France-Algérie : la tension atteint un nouveau sommet

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Macron appelle à suspendre l’accord de 2013 sur les visas avec l’AlgérieDrapeau de l'Algérie et la France © DR

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La crise diplomatique entre la France et l’Algérie prend une tournure encore plus intense, avec de nouvelles menaces de sanctions. Ce rebondissement marque un nouveau chapitre dans l’escalade des tensions entre les deux nations.

Cette semaine, la crise diplomatique entre l’Algérie et la France prend une nouvelle tournure. L’Algérie a rejeté catégoriquement la liste de ressortissants algériens à expulser, soumise par Paris quelques jours auparavant, intensifiant ainsi le bras de fer entre les deux pays. Paris a réagi en annonçant des représailles, tandis qu’Alger maintenait son rejet ferme, promettant de ne pas céder aux pressions françaises.

Ce nouvel affrontement n’est pas survenu de manière isolée. Tout a commencé avec la reconnaissance, par le président français Emmanuel Macron, du plan d’autonomie pour le Sahara proposé par le Maroc. À cela s’ajoute le refus de l’Algérie de récupérer certains ressortissants expulsables, dont l’un est lié à un attentat mortel à Mulhouse en février dernier.

Les tensions se sont encore exacerbées en novembre dernier avec l’incarcération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Ce dernier, accusé d’avoir tenu des propos jugés contraires à l’intégrité du territoire algérien, a enflammé les relations déjà fragiles entre Paris et Alger. Tous ces événements ont illustré la détérioration progressive des liens diplomatiques, qui se sont accélérés après des déclarations publiques acerbes de part et d’autre. En dépit de la volonté affichée par Emmanuel Macron d’apaiser la situation en appelant à une « modernisation » des accords de 1994, la crise semble, au contraire, s’intensifier, menaçant de devenir un nouveau point de non-retour dans les relations entre les deux pays.

Rien ne va plus entre la France et l’Algérie

Le rejet de la liste et la position d’Alger

Le ministre algérien des Affaires étrangères a déclaré que le pays refusera d’examiner la liste de 60 noms d’Algériens soumise par la France. Cette liste, remise le 14 mars dernier à l’ambassadeur d’Algérie à Paris, comprend des ressortissants jugés indésirables, principalement des personnes condamnées pour des faits criminels et des troubles à l’ordre public. Selon le communiqué du ministère algérien, cette décision s’inscrit dans un souci de « protection consulaire » des ressortissants, visant à garantir le respect de leurs droits.

L’Algérie a fermement rappelé l’existence d’accords bilatéraux signés en 1974 et 1994, qui régissent les procédures d’éloignement. Ces accords, selon Alger, restent la « référence principale » dans le traitement des dossiers d’expulsion.

La réticence d’Alger à accepter cette liste d’expulsion s’explique par plusieurs raisons. D’abord, la procédure d’éloignement des ressortissants étrangers se fait habituellement à travers un canal établi entre les préfectures françaises et les consulats algériens. En rejetant la liste, l’Algérie considère qu’il est inacceptable que la France modifie unilatéralement ce processus. Le gouvernement algérien estime que cette méthode, qui a fonctionné jusqu’ici, doit rester en vigueur pour préserver l’intégrité des accords passés entre les deux nations.

La riposte française

Face à ce rejet catégorique, la France, représentée par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, a réagi en évoquant une « riposte graduée » contre l’Algérie. Cette réponse pourrait prendre différentes formes, allant de la suspension de certains accords bilatéraux à la révision des conditions de séjour des ressortissants algériens en France. Bruno Retailleau a indiqué qu’une des premières étapes de cette riposte consisterait à suspendre l’exemption de visa pour les détenteurs de passeports diplomatiques algériens. Cette mesure pourrait avoir des répercussions importantes sur les relations entre les deux pays, qui entretiennent des liens diplomatiques et économiques solides, notamment en matière de coopération sécuritaire et de migration.

La France a également menacé de dénoncer certains accords plus anciens, comme celui de 1968, si l’Algérie continue de refuser de reprendre ses ressortissants expulsés. Gérald Darmanin, ministre français de la Justice, a soutenu cette position, estimant qu’il est essentiel de rappeler à l’Algérie ses obligations en vertu du droit international. Selon lui, la France ne peut pas conserver sur son sol des individus qu’elle considère comme dangereux pour l’ordre public. L’Algérie, en refusant de prendre en charge ces personnes, serait donc perçue comme ne respectant pas ses engagements internationaux.

