Quelle est la région la plus polluée du Maroc ?
Drâa-Tafilalet © DR
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Face à la montée des préoccupations environnementales à l’échelle mondiale, l’exemple de Drâa-Tafilalet au Maroc incarne une alerte urgente. Alors que l’on s’attendrait à retrouver les pires taux de pollution atmosphérique dans des centres urbains denses comme Casablanca ou Tanger, c’est dans cette région aride, peu peuplée, que l’air est devenu le plus toxique du pays.
Les dernières mesures de l’indice de qualité de l’air (AQI) y culminent à 286, une valeur classée comme « dangereuse » selon les standards de l’OMS. Ce cas singulier, loin d’être isolé, illustre les mécanismes d’un effondrement systémique où se conjuguent climat, économie, hydrologie et décisions humaines. Drâa-Tafilalet est aujourd’hui bien plus qu’un territoire marginalisé : c’est un miroir anticipé de ce que pourraient devenir d’autres régions face à l’échec de l’adaptation climatique.
Une spirale climatique et minière
Le cœur de la dégradation environnementale dans la région réside dans la conjonction de deux forces : l’intensification des changements climatiques et l’expansion incontrôlée de l’activité minière. Depuis 2005, les relevés montrent une hausse continue des événements de pollution atmosphérique, avec une explosion des journées où l’indice AQI dépasse le seuil de 150 (qualité de l’air « malsaine »). Cette tendance s’est encore accélérée à partir de 2018, marquant l’entrée dans une phase de saturation où les épisodes dangereux se multiplient.
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Les chiffres sont édifiants. En 2005, l’AQI moyen tournait autour de 45, un niveau encore jugé « bon ». Vingt ans plus tard, il a grimpé à 286. En parallèle, la région a vu l’intensité de ses activités minières s’envoler, avec un taux de corrélation quasi parfait entre l’augmentation de cette intensité et la dégradation de l’air. Les mines d’Imiter (argent) et de Bou Azzer (cobalt et or) concentrent l’essentiel de cette pression. Depuis 2016, plus de 350 permis d’exploitation ont été délivrés, soit 40% de l’ensemble national sur cette période.
Les méthodes d’extraction, notamment les tranchées à ciel ouvert, dégradent les sols, libèrent de grandes quantités de particules fines et détruisent les rares couverts végétaux capables de stabiliser la poussière. Ce que les industriels présentent comme une optimisation productive est, pour les experts en environnement, une source majeure de déséquilibres irréversibles.
Eau, poussière et effondrement
L’un des aspects les plus critiques du cas Drâa-Tafilalet réside dans l’interdépendance entre la dégradation des sols, la pénurie d’eau et l’augmentation des poussières en suspension. La région souffre d’une baisse marquée des précipitations et d’une hausse continue des températures. Cette évolution, couplée à la surexploitation des nappes phréatiques, provoque l’assèchement progressif des oasis, notamment celle de Tafilalet, historiquement considérée comme la plus vaste du monde.
En contexte normal, les oasis agissent comme des régulateurs naturels : elles captent l’eau, stabilisent le sol et créent des microclimats. Mais à mesure que le couvert végétal disparaît, les sols deviennent poussiéreux et vulnérables au vent. Le phénomène s’auto-alimente : moins d’eau entraîne moins de végétation, plus de poussières, ce qui réduit la capacité des barrages à stocker l’eau à cause de l’envasement, aggravant encore la sécheresse.
Cette boucle est amplifiée par le fait que la poussière en excès peut inhiber la formation de pluie en créant des nuages contenant trop de gouttelettes fines pour qu’elles tombent en précipitations effectives.
Autrement dit, la région entre dans une dynamique d’effondrement hydrologique : les infrastructures conçues pour amortir les sécheresses deviennent elles-mêmes inefficaces, voire obsolètes, face aux nouvelles réalités climatiques.
Des choix rationnels, des conséquences irrationnelles
Si les pressions environnementales jouent un rôle majeur, elles ne sont pas seules à l’origine de la situation. Les décisions humaines, souvent logiques au niveau individuel, sont au cœur du problème. À titre d’exemple, un agriculteur dont les rendements diminuent peut être tenté de défricher plus de terrain pour compenser les pertes, aggravant l’érosion. Un élu local, confronté au déclin de l’agriculture, peut approuver un projet minier pour créer des emplois et des recettes fiscales. Mais en faisant cela, il accentue l’épuisement des ressources, la pollution et le stress social.
Selon les études récentes, environ 25% des émissions de poussières dans la région sont désormais directement attribuables à des activités humaines : déforestation, dégradation des sols, mauvaise gestion de l’eau. C’est là que le modèle de développement montre ses limites. Ce que l’on observe n’est pas un accident, mais bien la somme d’actions rationnelles isolées, produisant un résultat collectif catastrophique.
La notion de « capitalisme extractif » prend ici tout son sens. Dans ce modèle, la valeur est produite par l’extraction maximale des ressources naturelles, sans considération suffisante pour les conséquences écologiques ou sociales. La région de Drâa-Tafilalet, éloignée des centres de pouvoir, est perçue comme un réservoir à exploiter, plutôt qu’un territoire à préserver.
Au bord de la rupture systémique
Le cas de Drâa-Tafilalet dépasse le cadre marocain : il illustre les dynamiques d’effondrement qui guettent de nombreuses régions dans le monde. Les chercheurs parlent de « seuils critiques » ou « effets de bascule » : des moments où un système ne peut plus absorber les chocs et bascule dans un nouvel état, moins favorable, voire inhabitable. L’oasis de Tafilalet en est l’exemple parfait. Tant que les nappes phréatiques étaient régulièrement rechargées, que les températures restaient modérées et que les pratiques agricoles traditionnelles perduraient, l’équilibre était maintenu. Mais ce n’est plus le cas.
La transformation actuelle n’est pas linéaire. Elle ressemble plutôt à une montée progressive du niveau d’eau qui, soudain, fait céder le barrage. Une fois passé un certain point, le retour en arrière devient impossible. Et même si des politiques de restauration étaient engagées aujourd’hui, elles auraient peu de chances de retrouver les équilibres anciens, tant les dégradations sont profondes.
Le piège est celui de la complexité. Contrairement à un problème technique isolé, que l’on peut résoudre avec une solution précise, la situation actuelle combine de multiples facteurs qui interagissent : climat, économie, hydrologie, santé publique, gouvernance locale, etc. Une action sur un seul levier, comme mieux réglementer les mines, ne suffira pas si l’eau continue de manquer ou si les conditions climatiques se détériorent. C’est ce qu’on appelle le « piège de complexité » : plus les problèmes s’aggravent, moins les réponses isolées sont efficaces.
L’histoire environnementale de Drâa-Tafilalet n’est ni une fatalité, ni une exception. Elle constitue plutôt un signal d’alarme, un scénario-test grandeur nature de ce à quoi peuvent ressembler les défaillances d’adaptation climatique. Ce territoire, autrefois façonné par des siècles d’ingéniosité humaine dans des conditions hostiles, est aujourd’hui pris dans une spirale de décisions extractives, de pressions naturelles et de failles systémiques.
Face à cette réalité, la question qui se pose n’est plus « comment limiter les dégâts ? » mais « est-il encore temps d’éviter un point de non-retour ? ». Le défi ne concerne pas uniquement Drâa-Tafilalet, mais l’ensemble des territoires situés à la frontière des limites planétaires. Car si l’on échoue à en tirer les leçons, d’autres régions subiront tôt ou tard le même sort.
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