C’est reparti pour la rentrée des écoles. C’est l’heure pour les papeteries de quartier, les manuels flambants neufs, les cartables Made in China qui ne dureront pas une saison et, au grand dam des parents, pour des cahiers qui, tenez-vous bien, ont vu leur prix grimper de 10%. Eh bien quoi ? Ils grandissent en même temps que vos enfants. Il le faut bien, vu la panne générale dans le public, se rabattre sur le privé est un choix par défaut. Ce mois de septembre promet d’être long et douloureux.

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L’histoire des écoles privées débute en avril, parce qu’il va falloir signer le premier chèque de réinscription à cette période. Puis le second, relatif au premier trimestre, avant le 1ᵉʳ septembre. Pas même un pied dans la classe, que les parents passent déjà à la caisse.

À Casablanca, Rabat ou Agadir, difficile de trouver une famille de la classe moyenne qui ne sacrifie pas une partie de son salaire pour payer entre 1.500 et 6.000 dirhams par enfant et par mois, parfois beaucoup plus. Certaines structures dites « haut de gamme » dépassent allègrement les 6.000 ou 7.000 dirhams, sans compter les frais annexes comme l’inscription à partir de 4.000 dirhams, le transport scolaire entre 400 à 600 dirhams par mois, la cantine (200 à 800 dirhams par enfant). Ajoutez à cela les fournitures, dont les prix semblent grandir en même temps que vos enfants et la rentrée se transforme en gouffre financier !

Fournitures scolaires : prix stables pour certains articles, hausse pour d’autres

Pourquoi ce recours massif au privé ? Il le faut, à en croire les témoignages, car l’école publique devient de moins en moins une option envisageable. Terminé le temps où l’on y inscrivait ses enfants pour avoir un bon apprentissage de l’arabe et de la discipline. Pourtant, des réformes ont bien tenté de redorer cette image.

Un projet tué dans l’œuf ? Trop tôt pour le dire.

Le public n’inspire plus confiance. C’est un fait. Des classes de 45 à 50 élèves, des établissements ruraux sans eau ni sanitaires dignes de ce nom, des grèves à répétition qui font perdre des semaines de cours… Difficile de croire que l’avenir d’un pays se joue entre ces murs. Les résultats parlent d’eux-mêmes avec, notamment, le dernier classement PISA 2022, quand le Maroc figurait parmi les cinq derniers sur 81 pays en lecture, mathématiques et sciences. Et dire qu’on pensait être une nation de matheux.

Le directeur d’un grand groupe scolaire privé, ayant pignon sur rue à Casablanca, le reconnaît sous couvert d’anonymat « Un parent qui paie moins de 1.500 dirhams par mois se ment à lui-même. Avec de tels tarifs, vous n’avez pas des professeurs qualifiés, mais des diplômés au rabais, parfois payés moins qu’un employé de centre d’appel ». Les mots sont crus, mais ils démontrent bien que l’éducation est devenue un marché, avec ses gammes tarifaires et ses promotions (tarifaires aussi).

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Les grands groupes augmentent leurs tarifs d’environ 5% tous les deux ans, invoquant la hausse des salaires des enseignants (qui peuvent toucher entre 6.000 et 28.000 dirhams selon le niveau, la matière et… la nationalité !), l’inflation sur les charges ou encore l’évolution des programmes. Les petites écoles, elles, ont surtout recours à certaines pratiques comme les salaires au noir, les enseignants sous-qualifiés, les négociations au cas par cas avec les parents…

Femme de ménage et mère d’un enfant de 11 ans, Fatna nous explique que le maximum qu’elle puisse mettre dans le budget scolaire c’est 600 dirhams. Dix dirhams de plus et son équilibre budgétaire s’effondre. C’est dire combien la facture scolaire pèse lourd, parfois plus que le loyer ou la nourriture.

Et pourtant, qui dit payer, ne dit pas forcément avoir accès à la qualité…

La facture qui fait vaciller le budget

En moyenne, chaque année, une famille qui inscrit son enfant dans le privé, doit débourser entre 800 et 4.000 dirhams pour les fournitures scolaires et les manuels. Le budget familial va même plus loin s’il s’agit d’un établissement dit « haut de gamme ». Là, on parle de frais dépassant les 4.000 dirhams. À titre d’exemple, les écoles françaises demandent chaque année des manuels dont les prix varient entre 250 et 450 dirhams. Sans parler de ces calculatrices scientifiques qui, une fois le bac passé, prennent la poussière dans un coin de la maison !

