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Dans le brouillard de la guerre

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«Celui qui contrôle le passé, contrôle le futur. Celui qui contrôle le présent, contrôle le passé», écrivait en 1949 le célèbre George Orwell. La dystopie ne semble plus uniquement relever d’un récit de l’imaginaire. Le monde et particulièrement le Proche-Orient l’ont vécu ce soir lorsque les Nations unies votaient une résolution de trêve humanitaire et qu’Israël a coupé Gaza de tous.

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«Celui qui contrôle le narratif, remporte la bataille». De tout temps, les guerres se jouent sur deux niveaux : celui du terrain et celui des esprits. Ce n’est pas le fruit du hasard si les sciences de l’information et de la communication ont très rapidement été appliquées au champ militaire. D’ailleurs, Internet en a été la création technologique majeure.

Dès l’attaque lancée par le Hamas le 7 octobre dernier, qui a coûté la vie à 1.400 israéliens, tout s’est enchaîné à grande vitesse. Les médias devaient rapporter les informations et les réseaux sociaux les ont propagé, qui rend la vérification de celles-ci de plus en plus difficile. Et, très vite, le Hamas a été le visage du mal qui a poussé l’État hébreu à «se défendre». Le Hamas aura, ce jour-là, ouvert la boîte de Pandore.

Le récit officiel israélien est simple et cohérent : «les terroristes [NDLR, le Hamas] veulent tuer les juifs». L’antisémitisme a été et reste encore le fil d’Ariane du gouvernement de Netanyahu justifiant la mort de cinq fois plus d’enfants en 22 jours qu’en 18 mois de guerre en Ukraine. Ni eux, ni leurs soutiens internationaux, ne semblent vouloir se remémorer l’Histoire.

Du côté des organes de presse, la polarisation est bien évidente : le côté occidental dans le camp d’Israël quitte à en perdre l’objectivité, et l’autre se ralliant contre le génocide, taxé de faire l’apologie du terrorisme. Difficile pour les uns et les autres de ne pas afficher leur parti pris, conscient ou non, dans le traitement de l’information. Le résultat ne laisse que très peu de fois place à la nuance et à la réflexion.

Regarder aussi : Le massacre à Gaza, selon le comédien égyptien Bassem Youssef

Mais, si le travail journalistique peut facilement être analysé, les plateformes technologiques, elles, cachent bien leur jeu. Alors que les guerres de l’information parrainées par l’État existaient bien avant l’invention d’Internet, les médias sociaux ont permis à toutes sortes de propagande et de mensonges dangereux d’atteindre très vite des millions de personnes et, par la suite, très vite d’alimenter les tensions et la violence.

Un test pour le journalisme

Henry Brechter, rédacteur en chef de AllSides, un organisme américain qui classe les partis pris politiques des principaux médias, constate que la partialité dans ce conflit entre Israël et le Hamas est la plus spectaculaire des couvertures qu’il analyse.

Si l’expérience médiatique américaine est, en effet, sensationnelle, elle n’est pas unique. La presse mondiale suit les mêmes codes et subit les mêmes biais.

«Quand on a entendu que le Hamas avait décapité des enfants dans certaines des régions où il s’était infiltré, nous avons vu des médias de droite, ici aux États-Unis et dans le monde entier, qui se sont empressés de reprendre ces informations. Ils se sont empressés de publier des commentaires de responsables des forces de défense israéliennes, de responsables du gouvernement israélien, affirmant qu’ils avaient vu des preuves. Mais, à ce jour, nous n’avons toujours pas de preuve publique directe de ces décapitations», souligne Brechter. Une fausse information que même le président des États-Unis a évoqué avant que la Maison Blanche n’échoie un communiqué pour nuancer ses propos.

Si un journaliste présume que ce que dit une armée ou un gouvernement est vrai en temps de guerre, il devrait se faire contrôler [NDLR, le cerveau].
-Antony Loewenstein, auteur de «Le laboratoire palestinien»

L’accès à l’information sur la Bande de Gaza étant restreint, le journaliste et fixeur gazaoui, Roshdi Sarraj, décédé dans des raids israéliens, avait un rôle fondamental dans la diffusion de l’information. «C’était lui qui nous obtenait le fameux permis qui nous permettait d’entrer dans l’enclave côtière, qui venait nous chercher au checkpoint et nous guidait à travers la bande de Gaza. Il était aussi celui qui était à Gaza toute l’année. Justement, pendant ces périodes de guerre, lorsque les journalistes internationaux ne peuvent pas entrer, il informait sans quitter le terrain», témoigne la journaliste française, Alice Froussard.

À Gaza, ceux qui couvrent la réalité de la guerre meurent en silence

Lever le voile sur l’horreur de la guerre ne prépare jamais assez à la vivre. Depuis la guerre qui a éclaté entre le Hamas et Israël, le 7 octobre dernier, 27 journalistes ont été confirmés morts : 22 Palestiniens, 4 Israéliens et 1 Libanais. 8 journalistes auraient été blessés et 9 ont été portés disparus ou détenus.

