1er mai : les syndicats sonnent l’alerte sociale

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1er mai : les syndicats sonnent l’alerte socialeDes partisans de l'UMT manifestent à l'occasion de la fête du Travail, lors d'une marche à Casablanca © LeBrief / Ayoub Jouadi

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À l’occasion du 1er mai (fête du travail), les principales centrales syndicales marocaines ont pris la parole pour dresser un état des lieux inquiétant des conditions de travail au Maroc. Dans un contexte marqué par l’érosion du pouvoir d’achat, la restriction des libertés syndicales et l’essoufflement du dialogue social, les syndicats appellent à la mobilisation, à la solidarité, et à la défense des acquis sociaux.

Le 1er mai 2025 n’a rien d’une célébration festive. Cette année, la fête internationale des travailleurs s’est transformée en tribune de protestation contre les politiques sociales et économiques du gouvernement marocain. Les discours prononcés par les différentes centrales syndicales, notamment l’Union marocaine du travail (UMT) et l’Union nationale du travail au Maroc (UNTM), ont résonné comme autant d’alertes.

Aux revendications salariales classiques s’ajoutent des dénonciations de la précarisation, de la réforme des retraites, de la flambée des prix et d’une tentative gouvernementale de museler le droit de grève. En filigrane, c’est aussi le sort des travailleuses et des travailleurs invisibles qui a été mis en lumière. Ce 1er mai, la parole syndicale a voulu être un cri d’unité, de dignité et de résistance.

Un droit de grève menacé, un dialogue en panne

La ligne rouge commune des syndicats cette année est la réforme du droit de grève. Un projet de loi actuellement en discussion inquiète particulièrement l’UMT, qui parle d’« une tentative de musellement ». Selon elle, le texte « vide le droit de grève de sa substance » et s’attaque à l’un des fondements de la démocratie sociale. L’organisation exige une suspension immédiate du projet et son renvoi à la table du dialogue social.

Lire aussi : 1er mai : l’histoire derrière la fête du Travail

Mais c’est précisément ce dialogue social qui semble aujourd’hui à l’arrêt. L’UNTM accuse le gouvernement de « surdité organisée » face aux revendications. Le syndicat islamiste déplore l’inexécution d’anciens engagements, comme ceux de l’accord d’août 1996, et affirme que le dialogue sectoriel est devenu une simple mise en scène sans résultats. Il met en garde contre la perte de confiance dans les institutions sociales si celles-ci deviennent des chambres d’enregistrement plutôt que des espaces de conquêtes sociales.

Pouvoir d’achat en chute, précarisation généralisée

Autre point d’inquiétude : la dégradation constante du pouvoir d’achat. L’UNTM parle d’un « brasier ardent » qui consume les ressources des classes populaires. Les prix de produits essentiels (huile, sucre, légumes, viande, gaz butane, carburant…) continuent de grimper, sans véritable régulation. L’UNTM dénonce les effets de politiques de libéralisation non maîtrisées qui ont renforcé les inégalités.

Du côté de l’UMT, la précarisation des travailleurs, notamment dans le secteur public, est au cœur du discours. Le syndicat pointe la « contractualisation sauvage », la dégradation des services publics et l’absence de perspectives d’intégration pour les diplômés au chômage. Des catégories professionnelles entières (éducatrices du préscolaire, agents de propreté, auxiliaires des collectivités…) sont décrites comme des oubliés du système, évoluant dans l’illégalité sociale.

Des revendications structurées et transversales

Face à ce constat, les syndicats avancent des plateformes revendicatives précises. L’UMT réclame notamment :

• L’annulation de l’article 288 du Code pénal, souvent utilisé pour criminaliser l’action syndicale.

• L’égalité salariale entre corps administratifs.

Lire aussi : 1er mai : le gouvernement face à la pression syndicale

• Une réforme des retraites respectueuse des droits acquis.

• La création de crèches dans les établissements publics.

• Une médecine du travail généralisée et une couverture contre les accidents professionnels.

