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Le seuil 9,326 au test de la couverture sociale généralisée

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Un projet porteur de beaucoup d’espoir, mais qui en fait douter plus d’un : la protection sociale suscite tous les questionnements. Du seuil établi pour l’obtention des soins au concept même de pauvreté, le chantier est pour ceux qui l’observent une énième tentative du gouvernement de faire bon profil, et pour ceux qui devraient en profiter, une énigme encore à comprendre.

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Ils étaient plus de 16 millions à bénéficier du régime d’assistance médicale «RAMED». Au 1ᵉʳ décembre 2022, 10,4 millions de personnes ont basculé vers l’assurance médicale obligatoire (AMO-Tadamon), gérée par la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Ils ont rejoint ainsi les 5 millions d’inscrits à l’AMO des Travailleurs non-salariés (TNS) et près de 9 millions de travailleurs salariés.

Le mois dernier, la Caisse a lancé l’inscription au régime AMO ACHAMIL, dernière brique du système, pour les personnes n’exerçant aucune activité rémunérée ou non rémunérée. Même s’il est trop tôt pour faire un bilan, 13.500 assurés principaux ont adhéré à ce régime. «On peut dire aujourd’hui que l’AMO n’exclut aucun citoyen», se réjouissait il y a quelques jours Hassan Boubrik, directeur général de la CNSS. Et, si le calendrier est bien respecté, le chantier de la généralisation de la protection sociale devrait s’achever fin 2025.

Lire aussi : Le gouvernement intensifie ses efforts pour assurer un État social en 2024

Si la première phase, soit le passage du RAMED à l’AMO, a été achevée conformément au planning, l’aboutissement de la seconde n’est toujours pas clair : aucune visibilité sur l’état d’avancement de la généralisation des allocations familiales conditionnée par la nouvelle procédure de ciblage – Registre national de la population (RNP), Registre social unifié (RSU) – et la réforme de la compensation. Les deux dernières phases concernent, elles, la généralisation de la retraite à toutes les personnes et l’indemnité pour perte d’emploi à l’ensemble de la population active.

Un projet ambitieux qui nécessitera, à moyen et long termes, une enveloppe de 51 milliards de dirhams (MMDH) par an, comme l’avait annoncé en 2021 Mohammed Benchaâboune, alors ministre de l’Économie. Pour le financer, le département géré aujourd’hui par Nadia Fettah Alaoui a scindé les recettes en deux : d’une part, un mécanisme de contribution alimenté par les personnes éligibles aux cotisations de la couverture sociale à hauteur de 28 MMDH ; et d’autre part, un mécanisme de solidarité financé par le budget de l’État pour couvrir les 23 MMDH restants.

Le seuil 9,326 au test de la couverture sociale généralisée

Coût de la généralisation de la protection sociale. © Ministère de l’Économie et des Finances

Tout un travail d’équilibriste auquel se livre l’exécutif pour améliorer le niveau de vie des familles défavorisées, lutter contre la pauvreté et la précarité, et promouvoir la justice sociale.

Lire aussi : Protection sociale : place aux réformes

Vous avez dit justice sociale ?

En 2024, le gouvernement prévoit une enveloppe budgétaire de 25 MMDH pour mettre en œuvre l’aide sociale directe. Ce budget s’ajoute aux 10 milliards de dirhams alloués annuellement par l’État pour la généralisation de l’AMO aux familles en situation de pauvreté et de précarité et qui ne sont pas en capacité de s’acquitter des cotisations. Dans son dernier point de presse, le ministre chargé des Relations avec le Parlement, porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, a indiqué que cette mesure concernait près de 11,4 millions de personnes.

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Suivant la procédure, ces bénéficiaires ont dû s’inscrire au RNP, puis au RSU, avant de faire une demande d’adhésion à l’AMO Tadamon. Pour être éligible, le chef de famille doit obtenir un score (du RSU) qui ne dépasse pas 9,326. Pas un centième de plus ! Et c’est bien là où réside tout le problème. Bon nombre d’ex-ramedistes se sont retrouvés sans couverture sanitaire.