Cette posture de fermeté, partagée par une partie de la classe politique française, trouve un écho particulier dans un contexte de tensions croissantes entre les deux pays. Les déclarations publiques de responsables politiques français, dont celles de Marine Le Pen, leader du Rassemblement National (RN), vont dans le sens d’une pression accrue sur le gouvernement algérien. Selon Le Pen, il est temps de passer à l’action en gelant les visas et en mettant fin à l’aide publique au développement en direction de l’Algérie.

France-Algérie : escalade possible des sanctions

Si la situation diplomatique continue de se détériorer, il est fort probable que Paris prenne des mesures de rétorsion plus sévères. Selon les médias français, une des options envisagées par les autorités françaises pourrait être la création d’une liste de “personas non grata”, incluant des diplomates algériens. Le consul d’Algérie à Strasbourg serait en tête de liste, en raison de son refus d’accorder un laissez-passer consulaire pour un individu impliqué dans l’attentat de Mulhouse.

Outre cette mesure, plusieurs autres sanctions pourraient être mises en place par la France. La fermeture progressive des consulats algériens sur le territoire français est une possibilité, avec un refus d’accorder des agréments aux nouveaux consuls.

De leur côté, les autorités françaises pourraient aussi envisager de suspendre les activités des principales compagnies de transport algériennes opérant en France, telles qu’Air Algérie et Algérie Ferries. Une autre option envisagée pourrait concerner l’aide au développement. En gelant les nouveaux projets d’aide, Paris risquerait d’impacter plusieurs secteurs stratégiques en Algérie, notamment l’énergie et l’agriculture.

Sur le plan des contrôles, un renforcement des mesures de sécurité aux frontières françaises, en particulier dans les ports, pourrait voir une surveillance accrue des voyageurs en provenance d’Algérie. Enfin, Paris pourrait envisager de dénoncer les accords de 1968, qui régissent les relations migratoires entre la France et l’Algérie. Ces accords, qui permettent aux travailleurs algériens de bénéficier d’un statut privilégié en matière de séjour et de protection sociale, sont devenus un point de friction majeur dans la relation bilatérale.

Lire aussi : La France exige une révision des accords bilatéraux avec l’Algérie

Des mesures réciproques en préparation

Face à une telle escalade des tensions, l’Algérie ne resterait sans doute pas passive. Des contre-mesures de la part d’Alger sont à prévoir. L’une des premières réponses pourrait être l’arrêt total de la coopération migratoire, ce qui bloquerait l’expulsion de ressortissants algériens en situation irrégulière.

L’Algérie pourrait également expulser des diplomates français en représailles aux actions entreprises par Paris. Parallèlement, des sanctions économiques pourraient être appliquées, affectant notamment les grands groupes français opérant en Algérie. Ce durcissement des conditions pour les entreprises françaises pourrait aussi affecter les investissements et les échanges commerciaux entre les deux pays.

Par ailleurs, l’Algérie pourrait rouvrir le dossier des biens immobiliers français sur son territoire. Actuellement, plus de 61 propriétés sont occupées par des institutions françaises, souvent à des conditions très favorables. Le gouvernement algérien pourrait exiger la révision des conditions de location de ces biens, qui incluent des bâtiments administratifs, des résidences diplomatiques et des terrains stratégiques à Alger. L’ambassade de France, par exemple, bénéficie d’un terrain de 14 hectares dans la capitale, mis à disposition à un loyer symbolique.

Quel avenir ?

La crise entre la France et l’Algérie, bien qu’elle ait pris un tour plus diplomatique ces dernières années, semble aujourd’hui marquée par des tensions plus directes et des menaces de mesures punitives. Si les deux pays ont des liens historiques complexes, la situation actuelle pourrait se traduire par une confrontation prolongée, à moins que des compromis ne soient trouvés.

Le défi reste de taille : d’un côté, la France défend son droit à l’expulsion de personnes jugées dangereuses, de l’autre, l’Algérie maintient que les accords bilatéraux doivent primer et que ses ressortissants doivent être traités conformément aux normes diplomatiques en vigueur.

Dans ce contexte de montée des tensions, une seule chose semble certaine : les relations entre Paris et Alger, déjà tendues, risquent de se compliquer davantage dans les mois à venir, à moins d’une révision substantielle des accords en vigueur ou d’un dialogue diplomatique renforcé.

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