IA : le Maroc ne veut pas rater le virage

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IA : le Maroc ne veut pas rater le virageUne représentation de l'intelligence artificielle © DR

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Face à l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle, le Maroc déploie une stratégie hybride entre partenariats internationaux, adaptation locale et renforcement de ses capacités internes. Un positionnement pragmatique qui reflète les ambitions numériques du Royaume dans l’espace arabe.

Depuis la démocratisation de ChatGPT en 2022, l’intelligence artificielle (IA) s’est imposée comme un phénomène mondial, affectant tous les pans de la société. De la santé à l’éducation, en passant par la culture, l’énergie ou la sécurité, ses usages se multiplient à un rythme effréné.

Selon la CESAO, cette technologie pourrait générer jusqu’à 23.000 milliards de dollars de valeur économique annuelle à l’horizon 2040. Si certaines nations disposent déjà d’infrastructures solides pour y faire face, d’autres, comme plusieurs pays arabes, doivent composer avec des ressources limitées, des inégalités numériques et des défis de gouvernance.

Dans ce contexte, le Maroc cherche à construire son avenir numérique de manière pragmatique. Plutôt que de viser une souveraineté technologique complète, il mise sur des alliances stratégiques, l’adaptation de modèles existants et l’intégration de l’IA dans ses politiques nationales. Ce choix d’hybridation, entre innovation externe et priorités locales, reflète les ambitions du Royaume telles qu’inscrites dans sa vision numérique 2030.

Un modèle d’IA ancré dans les réalités locales

Vidéo par Ayoub Jouadi / LeBrief

Le rapport de la CESAO souligne trois grands scénarios d’évolution de l’IA dans la région arabe : l’adaptation technologique à des priorités nationales, la préservation de l’identité culturelle par l’IA, et l’accélération des objectifs de développement durable (ODD). Le Maroc semble, à ce jour, avancer sur ces trois fronts à la fois.

Dans le premier scénario, celui de l’adaptation locale, Rabat a choisi de développer une intelligence artificielle alignée sur ses priorités socio-économiques. Grâce à des partenariats avec des géants technologiques comme IBM, Google, Huawei ou encore A171 (Abu Dhabi), le pays adapte des modèles préexistants pour répondre à ses besoins internes.

Lire aussi : IA : le Maroc entre maîtrise et collaboration

L’accord conclu avec A171, par exemple, permet au Maroc d’utiliser le modèle open source Falcon, entraîné sur la langue arabe, pour améliorer ses services publics numériques. Ce type de coopération ouvre aussi l’accès à des infrastructures puissantes de calcul et à des outils de traitement linguistique adaptés aux réalités locales.

Plutôt que de répliquer le modèle des grandes puissances, le Royaume cherche à devenir un leader de l’IA appliquée à ses propres enjeux avec une inclusion numérique, modernisation administrative, éducation à distance, agriculture intelligente ou encore gestion des ressources hydriques.

Culture et langue : des enjeux technologiques

L’identité culturelle est un autre pilier de la stratégie marocaine. À l’heure où les modèles d’IA dominants sont majoritairement entraînés sur des corpus anglophones, la CESAO appelle les pays arabes à investir dans des modèles linguistiques arabes, y compris dialectaux, pour préserver la diversité linguistique et culturelle. Le Maroc, riche d’un patrimoine plurilingue (arabe classique, darija, amazigh), est directement concerné par cette problématique.

L’enjeu dépasse la simple question de traduction, il s’agit d’assurer une accessibilité équitable aux services numériques, de renforcer la souveraineté culturelle et de valoriser des pans entiers du patrimoine souvent négligés par les technologies standards. À ce titre, les modèles génératifs entraînés en arabe et en darija pourraient transformer la relation des citoyens à l’administration, à l’apprentissage ou à la santé.

Le Maroc pourrait aussi, à terme, exploiter l’IA pour valoriser son patrimoine historique. La numérisation de manuscrits anciens, la restitution virtuelle de sites historiques ou encore la traduction automatique d’archives en langues anciennes ouvrent de nouvelles perspectives pour la recherche, le tourisme et l’éducation. L’IA devient ainsi un levier de mémoire et de rayonnement culturel.

Smart City 2025 : l’IA pour une ville plus fluide et inclusive

Former, structurer, réguler

Mais pour que ces transformations s’opèrent de manière durable, encore faut-il disposer de capacités internes solides. Le rapport insiste sur un point : aucune stratégie IA n’est viable sans investissement dans la formation, les infrastructures et la gouvernance. Le Maroc semble en avoir pris conscience.

Dans le cadre de sa vision numérique 2030 et de son programme Digital Morocco, le pays multiplie les initiatives pour développer une main-d’œuvre qualifiée en IA. Des universités comme l’UM6P ou l’INPT proposent des cursus spécialisés, et des partenariats académiques sont noués avec des institutions internationales. Par ailleurs, plusieurs start-up marocaines explorent déjà des usages de l’IA dans l’agriculture, la santé ou la finance.

Sur le plan réglementaire, le Maroc s’inspire des bonnes pratiques internationales pour encadrer le développement de l’IA. Il participe activement à plusieurs forums régionaux, comme le Groupe arabe sur l’IA lancé par le Conseil des ministres arabes des télécommunications. L’objectif est d’élaborer des normes éthiques, garantir la sécurité des données, lutter contre les biais algorithmiques et prévenir les usages malveillants de la technologie.

Le développement d’une charte marocaine (ou régionale) pour une IA responsable, comme le recommande la CESAO, pourrait également permettre d’ancrer l’innovation dans un cadre de confiance et de transparence.

L’intelligence artificielle au Maroc : opportunités, défis et perspectives pour 2025

Vers une convergence entre IA et objectifs de développement

Enfin, l’intelligence artificielle peut être mobilisée comme un outil d’accélération des ODD. Le Maroc, déjà engagé dans la mise en œuvre de l’Agenda 2030, pourrait s’appuyer sur l’IA pour améliorer l’efficacité de ses politiques publiques comme la gestion des ressources hydriques dans un contexte de stress climatique, la détection précoce des maladies, la planification urbaine intelligente ou encore l’éducation personnalisée.

Selon le rapport, des plateformes comme AI4SDP (AI for Sustainable Development Platform), co-pilotée par le PNUD et l’Université Mohamed Ben Zayed, visent à mutualiser les efforts régionaux pour adapter l’IA aux besoins concrets des pays arabes. Le Maroc, signataire de cette initiative, y trouve un espace stratégique pour échanger, tester, adapter et surtout anticiper.

Lire aussi : IA et inégalités : le futur dépend de nous

À travers une approche réaliste et ciblée, le Maroc tisse peu à peu les fondations de son avenir numérique. Loin d’une logique d’imitation des grandes puissances, le Royaume privilégie une voie adaptée à ses moyens, à ses priorités et à son identité.

En misant sur la collaboration, la formation, l’ouverture et la régulation, il trace les contours d’une intelligence artificielle qui lui ressemble. Reste désormais à concrétiser cette vision par des politiques publiques ambitieuses, inclusives et éthiques. Car si le futur de l’IA est encore à écrire, c’est dès aujourd’hui qu’il se prépare.

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