Scandale du chlorure de potassium : vrai risque sanitaire ou tempête politique ?

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Scandale du chlorure de potassium : vrai risque sanitaire ou tempête politique ?Abdellah Bouanou, chef du groupement parlementaire PJD à la Chambre des représentants © DR

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La polémique est là et l’opinion publique s’emballe. L’affaire du chlorure de potassium, lancée au Parlement, secoue le secteur pharmaceutique et les cercles politiques… Enfin, pas vraiment. Qu’en est-il réellement ? Une menace pour la santé publique… ou une simple instrumentalisation politique à l’approche des élections ? Analyse avec l’éclairage de Abdelmajid Belaiche.

Le chlorure de potassium (KCl)… Ca paraît énorme. Ce n’est qu’un simple produit banal, peu coûteux, mais vital ! La polémique a été lancée il y a quelques jours par le député PJD Abdellah Bouanou. Selon lui, le ministère de la Santé aurait accordé une autorisation d’importation à une entreprise liée à un membre du gouvernement, profitant d’une situation de pénurie.

L’exécutif a immédiatement répliqué, évoquant une mise en cause infondée, « portant atteinte aux efforts de sécurité médicamenteuse ». Et pour lever toute ambiguïté, le gouvernement a même saisi le Parlement pour une réunion d’explication autour de ce dossier sensible.
La question est évidemment, y a-t-il vraiment matière à scandale ?

Avant de parler de soupçons, encore faut-il comprendre le produit au cœur du débat. Le chlorure de potassium, c’est un peu « le sel de cuisine du milieu médical », explique Abdelmajid Belaiche, expert du marché pharmaceutique et ex-DG de l’AMIP. Un produit simple, ancien ET indispensable « Une baisse du potassium dans le corps, et même le cœur peut flancher. Le chlorure de potassium joue un rôle vital dans les échanges électriques des cellules ».

Dans les blocs opératoires, les services de réanimation ou d’anesthésie, c’est un médicament essentiel. Essentiel, mais loin d’être rentable. Selon l’expert, le chlorure de potassium ne coûte trois fois rien et c’est précisément pour cela qu’aucun laboratoire ne veut le fabriquer. Pendant des années, un seul laboratoire marocain acceptait de produire ce médicament, non pas grâce à un monopole accordé, mais faute de concurrents intéressés. Or, ce laboratoire a temporairement arrêté sa production pour travaux d’extension, il y a donc une pénurie nationale.

ATU, importations et réalité du marché

Donc face à l’arrêt de production du chlorure de potassium, l’Agence marocaine du médicament a dû agir rapidement. Les options étaient limitées, reprendre la production locale (mais cela prend du temps), ou importer temporairement le produit.

C’est ici qu’intervient l’Autorisation temporaire d’utilisation (ATU). « L’ATU est donnée quand il n’y a pas d’Autorisation de mise sur le marché. C’est une procédure d’urgence, normalement utilisée pour les innovations thérapeutiques… mais dans les faits, elle peut être utilisée pour tout produit vital en situation exceptionnelle », détaille Belaiche.

Dans le cas présent, l’ATU n’a rien d’illégal. Au contraire, c’est la seule manière d’éviter une rupture dangereuse pour les patients. « Il y a un problème vital. On ne peut pas priver les Marocains d’un produit essentiel ».

Selon lui, le ministère n’avait pas le choix. Face à l’urgence, le recours aux ATU était logique, indispensable et conforme à la loi. Le point sensible soulevé par Bouanou concerne l’entreprise Pharmaprom, dont l’un des principaux actionnaires serait un membre du gouvernement, ministre de l’Education nationale, du Préscolaire et des Sports, Mohamed Saad Berrada. Pour le député, le lien suffit à faire suspecter une relation privilégiée.

Prenons les choses étape par étape, sans parti pris. Il y a un manque médicamenteux vital, celui du chlorure de potassium, aucun laboratoire ne veut le produire puisqu’il n’est pas rentable, une ATU est diffusée avec appel d’offre, un laboratoire propose d’importer ce produit sans intérêt de rentabilité, puisque très peu cher. « Est-ce que ce laboratoire a eu l’ATU parce que Berrada est actionnaire ? Non. Qu’il y ait ou non Berrada, il aurait obtenu l’ATU du moment qu’il acceptait d’importer un produit sans intérêt économique », explique l’expert pharmaceutique.

Dans les faits, l’appel d’offres était ouvert, tout laboratoire répondant aux normes pouvait importer le chlorure de potassium, plusieurs entreprises pouvaient candidater, aucune n’a été exclue. Et surtout, le point à retenir dans ce cas précis, c’est que le marché ne valait presque rien. « Il n’y a aucun enjeu financier. C’est un produit trop bon marché pour susciter des convoitises ».

Une polémique gonflée par le contexte électoral

Pour Belaiche, le vrai risque n’est pas dans l’ATU, mais ailleurs. « Le vrai scandale, ce n’est pas cette importation. Le vrai scandale, c’est que le business et la politique sont trop imbriqués ». Il ne couvre personne. Il ne protège aucune institution. Il dénonce plutôt un problème structurel, antérieur au cas du chlorure de potassium. Normalement, un homme politique ne dirige pas de business sensible, un homme d’affaires n’occupe pas de poste politique impliquant des décisions économiques. Au Maroc, avec le gouvernement actuel, cette séparation est floue. Très floue.

Et l’affaire du chlorure de potassium, n’est que la résultante de tout cela. Ce qui est redoutable là, ce n’est pas la pénurie, ni l’ATU, ni même l’implication d’un actionnaire-ministre. C’est l’instrumentalisation. Evidemment, les élections approchent. Tout le monde commence à s’agiter. Or ici, selon notre expert, aucune irrégularité manifeste n’a été commise, le processus est légal, aucune atteinte à la sécurité sanitaire n’a été relevée et le risque financier est quasi nul. La crise existe, oui, mais pour cette affaire, et seulement pour celle-ci, il ne s’agit que d’une crise d’approvisionnement.

Alors, scandale ou simple emballement politique ?

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