À Gaza, ceux qui couvrent la réalité de la guerre meurent en silence

Dans ce flot d’informations, les médias veulent avoir la primeur. Kelly McBride, première vice-présidente du Craig Newmark Center for Ethics and Leadership, déplore cette course qui entache la profession. «Les tendances politiques de l’organisation s’ajoutent à la pression de production de l’industrie pour être le premier, en particulier sur le sujet de l’hôpital», analyse-t-elle.

Le cas de l’hôpital Al-Ahli

Le Hamas et Israël se sont jeté la faute dans l’attaque meurtrière contre cet hôpital de la ville de Gaza. Le Hamas accuse Israël, même si les responsables du renseignement américain ont déclaré, sur la base des premiers renseignements, qu’ils pensaient que l’affirmation d’Israël selon laquelle le bombardement était le résultat d’une roquette ratée lancée par un groupe militant à Gaza était correcte.

Aucune des deux versions des événements n’a été confirmée de manière indépendante. Et pourtant, les fausses confirmations prolifèrent des deux côtés, qu’il s’agisse d’un compte X aléatoire se faisant passer pour un journaliste ou d’une déclaration d’un membre du Congrès américain.

«Les médias de gauche ont vite repris les premières informations et déclarations des responsables palestiniens qui ont déclaré qu’il semblait qu’Israël avait bombardé l’hôpital. Puis il est apparu que c’était probablement ce que les gouvernements et les responsables occidentaux avaient dit, au vu des preuves examinées. Mais, ce ne semble pas être le cas, puisqu’il s’agirait d’un missile perdu tiré par un groupe Palestinien», a déclaré le rédacteur en chef de AllSides.

Réseaux sociaux, l’autre champ de bataille

À une époque où les gens ont beaucoup de mal à faire confiance aux médias, les journalistes doivent être très prudents, car ils restent les principaux relais et sont supposés être les plus crédibles. À défaut, l’audience se tourne nécessairement aux médias sociaux, qui ne sont pas forcément impartiaux. «Tout cela est assez dangereux, parce que si on croit que la vérité est inaccessible, souvent, on cesse de s’en préoccuper ou on cesse de s’en soucier», affirme Kelly McBride.

La tentative d’Israël de gagner la guerre de l’information en ligne s’inscrit dans une tendance croissante des gouvernements du monde entier à agir de manière agressive en ligne afin de façonner leur image, en particulier en temps de crise. Les campagnes de relations publiques pendant et autour des guerres ne sont pas nouvelles. Mais, payer pour de la publicité en ligne ciblée sur des pays et des données démographiques spécifiques est désormais l’un des principaux outils dont disposent les gouvernements pour faire passer leurs messages au plus grand nombre de personnes.

En un peu plus d’une semaine, le ministère israélien des Affaires étrangères a diffusé 30 publicités vues plus de 4 millions de fois sur X (anciennement Twitter), selon les données de la plateforme. Les vidéos et photos payantes apparues le 12 octobre étaient destinées aux adultes de plus de 25 ans à Bruxelles, Paris, Munich et La Haye, selon les mêmes données.

«Nous sommes le peuple de la lumière, eux sont celui des ténèbres» : l’inquiétant discours de Netanyahu

C’est un discours aux accents messianiques qu’a livré mercredi soir le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu. «Ils sont le peuple des ténèbres, et la lumière triomphe des ténèbres», a affirmé le chef de l’État hébreu ajoutant avoir «une croyance profonde dans l’éternité du peuple juif» et promettant ensuite de «réaliser la prophétie d’Isaïe».

Une rhétorique violente qui prépare l’opinion à une escalade de la violence, alors que l’invasion terrestre de Gaza a été annoncée ?

«Nous sommes le peuple de la lumière, eux sont celui des ténèbres» : l’inquiétant discours de Netanyahu

Sur YouTube, le ministère israélien a publié plus de 75 publicités différentes, dont certaines sont particulièrement explicites. Ils s’adressent aux téléspectateurs des pays occidentaux – notamment en France, en Allemagne, aux États-Unis et au Royaume-Uni – et ont été diffusés entre l’attaque initiale du Hamas, le 7 et le 16 octobre, selon la base de données de transparence de Google.

«Nous n’aurions jamais publié des choses aussi graphiques auparavant», a déclaré un porte-parole de la mission israélienne auprès de l’Union européenne, qui a bénéficié de l’anonymat auprès de Politico pour des raisons de sécurité afin de pouvoir parler franchement. «C’est quelque chose qui ne fait pas partie de notre culture. Nous avons beaucoup de respect pour les défunts», a-il déclaré.

La campagne publicitaire a posé certains défis aux sociétés de médias sociaux, qui ont établi des normes quant au type de contenu pouvant être publié sur leurs flux. Il convient de noter qu’aucune publicité similaire n’était diffusée sur Instagram, Facebook, LinkedIn et TikTok, selon les bibliothèques de publicités publiques des plateformes lundi.

Ce qui semble échapper à Israël, c’est que dans sa quête pour détruire le Hamas, l’État hébreu fait de tous ceux qui survivront le visage de la résistance de demain. Une résistance qu’aucune armée au monde ne pourra détruire, car elle aura déjà tout perdu.

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