Comprendre la délinquance, aux origines de ce fléau social qui touche les jeunes

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Comprendre la délinquance, aux origines de ce fléau social qui touche les jeunesDes supporters s’affrontent lors du match de quart de finale de la Ligue des champions de la CAF entre le Raja Casablanca du Maroc et Al Ahly d’Égypte au stade Mohammed-V de Casablanca, le 29 avril 2023. © FADEL SENNA/AFP

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Les incidents violents dans les stades, qu’ils soient liés au football ou à d’autres sports, ne sont pas des phénomènes isolés. Ils reflètent des problématiques sociales plus profondes, mêlant délinquance juvénile, carences éducatives et dysfonctionnements institutionnels.

Pour comprendre ces violences, il faut s’appuyer sur deux approches complémentaires : celle de Sébastian Roché, criminologue français spécialiste de la délinquance des jeunes, et celle d’Abderrahim Bourkia, sociologue marocain expert en sociologie du sport. Leurs analyses, bien que contextualisées différemment, convergent vers un constat commun : la violence dans les stades est le symptôme d’un malaise social plus large.

La délinquance des jeunes comme terreau des violences en stade

Sébastian Roché, dans son étude sur la délinquance des jeunes, met en lumière des mécanismes criminogènes transposables aux violences dans les stades. Selon lui, la délinquance prospère dans un contexte de «laxisme social et de désarmement moral des citoyens». En effet, l’expert explique que «le laxisme a introduit dans les esprits des délinquants l’idée qu’il existerait un droit au vol : dans cette optique, les victimes qui résistent doivent être punies!». Les jeunes délinquants, majoritairement des garçons, agissent par goût du risque, recherche de prestige ou réponse à un sentiment d’exclusion, argumente-t-il. Ces motivations se retrouvent chez certains supporters violents, qui voient dans les affrontements un moyen d’affirmer leur domination ou de venger des humiliations, notamment lorsqu’il s’agit des défaites sportives ou encore des discriminations perçues.

À cet égard, le criminologue insiste sur l’absence de freins efficaces, tant sociaux que judiciaires. «La police et la justice, débordées, peinent à identifier et à sanctionner les auteurs, créant un sentiment d’impunité», souligne-t-il. Ce constat s’applique aux stades, et ce, malgré les mesures sécuritaires, les arrestations restent rares après des incidents, encourageant ainsi la récidive. Par ailleurs, le criminologue souligne le rôle clé de la famille et de l’éducation. Pour lui, les jeunes issus de milieux défavorisés ou de familles déchirées sont surreprésentés dans les statistiques de délinquance, une réalité observable aussi parmi les supporters radicaux.

Enfin, Sébastian Roché déplore le fait que «la vulnérabilité des cibles comme facteur déclencheur». Dans les stades, l’anonymat de la foule et la faiblesse des contrôles facilitent les passages à l’acte. Concrètement, «la violence devient la méthode la plus efficace pour les délinquants. Pour eux, celui qui est incapable de réagir est un faible et suscite le mépris. Toutefois, il semble que le fait de ne pas résister au vol ne protège pas de la violence, mais au contraire la suscite», précise l’expert. Dans le cas des matchs, les supporters rivaux ou les forces de l’ordre, perçus comme des symboles d’autorité, deviennent alors des cibles privilégiées.

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Portrait type du délinquant, selon les professionnels en psychologie

L’ouvrage Psychologie de la délinquance (Éditions Boeck, 2017) analyse un cas typique de parcours délinquant à travers le récit de Robert (nom fictif), dont le profil illustre l’interaction entre carences éducatives, vulnérabilités psychologiques et influences environnementales. Dès sa naissance, Robert grandit dans un contexte familial marqué par l’instabilité : ses parents sont séparés, son père absent, et sa mère, employée comme femme de ménage à mi-temps, peine à imposer des limites. Bien que décrite comme «douce et trop permissive», cette dernière ne parvient pas à corriger les comportements déviants de son fils, malgré des ressources financières «modestes mais suffisantes».

