Cover chronique HARMONIE
Anass Hajoui Publié le 11/12/25 à 10:39
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Tenir pour tous

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Il y a des rôles que personne n’attribue, mais que certains finissent par endosser naturellement. Ce sont ceux qui tiennent le cadre, qui apaisent les tensions, qui organisent ce qui déborde, qui absorbent ce qui n’a pas été prévu. Ils avancent sans bruit, sans plainte, parce qu’ils savent que s’ils s’arrêtent, tout autour d’eux ralentit. Leur présence rassure autant qu’elle stabilise, et chacun s’y habitue sans vraiment s’en rendre compte.

Ils ne portent pas seulement leurs responsabilités. Ils portent celles que les autres ne veulent pas voir. Ils traduisent, résument, expliquent, anticipent. Ils gèrent les détails pour que les autres puissent penser à l’essentiel, et l’essentiel pour que les autres puissent continuer. Leur charge n’est pas écrite dans un organigramme. Elle s’installe avec le temps, jusqu’à devenir une évidence.

Ce rôle n’a rien d’héroïque. Il a tout d’humain. Il demande de rester disponible même quand on est fatigué, de comprendre même quand tout manque de clarté, de protéger même quand personne ne voit la tempête arriver. Ceux qui tiennent ainsi apprennent à cacher leur propre surcharge. Ils cadrent le réel avant de s’accorder le droit d’exister dans ce réel. Ils sont fatigués, parfois, mais jamais fatals.

Le poids qu’ils portent n’est pas spectaculaire. Il ne se mesure ni en heures ni en missions. Il se mesure dans ce qu’ils empêchent : un conflit de s’installer, un retard de devenir un blocage, une confusion de prendre toute la place. Leur rôle est préventif, discret, essentiel. Et parce qu’il fonctionne bien, il passe souvent inaperçu.

Avec le temps, cette charge crée une forme de fatigue particulière : celle de devoir être solide même quand l’intérieur vacille. Non pas par orgueil, mais par réflexe. Parce que la solidité est devenue leur manière d’exister. Ils ne demandent pas d’aide, non par refus, mais parce qu’ils n’ont jamais appris à en formuler le besoin.

Le pays en compte beaucoup. Des hommes et des femmes qui font tourner des équipes, des familles, des projets, sans demander qu’on les regarde. Leur force est réelle, mais elle n’est pas infinie. Elle mérite d’être reconnue, ne serait-ce qu’une fois, pour rappeler que la stabilité n’est jamais le fruit du hasard.

Tenir pour tous a un coût. Le comprendre est déjà une manière d’en alléger le poids.

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