L’UNTM plaide pour une réforme fiscale équitable, une révision du système de rémunération des retraités, la reconnaissance des diplômes techniques, l’accélération des statuts unifiés dans la fonction publique et le respect des libertés syndicales dans le secteur privé.

La parole des femmes syndicalistes, cri d’alarme oublié

Le 1er mai a également été marqué par une forte prise de parole féminine. La commission des femmes de l’UNTM a livré un témoignage poignant sur la réalité des travailleuses marocaines. « Comment parler d’autonomisation économique sans crèches ? » interroge la déclaration. Elle évoque le harcèlement sexuel au travail, les licenciements abusifs des femmes enceintes, l’exploitation dans les champs de fraises, les usines textiles ou les sociétés de nettoyage.

Lire aussi : Vers une réforme du Code du travail?

Les syndicalistes réclament une harmonisation des lois nationales avec les conventions internationales, la criminalisation effective du harcèlement, la revalorisation des pensions des veuves et un accès équitable aux postes de décision. Pour elles, l’égalité professionnelle ne peut être un slogan : elle doit devenir une réalité.

Un cri de solidarité avec la Palestine

Au-delà des revendications sociales, le 1er mai a aussi été une journée de solidarité internationale. L’UMT et l’UNTM ont consacré une partie de leurs discours à la situation dramatique à Gaza. Les deux organisations ont condamné « le génocide en cours » et dénoncé « la complicité silencieuse de la communauté internationale ». Elles ont appelé à la fin immédiate de toutes les formes de normalisation avec Israël.

L’UNTM a insisté sur la fidélité du peuple marocain à sa mémoire collective, affirmant que la cause palestinienne est une boussole morale pour les luttes syndicales. Pour les syndicats, la défense des droits ne peut être sélective : elle doit embrasser toutes les luttes pour la justice, ici comme ailleurs.

Réponse du gouvernement : une tentative d’apaisement

Face à ces critiques virulentes, le gouvernement a tenté de rassurer. Le ministre de l’Intégration économique, Younes Sekkouri, a affirmé, le jour même du 1er mai, que « plusieurs mesures ont été prises en faveur des différentes catégories de travailleurs », dans le cadre d’un effort continu de plus de deux ans et demi.

Il a notamment évoqué :

• La mise en œuvre progressive de l’accord social, incluant le versement du deuxième volet de l’augmentation salariale de 500 dirhams pour les fonctionnaires.

• Une hausse du SMIG et du SMAG de 10% d’ici avril 2026.

• Une réforme du statut des fonctionnaires des collectivités territoriales.

• L’ouverture de discussions sur les statuts des ingénieurs, des techniciens et des administrateurs.

Concernant le très sensible projet de loi sur le droit de grève, le ministre a promis une concertation avec les partenaires sociaux, dans un « esprit de justice sociale et de participation ». Il a aussi rappelé que le gouvernement s’engage à revoir la loi sur les syndicats et le Code du travail, en garantissant une meilleure articulation entre développement économique et droits sociaux.

Lire aussi : Conférence arabe du travail : Sekkouri met en avant les grands chantiers sociaux du Maroc au Caire

Le 1er mai 2025 aura été un moment de lucidité et de rupture. Les syndicats n’ont pas seulement dénoncé une crise sociale persistante, ils ont proposé une vision alternative d’un Maroc plus équitable, plus solidaire, plus respectueux des travailleurs et travailleuses. En réponse, le gouvernement a tenté de faire entendre une volonté de réforme, mais les tensions restent vives.

Dans les cortèges comme dans les discours, une ligne rouge s’est dessinée : celle des droits fondamentaux. Le dialogue est suspendu, la confiance ébranlée, mais la mobilisation pourrait bien se transformer en levier politique. Si ce 1er mai n’était qu’un début, alors l’année 2025 s’annonce comme un tournant social que ni le gouvernement ni les syndicats ne pourront ignorer.

 

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