TPE-PME : 12 MM de DH promis… mais à qui profite le fric ?

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Akhannouch préside une réunion sur l’approvisionnement en eau potable et l’irrigationAziz Akhannouch © DR

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Alors que le gouvernement marocain annonce fièrement une nouvelle enveloppe de 12 MM de DH pour soutenir les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME), un vent de scepticisme souffle déjà sur cette mesure. Présentée comme un levier stratégique pour dynamiser le tissu économique national, cette aide risque pourtant, selon la Confédération marocaine des TPE-PME, de suivre le chemin bien connu du favoritisme envers les grandes entreprises. Décryptage d’un soutien qui pourrait ne jamais atteindre ceux qui en ont le plus besoin.

Le décret n°2.35.342, adopté ce jeudi 10 avril par le conseil de gouvernement marocain, était censé incarner une bouffée d’oxygène pour les très petites et moyennes entreprises (TPE-PME), colonne vertébrale de l’économie nationale. À la clé : 12 MM de DH alloués dans le cadre de la nouvelle charte d’investissement. Une initiative saluée sur le papier, mais qui suscite d’ores et déjà des inquiétudes quant à sa réelle destination. La Confédération marocaine des TPE-PME tire la sonnette d’alarme. Dans un communiqué, elle dénonce des conditions d’éligibilité qui excluraient, de fait, les très petites structures du tissu économique. Une répartition jugée inéquitable, qui risquerait une fois de plus de favoriser les grands groupes industriels sous l’égide du patronat.

Des critères exclusifs et contraignants

Au cœur de la contestation, «la fourchette de chiffre d’affaires retenue pour définir les entreprises éligibles au soutien se situe entre 1 M et 200 M de dirhams». Une tranche qui, selon la confédération, laisse sur de carreaux une multitude de TPE, qui peinent à dépasser les seuils requis. «Ces critères excluent clairement les TPE», martèle le communiqué.

Et pour cause, ces dernières, encore convalescentes après les ravages de la pandémie de Covid-19, doivent aussi faire face à une inflation persistante, aux répercussions de sept années consécutives de sécheresse, à la hausse du taux directeur et à la fin des programmes de financement comme «Intilaka» ou «Forsa». Autant de chocs accumulés qui fragilisent ces entreprises cruciales pour la création d’emplois et le développement local.

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Ce n’est pas la première fois que les intentions gouvernementales se heurtent à une réalité plus opaque. Dans ce sens, le communiqué de la confédération dresse un parallèle avec les 13 MM de DH qui avaient récemment été débloqués pour soutenir l’importation de bétail. Un fonds détourné de son objectif initial, selon l’organisation.

Même schéma pour les 340 MM de DH alloués aux investissements publics en 2025. Là encore, la confédération dénonce «une captation quasi-totale par les grandes entreprises, en dépit d’une législation imposant une réserve de 20% aux TPE-PME sur les marchés publics». Selon la confédération, «ce manquement persiste depuis 2013 en l’absence de décrets d’application que le gouvernement refuse de publier».

La charte d’investissement, une promesse en trompe-l’œil ?

Le soutien de 12 MM de DH, présenté comme un pilier de la nouvelle charte d’investissement entrée en vigueur en 2023, s’inscrit donc dans un contexte où la méfiance domine. Face à cela, la confédération accuse «les grandes entreprises d’en avoir déjà accaparé les premiers bénéfices, avant même que les plus petites structures n’aient pu en percevoir l’impact».

Ce sentiment d’injustice s’appuie sur un constat : malgré les déclarations d’intention, les mécanismes de soutien manquent cruellement de transparence et d’inclusivité, rapporte la même source. Les TPE, en marge des circuits décisionnels, peinent à faire entendre leur voix. «Nous n’avons pas été consultés lors des préparatifs de classification des entreprises éligibles», souligne la confédération, qui déplore une marginalisation systémique.

Lire aussi: BAM lance un programme de soutien au financement des TPE

Face à ces dérives présumées, l’organisation propose une série de mesures urgentes. D’abord, une révision immédiate des critères d’éligibilité afin d’assurer une meilleure représentativité des très petites structures. Ensuite, l’intégration de la confédération dans les comités régionaux d’investissement, pour éviter les processus à huis clos qui alimentent les soupçons.

Autre exigence majeure : la mise en place de mécanismes de contrôle indépendants et transparents, pour éviter que les fonds publics ne soient captés par une minorité d’acteurs déjà favorisés. Enfin, la confédération appelle à l’organisation d’un débat national sur le soutien aux TPE-PME, trop souvent reléguées au second plan malgré leur rôle clé dans la résorption du chômage et l’ancrage territorial de l’économie.

 

Au-delà des chiffres et des dispositifs, c’est bien une crise de confiance qui s’installe entre les autorités et le tissu entrepreneurial de proximité. Le manque de gouvernance, de clarté et de volonté politique alimente la frustration d’un secteur qui réclame non pas des faveurs, mais un traitement équitable. La confédération va plus loin en appelant à une nouvelle approche : «Nous insistons sur l’importance de respecter les principes de transparence et d’équité dans la mise en œuvre de ces programmes», clame le communiqué.

Un message fort, qui résonne comme un avertissement : sans mesures concrètes et immédiates, les 12 milliards de dirhams risquent de se transformer en nouvelle illusion pour des milliers de petites entreprises à bout de souffle. Un constat amer pour une économie qui ne pourra retrouver son équilibre qu’en misant sincèrement sur ses forces vives les plus modestes.

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