Si l’État arrive à maîtriser ce segment, le privé, lui, échappe à toute régulation. Ajoutons à cela le grand marché des écoles pionnières qui réclament des fournitures introuvables… sauf chez eux ! Il suffit de passer à la caisse.

On est très loin du simple cartable. Aujourd’hui, le Maroc rapporte que, selon certains parents, la rentrée peut « dépasser le SMIG », forcés de contracter un crédit scolaire ou même vendre des biens domestiques pour pouvoir payer les frais de scolarité, les fournitures, les vêtements, la cantine, le transport…

Le privé, un piège doré

L’école privée est perçue comme un ascenseur social, mais elle peut offrir un billet première classe pour le surendettement des ménages. Les parents y voient un espoir, meilleure pédagogie, multilinguisme, réseaux, mais payent souvent pour la marque plus que pour la qualité. Sans parler du fait que dans certaines zones urbaines, ne pas inscrire ses enfants dans le privé devient « presque » socialement inacceptable.

Et puis, le fossé public–privé s’est creusé sur la qualité et sur la confiance. Que reste-t-il comme argument ? Pas grand-chose. Une grande partie de la société moyenne considère qu’un enfant mis dans le public est carrément « abandonné » selon les termes d’un professeur du privé. Et ce, malgré une scolarisation primaire quasi universelle (frôlant les 100%). Le collège décroche déjà à 87,6%, et le lycée à 61,1%. Ça prouve que l’escalade éducative se casse les dents au second palier.

Du côté de la déperdition scolaire, les chiffres sont alarmants. Selon des retours de terrain, jusqu’à 17% d’abandons scolaires en zone rurale, contre un taux plus acceptable en ville.

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Mais ce n’est pas seulement la ruralité. Le système sature, les enseignants sont souvent mal formés, mal payés et les méthodes pédagogiques remonteraient presque à Mathusalem. L’État tente de reprendre la main grâce à des méthodes ciblées comme Teaching At the Right Level (TARL), formule indienne qu’il a portée à 300.000 élèves dans 600 écoles primaires pionnières, avec des progrès mesurables en mathématiques, en français et en arabe au bout de deux mois. Ça ne réforme pas le système dans sa globalité, mais ça sauve quelques régions du naufrage.

Sinon, pour le reste, c’est une perte de foi collective qui est alimentée par les grèves répétées, le manque chronique de matériel dans les écoles rurales, le turn-over des enseignants, l’impression d’un service public à l’abandon. Alors, beaucoup préfèrent céder à la tentation du privé.

Pire, cette désaffection ne s’arrête pas aux parents. Certains enseignants quittent le public pour le privé, entraînant un exode des talents ! Un cercle vicieux dans lequel le privé attire le meilleur, le public pâtit, donc perçu comme pire, donc fuit encore plus.

Bref, l’école publique souffre d’un déficit de crédibilité plus que de structures. On peut lui reprocher ses murs lézardés, ses classes de 50 élèves, son mobilier ancestral et son manque d’espoir et de visibilité pour les élèves. Quand un parent entend parler d’un prof absent depuis trois semaines, d’un programme zappé, d’une simple photocopie des manuels que l’enseignant vend à l’unité, il ne croit plus vraiment à l’ascenseur social public.

Mais il semblerait, parallèlement, que malgré l’absence de choix pour les parents, ces derniers n’acceptent plus l’abus des écoles privées, en termes de frais. Cette année, pour la rentrée 2025, une légère accalmie semble apparaître dans les établissements privés, y compris des missions. Après des années d’augmentation parfois abusive, la tendance serait à la modération, du moins selon des signaux officieux relayés par la presse. Ce n’est pas rien, puisque les écoles privées, sans garde-fous, ont un pouvoir de marché disproportionné, avec des frais fixés au gré des opportunités, sans contrôle ni baromètre clair ! Pour le dire clairement, le public tombe et le privé en profite.

Le gouvernement a tenté de combler ces disparités via le PLF 2025 avec 2,3 milliards de dirhams investis dans 181 nouvelles écoles, 2.094 salles de classe, centaines de rénovations, internats, branchements d’eau, de sanitaires, de clôtures… Le tout réparti entre urbain et rural (31 établissements prévus pour Casablanca-Settat et une attention particulière portée sur des régions isolées comme Drâa-Tafilalet ou Laâyoune-Sakia El Hamra).

