Maroc : l’aide sociale directe, entre ambitions et défis
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Le Maroc a franchi un cap décisif dans sa politique de protection sociale. Mardi dernier, le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a annoncé devant la Chambre des conseillers que le pays consacre en 2025 un budget de 26,5 milliards de dirhams (MMDH) au programme d’aide sociale directe, contre 25 MMDH en 2024, avec un objectif ambitieux de 29 MMDH d’ici à 2026. Ce montant équivaut à environ 2% du PIB national, positionnant le Royaume au deuxième rang continental en matière de dépenses sociales directes.
Un soutien direct à 4 millions de foyers
Le programme d’aide sociale directe vise à toucher 4 millions de familles marocaines, représentant environ 60% des ménages non couverts par un régime d’allocations familiales. L’aide, d’un montant mensuel allant de 500 à 1.200 dirhams selon la composition et la vulnérabilité du ménage, ambitionne de pallier les multiples facettes du déficit social. Le chef du gouvernement a mis en avant des résultats probants. En effet, à ce jour, 12 millions de Marocains en ont bénéficié. Parmi eux, 3,2 millions de foyers sont couverts par l’assurance maladie obligatoire (AMO), 2,4 millions incluent des enfants, et plus d’un million de personnes âgées de plus de 60 ans ont reçu une aide mensuelle.
La plateforme numérique asd.ma, opérationnelle depuis décembre 2023, joue un rôle clé dans le déploiement du programme. «Elle a permis une gestion plus standardisée et objective des dossiers, et contribué à améliorer la transparence», souligne Abdelghani Youmni, économiste et expert en politiques publiques. Il note toutefois que «cette plateforme ne peut, à elle seule, répondre aux besoins des populations les plus fragiles, en particulier en zones rurales reculées, souvent exclues du numérique et des réseaux administratifs classiques».
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Une ambition nécessaire mais insuffisante
Pour Abdelghani Youmni, l’ampleur de cette politique de transfert monétaire constitue une avancée importante, mais elle reste insuffisante pour éradiquer les inégalités structurelles. «Les allocations familiales, même bien ciblées, sont majoritairement absorbées par des dépenses de survie, tels que les dépenses liées à l’alimentation, la santé et l’éducation de base, sans effet structurant à long terme», prévient-il.
Il rappelle également que les subventions aux carburants dépassaient 41 MM de DH en 2012, et que celles du gaz, sucre et blé représentaient encore près de 12 MM de DH en 2019. Une décompensation généralisée permettrait d’économiser entre 35 MM de DH et 45 MM de DH par an. «Réorienter ces sommes vers des aides mieux ciblées, comme l’actuel programme, pourrait renforcer leur impact», argue-t-il.
Mais l’expert insiste aussi sur la nécessité d’un virage stratégique : «Seules des politiques de formation, d’insertion professionnelle et de soutien à l’entrepreneuriat permettront de sortir durablement de la pauvreté. Sinon, on court le risque de tomber dans l’assistanat ou de créer une spirale déficitaire».
Éligibilité, traçabilité et défi de l’informel
Le ciblage des bénéficiaires repose sur plusieurs critères, incluant la composition du foyer, les revenus déclarés, l’âge des membres, la scolarisation des enfants, ou encore la vulnérabilité des personnes âgées. Toutefois, de nombreux freins subsistent. «La bancarisation généralisée, même pour les foyers non imposables, est la seule manière d’assurer une traçabilité efficace des aides», souligne Abdelghani Youmni. Il alerte également sur les risques de fraude, de clientélisme et de fausses déclarations. «Ce ne sont pas des phénomènes propres au Maroc, mais des mécanismes robustes de vérification doivent être mis en place. Le ministère de l’Intérieur et les collectivités régionales doivent jouer un rôle central».
L’expert propose également de croiser les données des bénéficiaires avec celles de la conservation foncière, des régies de distribution d’eau et d’électricité, ou encore du registre d’état civil. «Il faut impérativement éviter que des ménages possédant des biens immobiliers importants continuent à percevoir indûment ces aides».
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Une politique budgétairement soutenable ?
Derrière les 29 MM de DH visés en 2026 se pose la question du financement durable de cette politique. Peut-on maintenir un tel effort budgétaire sans compromettre d’autres secteurs comme l’éducation, la santé ou l’investissement public ?
Pour Abdelghani Youmni, la réponse réside dans une réforme fiscale en profondeur : «Il faut revoir les fondements de la fiscalité marocaine, élargir l’assiette, intégrer le secteur informel, lutter contre l’évasion et mettre en place une fiscalité juste. C’est la seule voie pour garantir des ressources pérennes à la protection sociale».
Il met aussi en garde contre les effets d’un excès de dépenses sociales non compensées par une croissance économique robuste : «En réalité, viser 30 MM de DH d’aides sociales signifie constater un échec en matière de développement : pauvreté persistante, pouvoir d’achat dégradé, chômage élevé. L’objectif réel doit être la réduction du besoin d’aides, grâce à une croissance inclusive et durable».
Au-delà des chiffres et des mécanismes, l’enjeu de légitimité démocratique est central. «Il est urgent d’ouvrir un débat national sur ce programme, en associant la société civile, les acteurs de terrain et les bénéficiaires eux-mêmes», plaide Abdelghani Youmni. L’objectif est d’éviter l’instrumentalisation politique du programme et construire une politique sociale basée sur la concertation, l’évaluation continue et l’innovation.
Des mécanismes participatifs de suivi et d’évaluation, un accompagnement humain dans les démarches administratives, et des campagnes d’information adaptées aux zones rurales et analphabètes sont autant d’éléments nécessaires pour faire de ce programme une véritable politique d’équité.
Avec ce programme d’aide sociale directe, le Maroc s’inscrit dans une logique de modernisation de son État social. Mais la réussite de cette transformation dépendra de la capacité à dépasser le court terme, à lier solidarité et développement, et à s’appuyer sur une gouvernance exemplaire. Pour Abdelghani Youmni, «la justice sociale ne se mesure pas seulement à l’aune des transferts monétaires, mais à la façon dont une nation investit dans la dignité, l’autonomie et les capacités de ses citoyens».
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