à toute règle.

Un boycott et des actions de protestation envisagées

Face à cette situation, la Fédération a décidé de passer à l’action. Dans son dernier communiqué, elle a annoncé le boycott de la réunion de ce vendredi initialement destinée à discuter du programme de marquage des produits pétroliers. Pour la FGNPS, cette rencontre ne peut constituer une priorité tant que les problèmes structurels du secteur restent sans réponse. La Fédération se pose comme l’unique représentant légitime et légal des professionnels et estime que toute décision prise sans sa participation n’aurait aucune légitimité, ni morale ni politique.

La menace est claire : si le ministère persiste à ignorer ses doléances, la Fédération envisage un calendrier d’actions de protestation. Parmi celles-ci figurent un sit-in devant le siège de la tutelle à Rabat et, surtout, un appel à la grève générale des stations-service, dont la date sera annoncée ultérieurement. Un tel mouvement pourrait avoir des conséquences importantes sur l’approvisionnement en carburant, dans un contexte déjà marqué par la volatilité des prix à la pompe et la pression de l’opinion publique sur la régulation du secteur.

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Les professionnels regrettent par ailleurs que le dialogue institutionnel reste quasi inexistant. Depuis plus d’un an, la Fédération a adressé de nombreuses correspondances au ministère pour obtenir des réponses sur les ventes hors réseau, les conditions contractuelles et les déséquilibres du marché, mais celles-ci sont restées largement sans suite.

Cette crise révèle également un enjeu politique sensible. Le ministère tente d’affirmer son rôle de régulateur dans un secteur dominé par un petit nombre de grands distributeurs, mais la défiance des gérants indépendants illustre le fossé entre les orientations gouvernementales et la réalité quotidienne. Si aucune solution concrète n’est trouvée, le pays pourrait se retrouver face à une épreuve de force sociale, dont les automobilistes seraient les premiers impactés.

En attendant la réponse du ministère, les professionnels maintiennent leur position et se préparent à défendre leur réseau. La balle est désormais dans le camp de la tutelle, qui doit choisir entre dialogue et fermeté.

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