Une bonne initiative, mais à poursuivre sur le fond. Les résultats du RGPH 2024 sont encourageants, puisque la durée moyenne de scolarisation a augmenté à 6,3 ans. Si l’analphabétisme descend à 24,8%, les zones rurales restent en retrait, malgré des progrès (surtout pour les filles).

L’égalité des chances se fait rare et cette situation nourrit un sentiment de fatalité !

Le business juteux de l’école

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la loi 06-00, cadre actuel du secteur, inscrit une logique de libre concurrence © Conseil de la concurrence

L’éducation est devenue un produit à vendre, c’est tout. Les écoles privées sont, quant à elles, des marques qui vendent du prestige plus que du savoir. Ce qui était jadis un droit s’est transformé en un marché. Commençons par un fait frappant. Le secteur éducatif privé au Maroc est aujourd’hui à but majoritairement lucratif, avec 80% des établissements qui sont financés par les familles et non par des mécènes, des États, ou des entités à but non lucratif. En parallèle, selon une enquête du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS), les ménages consacrent en moyenne 2.679 dirhams par mois et par enfant à l’éducation, un poste de dépense qui peut grimper jusqu’à 3.454 dirhams au niveau du secondaire qualifiant. Autant dire que l’école privée pèse gros… trop gros.

Le cadre juridique du privé est en partie responsable. En effet, la loi 06-00, cadre actuel du secteur, inscrit une logique de « libre concurrence ». Les tarifs ne sont pas plafonnés par l’État, mais fixés selon l’offre et la demande. Cela donne donc lieu à une compétition où la qualité du service importe moins que l’image de marque, l’accès aux réseaux, ou la localisation.

Sans parler des frais cachés qui s’ajoutent à l’inscription comme les assurances, les activités parascolaires, les 5 uniformes à acheter pour ne jamais en manquer… sans aucune obligation de transparence. Certains établissements restent volontairement vagues sur leurs tarifs. Ce déséquilibre profite aussi à une marchandisation de l’éducation.

Face à ce constat, certains acteurs publics tentent de réagir. En 2024, une « réunion stratégique » entre le ministre Chakib Benmoussa et les représentants du privé a abouti à l’élaboration d’un contrat type à signer entre établissements privés et familles. Ce document vise à garantir les droits des deux parties, prévenir les conflits et stabiliser les frais de scolarité.

Frais de scolarité : fini l’anarchie dans le privé !

Le Conseil de la Concurrence, dans son avis, a lui aussi tiré la sonnette d’alarme. Le marché privé est trop fragmenté, trop déséquilibré et il manque des mécanismes pour que les ménages puissent vraiment choisir de manière éclairée. Le Conseil recommande de revoir le cadre juridique, renforcer la concurrence loyale, permettre un accès équitable et lier l’offre éducative aux modèles de développement régional. Parce que là, le secteur privé est à la fois indispensable et toxique.

Le budget dédié à l’éducation a grimpé à un niveau jamais vu avec plus de 85 milliards de dirhams selon la loi de finances 2025, contre seulement 68 milliards en 2019. Cet élan budgétaire est présenté comme une réponse. Mieux encore, le programme des écoles pionnières a bien avancé cette année avec 2.626 écoles primaires (1,3 million d’élèves concernés, soit 30%) et une extension au collège avec 323 établissements, bientôt 730 en 2025-2026.

Les élèves appartenant aux écoles pionnières ont obtenu lors des évaluations des résultats meilleurs par rapport à plus de 82% des élèves qui ne bénéficient pas de ce programme.
Aziz Akhannouch, chef du gouvernement, le lundi 19 mai 2025, devant la Chambre des Représentants.

Le modèle fonctionne, donc, mais pas encore partout. Il faudrait donc le généraliser.

À ceci s’ajoute l’utilisation de l’intelligence artificielle pour identifier les élèves à risque de décrochage, avec un modèle atteignant 88% de précision. Ce n’est pas de la science-fiction, c’est du tangible, si le système public adopte ce genre d’outil, avec une détection précoce, il peut transformer la prévention et la remédiation de manière radicale.

Le Maroc de 2025 dispose des plans, des moyens et même d’initiatives technologiques très prometteuses avec ses écoles pionnières, sa numérisation, sa réforme législative, ses infrastructures… Il faut juste que l’éducation redevienne une affaire d’équité et non de mal-être social, que l’école publique soit un choix principal et non par défaut.

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