L’indice socio-économique du ménage est un indicateur numérique attribué aux ménages inscrits au RSU, il reflète la situation socio-économique du ménage, et se calcule en se basant sur une formule de scoring (Modèle PMT – Proxy Means Testing – Évaluation des ressources par approximation), développée par le Haut- Commissariat au plan (HCP) avec l’appui technique de la Banque Mondiale, à travers des enquêtes terrain et des méthodes scientifiques éprouvées.

L’indice socio-économique prend en ligne de compte trois critères, en l’occurrence les spécificités démographiques et socio-économique du ménage, la région de résidence et le milieu de vie, urbain ou rural.
Parmi les indicateurs retenus, on cite notamment la taille du ménage, la situation professionnelle, le type d’habitation, les équipements, les dépenses courantes (gaz, électricité, eau) ou encore les biens non consommables.
Lorsque l’on cherche à identifier les ménages exposés à l’insécurité alimentaire, la plupart des mécanismes de ciblage par PMT ou CBT (community-based targeting – méthode du ciblage communautaire) ne sont pas plus performants qu’une attribution aléatoire des avantages. En revanche, les coûts du ciblage ne représentent qu’une petite part des budgets.

–Banque mondiale, Analyser l’impact des chocs climatiques et autres sur la pauvreté

Malgré ces qualités, le modèle n’identifie pas avec exactitude les ménages les plus pauvres. Les erreurs sont plus élevées en dessous du seuil d’éligibilité du 30ème percentile. Mais elles sont raisonnables à partir de ce seuil. Il en est de même du taux de couverture. Enfin, par rapport à ce seuil, les erreurs d’exclusion et d’inclusion du modèle PMT ne sont pas loin de celles des modèles PMT d’autres pays. Pour pallier à cette faiblesse, la Banque mondiale suggère de combiner le PMT avec une autre méthode comme le ciblage communautaire, par exemple.

C’est ce que nous confirme un fonctionnaire : «dans mon arrondissement, près de 80% des habitants étaient ramedistes. Aujourd’hui avec le passage à l’AMO Tadamon, ils ne sont que 7% à avoir une couverture sociale».

Quel recours possible ?

Et dans ce contexte, le président du groupe parlementaire du Mouvement populaire, Idriss Sentissi, assure «avoir reçu au niveau des équipes plusieurs doléances qui témoignent de l’ampleur des problèmes rencontrés par les personnes censées bénéficier de l’accompagnement». Et, d’ajouter que «le seuil de l’indicateur économique et social arrive en tête de liste des problèmes, qu’ils concernent le bénéfice de Amo Tadamon ou qu’ils concernent l’aide sociale directe». Le responsable explique que les données sur lesquelles se base ce seuil sont considérées comme très injustes, «et que les personnes qui ont accès à des choses simples, comme une ligne téléphonique, un Wi-Fi, des bouteilles de gaz ou encore des toilettes, ne signifie pas qu’elles ne sont pas fragiles ou pauvres. Et que force est de constater que ce seuil doit se concentrer avant tout sur la mesure dans laquelle ces familles disposent d’un revenu stable qui leur assure les conditions de dignité et détermine les normes de pauvreté».

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Car voilà à quoi en sont réduits certains ménages : avoir un téléphone portable leur augmente le score au point d’en perdre la protection sociale censée être garantie par l’État.

 

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Au total, ce sont 35 données socio-économiques des ménages dans le milieu urbain, et 28 dans le milieu rural, qui sont prises en compte pour identifier le score de chaque famille.

Et si du temps du RAMED, «toute famille avait le droit de demander la révision du score qui lui est attribué auprès de la commission permanente provinciale ou préfectorale et ce, dans un délai ne dépassant pas les 60 jours à compter de la date de réception de l’avis», aujourd’hui le seul recours reste le chef de service même au sein de l’administration.

Auparavant, les recours déposés aboutissaient à 80%. Mais, comme nous l’explique notre interlocuteur, «si la personne intéressée par l’AMO considère que le traitement de son dossier n’a pas été équitable, son seul recours, c’est de le déposer à travers le service communal». Et ce, quitte à ce que les intérêts divergent.

À l’aube de cette généralisation de la protection sociale, nous passons beaucoup de temps à analyser les mécanismes de mise en œuvre. Peut-être dans ce questionnement, avons-nous oublié de nous poser les réelles questions : l’État a-t-il les infrastructures sociales nécessaires à l’implémentation de cette stratégie ?

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