Le tabac, fléau mondial : une menace persistante au Maroc, en Afrique et au-delà

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Le fléau du tabac : une menace persistante au Maroc, en Afrique et dans le mondeImage d’illustration © DR

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Le Maroc, comme le reste du monde, fait face à un fléau silencieux qui ravage la santé publique. Le tabagisme représente un danger autant pour le consommateur que pour son entourage, ainsi que pour l’environnement et l’économie. Dans ce contexte, les campagnes de sensibilisation et l’arsenal juridique montrent plus que jamais leur importance pour limiter les dégâts causés par l’addiction à la nicotine.

Aujourd’hui, la lutte contre le tabagisme est devenue une priorité absolue pour le monde entier. Au Maroc, les dépenses de santé et les pertes de productivité dépassent les 9 milliards de dirhams. Avec plus de 3,5 millions de fumeurs dans le Royaume, la cigarette commence à peser lourd, tant sur la santé que sur la société.

Le Maroc, un pays en proie à une dépendance coûteuse

Le Maroc fait face à une épidémie silencieuse : le tabagisme, dont les conséquences sont dévastatrices pour la santé publique, l’économie et l’environnement. Selon le Dr Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé, le pays enregistre chaque année 21.574 décès liés au tabac, soit 7,5% de l’ensemble des décès nationaux.

En 2022, on dénombrait plus de 3,5 millions de fumeurs adultes au Maroc, soit 25,3% des hommes et 1% des femmes. Le coût économique annuel du tabagisme est colossal, dépassant 9 milliards de dirhams, englobant les dépenses de santé directes ainsi que les pertes de productivité liées aux maladies et décès prématurés.

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Mais au-delà des chiffres, ce sont les jeunes qui inquiètent le plus. Un adolescent sur huit en milieu scolaire a déjà utilisé une cigarette électronique, une pratique quatre fois plus fréquente chez les garçons que chez les filles. Cette tendance est d’autant plus alarmante que certains commencent avant l’âge de 10 ans.

Malgré une baisse de la consommation de tabac classique chez les étudiants marocains au cours de la dernière décennie, cette tendance positive est menacée par l’arrivée massive des cigarettes électroniques, promues par une industrie ciblant les jeunes avec des arômes fruités, des designs attrayants et une forte présence sur les réseaux sociaux.

Les conséquences sont multiples : des troubles cognitifs, des maladies respiratoires, des cancers et des risques accrus de dépendance, notamment en raison de la présence de métaux lourds comme le plomb ou l’uranium dans ces dispositifs. À cela s’ajoute un coût environnemental. Chaque année, 1.640 tonnes de mégots finissent dans la nature, représentant une source majeure de pollution toxique.

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La production locale de tabac n’aide en rien à inverser la tendance. En 2023, plus de 8 milliards de cigarettes ont été fabriquées au Maroc, et la culture du tabac a occupé 466 hectares de terres agricoles de qualité qui auraient pu servir à produire des aliments.

Toutefois, au Maroc, la prévention du tabagisme repose sur un arsenal de mesures encore insuffisamment appliquées, bien que des progrès aient été accomplis. Le pays a mis en place des interdictions partielles de publicité, de promotion et de parrainage des produits du tabac, mais les efforts pour restreindre efficacement le marketing, en particulier auprès des jeunes, restent limités.

Selon le Dr Tayeb Hamdi, l’industrie cible particulièrement les adolescents via les réseaux sociaux et des produits attrayants, tels que les cigarettes électroniques aromatisées, ce qui freine les progrès réalisés dans la réduction du tabagisme chez les jeunes.

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En 2024, une avancée notable a été l’introduction d’une interdiction totale de la publicité sur les points de vente, témoignant d’une volonté renforcée de mieux encadrer l’exposition au tabac. Cependant, le Maroc n’applique pas encore pleinement les avertissements sanitaires graphiques ni une taxation élevée du tabac, deux piliers reconnus pour une prévention efficace.

L’Afrique confrontée à une offensive redoutable de l’industrie du tabac

Le continent africain, bien que présentant des taux de tabagisme inférieurs à ceux de certaines régions du monde, n’est pas épargné. Le récent rapport de l’OMS sur l’épidémie mondiale de tabagisme 2025 souligne que l’Afrique est devenue une cible stratégique pour les grandes compagnies de tabac, qui cherchent à compenser les pertes de marchés ailleurs en séduisant les jeunes, les femmes et les populations défavorisées.