Le parcours scolaire de Robert est chaotique : orienté vers l’enseignement spécialisé, il en est exclu après six ans, puis échoue dans plusieurs apprentissages. À 11 ans, il commet son premier vol, basculant progressivement dans une spirale de vandalisme et de délits. L’ouvrage souligne qu’il «intériorise des valeurs déviantes, tout en conservant des modèles infantiles». Les auteurs précisent que si Robert pourrait être qualifié de «psychopathe, le terme caractériel est plus adapté, compte tenu de son immaturité affective et de ses difficultés d’adaptation sociale».

Lors de son placement en institution de rééducation, les évaluations médicales et psychologiques révèlent d’autres fragilités : constitution faiblarde, nervosité accrue, et irrégularité cardiaque légère. Son bilan cognitif, notamment au test de Wechsler, montre un QI de 68, résultat extrêmement bas qui est davantage lié à une dispersion de la pensée et à un manque de persévérance qu’à une déficience intellectuelle profonde. En atelier, les travaux de Robert sont médiocres et se montrent incapable de suivre les consignes, bien qu’il réagisse positivement aux encouragements. L’ouvrage relève aussi son égocentrisme marqué, attribué à l’absence paternelle et à la surprotection maternelle : «La mère, en se centrant excessivement sur ce fils turbulent, a renforcé son incapacité à considérer autrui».

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Les violences sportives sont révélatrices d’un malaise structurel

Abderrahim Bourkia, sociologue marocain, analyse les violences dans les stades comme le reflet de défaillances systémiques. Au Maroc, les récents incidents au stade Mohamed V illustrent cette dynamique. Pour Abderrahim Bourkia, ces affrontements ne sont pas le fait de simples «voyous», mais découlent d’un «enchaînement de facteurs», notamment, le manque d’accès à la culture et au sport pour les jeunes, gestion opaque des clubs et instrumentalisation complotiste.

Dans ce sens, le sociologue insiste sur le rôle des institutions. Les clubs, souvent dirigés comme des associations opaques, ne jouent pas leur rôle éducatif. Les supporters, livrés à eux-mêmes, sont facilement manipulés par des acteurs externes tels que des réseaux criminels. Abderrahim Bourkia critique également le fait que la priorité donnée aux mesures sécuritaires sans actions préventives expliquant «qu’une chaîne d’intervenants dont quiconque faille à sa tâche se répercute sur l’autre». La gestion des flux ou l’évacuation des publics rivaux, par exemple, relèvent d’une coordination défaillante entre police, clubs et autorités locales.

Enfin, le sociologue, spécialiste du sport, évoque l’impact des inégalités socio-économiques. Les jeunes des quartiers défavorisés, privés de perspectives, trouvent dans les groupes de supporters une identité et un exutoire à leur frustration. Les réseaux sociaux exacerbent ces tensions, servant de caisses de résonance aux discours haineux. Pour le sociologue, la solution passe par des politiques publiques intégrées : accès au sport dès l’enfance, encadrement des médias et responsabilisation des clubs.

 

Pour le criminologue Sebastien Roché, la priorité est de rétablir l’autorité, qu’elle soit familiale ou judiciaire, sans oublier de sanctionner systématiquement. Le sociologue Abderrahim Bourkia plaide pour une approche holistique, notamment par la mise à la disposition des jeunes des infrastructures sportives, une éducation civique, et une transparence dans la gestion des stades.

Les violences dans les stades ne se résument pas à des débordements ponctuels. Elles révèlent des fractures sociales profondes et des carences institutionnelles. Comme le résume Abderrahim Bourkia, «le conflit est intergénérationnel, mais aussi intersocial et culturel». En combinant les analyses de Sébastien Roché et de l’expert marocains, il est donc possible d’envisager des solutions durables, comme la prévention dès le plus jeune âge, la sanction des dérives, et surtout, restauration d’un projet dans lequel le sport redevient un vecteur d’intégration plutôt que de division.

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