Bonneterie : entre fragilités systémiques et potentiel transformateur

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Bonneterie : entre fragilités systémiques et potentiel transformateurPhoto illustration © DR

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À l’heure où les économies du Sud méditerranéen cherchent à renforcer leur résilience et à créer des emplois durables, le Maroc mise sur ses filières industrielles stratégiques. Parmi elles, le secteur du textile et de l’habillement occupe une place de choix. En son sein, la bonneterie se distingue non seulement par son poids économique, mais aussi par son potentiel de transformation sociale. Avec près de 200.000 salariés formels, dont 70% de femmes, cette branche du textile constitue un vivier d’emplois essentiels, notamment pour les jeunes et les catégories vulnérables. Elle reste aussi l’une des principales sources d’exportations industrielles du pays, contribuant à plus de 10% des exportations marocaines de biens en 2022, selon l’Office des changes.

Mais derrière ces chiffres flatteurs se cachent de profondes fragilités : dépendance excessive aux matières premières importées, compétitivité en baisse face à l’Asie, organisation productive obsolète, poids croissant du secteur informel. C’est dans ce contexte que l’Organisation internationale du Travail (OIT), avec le soutien de l’Union européenne, a lancé une étude approfondie dans le cadre du programme Travera. Celle-ci analyse en détail la chaîne de valeur du secteur de la maille, de la matière première importée jusqu’au produit fini exporté, afin d’identifier les leviers de modernisation, les zones de blocage et les opportunités de création d’emplois décents. Menée en 2023 et 2024, cette enquête s’appuie sur une méthodologie participative, associant acteurs publics, fédérations professionnelles, entreprises de toutes tailles et syndicats.

Un poids économique significatif, mais une structure fragile

Le secteur de la bonneterie contribue de manière significative à l’économie marocaine. En 2023, il affichait un chiffre d’affaires à l’export de 8,9 milliards de dirhams et employait près de 200.000 personnes, dont 70% de femmes. Mais cette vitalité apparente masque des fragilités structurelles.

Tout d’abord, le secteur dépend massivement des importations pour ses matières premières : 85% des intrants sont importés, essentiellement de Turquie et de Chine. Ce déséquilibre affaiblit la compétitivité de l’offre marocaine, notamment en période de perturbations des chaînes logistiques mondiales.

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Par ailleurs, la branche souffre d’un amont industriel sinistré. De nombreuses filatures marocaines, jadis prospères, ont disparu, victimes d’une libéralisation excessive, d’un manque d’investissements et de la concurrence étrangère. Aujourd’hui, l’essentiel de l’activité se concentre sur la confection, avec une valeur ajoutée limitée.

L’export, locomotive à double tranchant

Toutefois, le secteur de la maille est orienté à 95% vers l’export, avec une forte dépendance à l’égard de l’Espagne, qui absorbe 61% des exportations, principalement grâce au géant Inditex, propriétaire des enseignes Zara, Bershka, Massimo Dutti, entre autres. Ce partenariat privilégié permet au Maroc de répondre aux exigences du marché européen en termes de délais et de qualité.

Cependant, cette position de sous-traitant, souvent rémunérée à la tâche dans un cadre précaire, freine la montée en gamme des entreprises marocaines. Le modèle dominant de la fast fashion, déjà remis en question sur les plans environnemental et éthique, rend les acteurs nationaux vulnérables face aux fluctuations de la demande et à la baisse des marges.

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Défis environnementaux et sociaux majeurs

Le rapport pointe également du doigt les faibles performances environnementales du secteur. Peu d’entreprises respectent les normes européennes en matière de gestion des déchets, d’usage des énergies renouvelables ou de traçabilité. Or, ces critères deviennent incontournables pour accéder aux marchés internationaux.

Sur le plan social, si la bonneterie joue un rôle central dans l’intégration des femmes et des jeunes en milieu urbain et périurbain, les conditions de travail restent souvent précaires, avec des salaires faibles, de longues heures de travail et un poids important du secteur informel. La formalisation de l’emploi et l’amélioration des conditions de travail constituent des axes prioritaires pour renforcer l’impact positif de la filière.

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Des opportunités à saisir : formation, innovation et revalorisation locale

Malgré les obstacles, le rapport met en lumière plusieurs leviers de transformation. L’un des principaux est la polyvalence de la main-d’œuvre. La majorité des lignes de production fonctionnent avec des ouvrières peu formées à plusieurs postes, ce qui limite la productivité. Des investissements dans la formation professionnelle permettraient d’accroître l’efficacité, de réduire les coûts et d’améliorer les délais de livraison.

De plus, l’étude recommande de valoriser les marques locales et de renforcer le branding Made in Morocco. Actuellement, le marché intérieur est dominé à 90 % par des produits importés, en raison du manque de marques nationales compétitives. Une montée en puissance du design, de l’innovation et du marketing numérique pourrait changer la donne.

Enfin, la création de zones industrielles intégrées, combinée à une meilleure gouvernance sectorielle et à des incitations à l’investissement vert, permettrait de repositionner le Maroc sur une trajectoire de développement durable.

 

L’étude TRAVERA dresse un portrait nuancé du secteur de la bonneterie au Maroc, une filière à fort potentiel, mais prisonnière d’un modèle productif obsolète, trop dépendant de l’étranger et peu intégrée localement. Pour que la maille marocaine devienne un vecteur durable de croissance et d’emploi décent, une transformation en profondeur s’impose : relocalisation d’une partie de l’amont, montée en compétences de la main-d’œuvre, digitalisation, innovation et respect accru des normes sociales et environnementales.

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