Le don d’organe : entre contraintes techniques et attentes sociales

Dans cet article, docteur Mustapha Merouane, médecin et journaliste, revient sur les conclusions d’une table ronde sur le thème « Don et Transplantation d’Organes : Approche médicale, juridique, théologique et sociologique ». Il nous explique ainsi, l’importance du don d’organes, mais aussi du don de sang et de tissus. Éclairage.

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Publié le 20/07/2022 à 9:15

Tribune

Dr Mustapha Merouane

Médecin-chirurgien et Journaliste

Une table ronde a été organisée par le Syndicat des médecins du secteur libéral de la région Beni Mellal-Khénifra, en collaboration avec des juristes, des sociologues, des théologiens, des chirurgiens de la transplantation d’organes. Cette rencontre, tenue le 29 juin 2022, a connu la participation du wali de la région, Khatib El Hebil, sur le thème « Don et Transplantation d’Organes : Approche médicale, juridique, théologique et sociologique ».

La finalité du don, c’est de protéger l’humain en nous, comme le soulignait le sociologue français Marcel Mauss : «Donner ce n’est pas d’abord donner quelque chose, c’est se donner dans ce que l’on donne».


Le don de soi est, et devrait être consubstantiel à toute pratique humaine. Ceci se traduit bien dans les faits en pratique médicale et chirurgicale.

Le don a une forme de prestige ou d’honneur dans le fait de savoir donner. De même que recevoir doit s’accompagner d’humanité et d’un savoir-rendre, une sorte d’équivalent du don reçu.

L’homme est un animal économique et social qui sait calculer rationnellement ses intérêts. Mais il doit répondre à une triple obligation morale : donner, recevoir et rendre. Car au-delà de la dimension économique et sociale de cette triple obligation, il y a une force symbolique du don.

C’est la recherche de cet équilibre qui a motivé les prises de parole des médecins experts, des juges, des sociologues, théologiens, et des représentants de la société civile au cours de ce débat. Mais au-delà de cet équilibre, certaines interrogations ont émergé au cours de la discussion, malgré que la question du don de sang, des tissus et des organes ait été étudiée, débattue et codifiée, aussi bien du point de vue médical, juridique, religieux et social. www.sante.gov.ma

Pour mieux cerner le sujet, étudions-le à partir des données de la dialyse pour insuffisance rénale chronique. Au Maroc, il y a eu 32.000 dialysés en 2020, pour un total de 400 centres d’hémodialyse répartis dans tout le Royaume. La dialyse absorbe un tiers des dépenses de l’Assurance maladie obligatoire. Le ministère de la Santé et de la Protection sociale consacre 25 millions de DH pour le partenariat public privé en matière de dialyse. Et les prévisions tablent sur environ 48.900 dialysés et 550 centres de dialyse à l’horizon 2030. Ces chiffres exigent une adoption urgente de stratégies de prévention et le développement de la transplantation rénale, sinon ces dépenses avoisineraient les 200.000 DH par an et par dialysé, que l’état devra continuer à débourser.

Pour étayer le sujet, il faut se pencher sur la différence entre les chiffres du Maroc et de l’Espagne, ce denier étant le leader mondial du don et de la greffe rénaux, grâce à la création de son centre national de la transplantation en 1989. Ce pays ibérique compte 40 donneurs prélevés et plus de 100 greffes par million d’habitants et par an.

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Le don et la maladie constituent un « fait social total », car ils intéressent, chacun à sa manière, différentes dimensions de la société. Un des principaux objets d’étude de la sociologie de la santé est justement l’impact de la vie sociale sur le taux de mortalité et vice versa.

L’insuffisance rénale chronique constitue une pathologie qui tue à petit feu, en engrangeant d’importantes dépenses de santé, pour le patient et pour la société. Le fait de promouvoir la greffe rénale, et par conséquent la culture du don d’organes, constitue une stratégie vers la voie de l’excellence dans la prise en charge de cette affection.

Les soins de santé primaires ont joué un rôle important pour l’éradication de plusieurs maladies, malgré une certaine recrudescence de pathologies qu’on croyait disparues à jamais. C’est pour cela que l’on doit s’orienter vers une médecine prédictive, qui, en s’intéressant aux personnes en apparente bonne santé, en utilisant l’intelligence artificielle (IA), et en se basant sur des analyses scientifiques, permettrait de détecter les signes avant-coureurs d’une pathologie future et d’y répondre en amont.

Après une discussion animée, et après avoir entendu des témoignages touchants de personnes qui ont profité de la transplantation rénale et ceux qui sont en dialyse et en attente de don d’organe, des recommandations ont été proposées à la clôture de cette réunion. Ces suggestions vont toutes dans le sens d’une prise de conscience collective de l’importance du don d’organes et l’engagement des médecins, des juristes, des sociologues, et de la société civile afin de continuer à rechercher les moyens pour dépasser les difficultés techniques, juridiques et sociétales qui ralentissent l’évolution de cette pratique.

Les organisateurs ont saisi cette occasion pour retenir certaines recommandations qu’ils ont jugées importantes et qui peuvent faire l’objet d’un prochain débat. Il s’agit notamment de :

  • 1. L’activation des recommandations du conseil consultatif du don d’organes et des tissus et de l’étude des connaissances scientifiques, juridiques et légales des pays pionniers dans la transplantation d’organes. Et examiner aussi leurs techniques de prélèvement, de transport et d’acheminement des organes prélevés ;
  • 2. La promotion des études et des recherches socio-culturelles sur le don d’organes pour déterminer les causes qui poussent la population à refuser le don de sang, d’organes et de tissus ;
  • 3. La création, au sein des centres hospitaliers régionaux, de services dédiés aux formations sur les techniques de prélèvement, conservation et transport d’organes, parallèlement à la mise en place de services bio-médicaux. Ceci rentrerait dans le cadre du chantier de la régionalisation avancée ;
  • 4. La motivation de jeunes chirurgiens à se former aux techniques de transplantation d’organes ;
  • 5. Le recours à une communication médicale adaptée au don d’organes, tout en sensibilisant les enseignants, les parents, les élèves et la société civile sur l’importance de cette pratique ;
  • 6. Recommander la médiatisation sur le sujet, sur tous les supports médiatiques, et y consacrer des émissions afin de lutter contre des croyances et des messages non fondés véhiculés par des films « étranges » et étrangers à notre culture ;
  • 7. La programmation de journées « portes ouvertes » sur le don d’organes, des tissus et du sang dans les hôpitaux régionaux et universitaires du Royaume.

 

Une porte vient effectivement d’être ouverte sur une réflexion courageuse concernant le don d’organes.
La religion musulmane est favorable au Don : Don de soi, don de ses biens, le partage et le respect de la vie. D’ailleurs, Aïd Al Adha n’est-il pas la symbolique par excellence du don. Le « don divin » visant à sauver l’humain !

Le prélèvement et le don d’organes sont bien codifiés du point de vue moral, juridique, éthique et déontologique. Espérons que d’ici au 17 octobre 2022, journée mondiale du don d’organe, le sujet saura sonder l’humain qui est en nous, et que certaines recommandations proposées deviennent effectives.

Et peut-être que ceux qui sont volontaires viennent remplir les formulaires juridiques nécessaires et réclamer une carte de donneur d’organes, document que l’on doit avoir sur soi comme la carte nationale et la carte du groupe sanguin.

Lire aussi : D’une crise sanitaire à une autre !

 

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