Les États africains progressent à des rythmes variés dans la lutte contre le tabac. Moins de la moitié appliquent des avertissements sanitaires graphiques sur les paquets de cigarettes, pourtant reconnus par l’OMS comme l’un des moyens les plus efficaces et économiques pour réduire la consommation de tabac. Ces avertissements, lorsqu’ils sont associés à des campagnes médiatiques de grande envergure, peuvent encourager l’arrêt du tabac et dissuader les jeunes de commencer à fumer.

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Certains pays ont toutefois réalisé des avancées significatives. La Côte d’Ivoire, par exemple, a récemment instauré des emballages neutres ainsi que des avertissements visuels de grande taille. Le Maroc, bien qu’il n’ait pas encore atteint les standards des meilleures pratiques pour l’ensemble des mesures MPOWER de l’OMS, a franchi un cap important en 2024 en interdisant totalement la publicité pour le tabac, y compris sur les points de vente.

Mais les défis demeurent immenses. De nombreux pays africains manquent de ressources techniques et humaines pour surveiller et faire respecter les politiques de contrôle du tabac. L’ingérence de l’industrie et l’absence d’une taxation forte sur les produits du tabac continuent de compromettre les efforts de santé publique.

Sur le continent africain, les politiques de prévention antitabac sont en cours de développement, mais demeurent très inégales selon les pays. Le rapport de l’OMS souligne que si certains pays, comme la Côte d’Ivoire ou le Maroc, ont récemment renforcé leur législation avec des mesures telles que l’emballage neutre ou l’interdiction de la publicité, la majorité est encore loin des meilleures pratiques. Les obstacles sont multiples, notamment l’insuffisance des ressources financières et humaines, l’interférence persistante de l’industrie du tabac, ainsi que le manque de campagnes médiatiques durables.

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Seuls quelques États africains ont mis en place des avertissements sanitaires graphiques couvrant au moins 50% des paquets de cigarettes, et la taxation du tabac reste encore très faible, limitant ainsi l’efficacité des mesures de prévention. Néanmoins, les dynamiques récentes montrent que les pays africains commencent à s’engager plus fermement dans la lutte antitabac, souvent en s’appuyant sur le soutien technique de l’OMS et de ses partenaires internationaux.

Le reste du monde entre progrès tangibles et nouveaux périls

À l’échelle mondiale, des avancées notables ont été réalisées depuis l’entrée en vigueur en 2005 de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT). En 2024, plus de 6,1 milliards de personnes sont protégées par au moins une des six mesures MPOWER appliquées selon les meilleures pratiques, notamment l’interdiction de fumer dans les lieux publics, l’aide au sevrage et la taxation des produits du tabac.

Parmi ces mesures, les avertissements sanitaires graphiques ont connu la progression la plus spectaculaire, passant de seulement neuf pays en 2007 à 110 aujourd’hui, couvrant 62% de la population mondiale. Les emballages neutres, quant à eux, ont été adoptés par 25 pays. Pourtant, les campagnes médiatiques restent trop rares : seules 37 nations ont mené des campagnes conformes aux critères de l’OMS entre 2023 et 2024.

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Les menaces émergentes proviennent principalement des nouveaux produits tels que les cigarettes électroniques et le tabac chauffé. L’OMS alerte sur les risques de dépendance et de dommages graves pour la santé, en particulier chez les jeunes, dont le cerveau est encore en développement. En 2024, 133 pays réglementaient les systèmes électroniques de délivrance de nicotine (ENDS), mais 62 d’entre eux n’avaient toujours aucune législation, exposant près de 2 milliards de personnes.

Les industries du tabac redoublent d’ingéniosité pour séduire une nouvelle génération d’utilisateurs, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Cela met en péril les progrès réalisés au cours des deux dernières décennies. L’OMS insiste : sans protection contre l’interférence de l’industrie (article 5.3 de la CCLAT), les politiques les plus efficaces peuvent être affaiblies, voire annulées.

 

Si le Maroc et certains pays africains montrent des signes encourageants de résistance face à l’offensive de l’industrie du tabac, les efforts doivent être intensifiés. À l’échelle mondiale, les outils existent, les preuves sont solides, et les résultats sont tangibles : le tabac tue, mais des politiques fortes sauvent des vies.

Il est impératif que tous les pays, sans exception, adoptent une approche intégrée, fondée sur l’ensemble des mesures de la Convention-cadre de l’OMS. L’enjeu n’est rien de moins que la protection de la santé et de l’avenir de milliards de personnes dans le monde.

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