12 juin 1904 : la France impose au Maroc la création d’une Banque d’Etat
À la fin du XIXe siècle, le Maroc traversait une grave crise financière. Les dettes se multipliaient, contractées auprès d’emprunteurs européens, surtout français, pour renforcer les caisses du Trésor. Les défaites militaires, la modernisation fiscale en difficulté, les tensions sociales… n’ajoutaient pas de baume au cœur. C’est un fait, les recettes ne suivaient plus.
Sous le règne du sultan Moulay Abdelaziz (1894-1908), la situation s’était aggravée. Le Sultan engageait des tentatives de réforme, comme l’instauration d’une taxe sur l’agriculture, mais les recettes promises étaient vite englouties par la dette. Face à l’impasse financière, l’État chérifien sollicita un nouvel appui de Paris durant l’été 1904.
Une offre sous condition
La diplomatie française, après avoir bien préparé ses positions au Maroc, posa évidemment ses conditions pour accorder un nouvel emprunt destiné à consolider et rembourser les dettes accumulées. L’une d’elles fut l’instauration d’une Banque d’État. Celle-ci reposerait sur des monopoles : frappe, émission, trésorerie, emprunt et crédit.
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Cette institution, gérée depuis Paris, aurait un rôle des plus stratégiques dans l’économie marocaine. Elle capterait les ressources, contrôlerait la circulation monétaire et superviserait en grande partie les finances publiques. Rien que ça ! Ironiquement, ce dispositif était présenté comme une mesure de modernisation, mais son principal effet fut de renforcer l’emprise française sur les décisions financières du Royaume.
Les discussions avec les représentants étrangers, notamment la France et ses banques, ont été intenses. Les émissaires attendirent patiemment à Fès pour plaider leur cause, chacun en tournée auprès du Monarque.
Après plusieurs jours d’hésitations et de négociations tendues, le 12 juin 1904, le sultan Moulay Abdelaziz signa la convention. Ce faux contrat, imposé par un prêteur plus proche du colonisateur que d’un conseiller neutre, marquait sans conteste une perte d’autonomie pour le Maroc. Dès lors, la souveraineté monétaire nationale vacillait…
Portrait d’Eugène Goüin (1818-1909) par Aimé Morot © Archives historiques BNP Paribas
La signature de la convention donna le feu vert à la création de la Banque d’État du Maroc. Si institutionnellement fondée en 1907 après le traité d’Algésiras (1906), cette banque bénéficiait d’un privilège exclusif et incroyable, à savoir l’émission de billets, la gestion du trésor, le monopole des métaux précieux et le rôle de prêteur privilégié ! Avec du recul, c’en est réellement aberrant.
Administrativement, le capital de la banque incluait plusieurs puissances européennes (France, Espagne, Italie, Royaume-Uni, Allemagne). Toutefois, ses conseils étaient basés à Paris et la Banque de Paris et des Pays-Bas (Paribas) en étaient les principales actrices. Son siège était établi à Tanger, tandis que des agences se déployaient à Casablanca, Rabat, Mogador (Essaouira), Oujda et Mazagan (El Jadida).
Sur le terrain, la Banque d’État du Maroc devint un pilier et un pion de force de l’administration coloniale. Elle contrôlait la monnaie, achetait et fondait les métaux précieux et servait de trésorier-payeur au gouvernement. Ce rôle, qui était entièrement réservé au Makhzen, a été transféré à Eugène Goüin (BNP Paribas) qui apporta énormément de changements dont la limite d’accès aux prêts.
L’ère des Protectorats
Si aujourd’hui ce récit est conté avec aberration, il faut le remettre dans son contexte. C’était l’époque des grandes manœuvres coloniales, notamment l’Entente cordiale (1904) entre la France et la Grande-Bretagne, qui instaurait la prééminence française au Maroc en échange de la neutralité britannique en Égypte. Oui, nos pays n’étaient que des monnaies d’échange.
Un an plus tôt, en 1903, un pacte franco-italien avait déjà réglé les ambitions coloniales entre Européens, prélude à l’officialisation de l’influence de Paris au Maroc.
Tous ces accords ont abouti au traité d’Algésiras (1906), qui renforça le rôle de la France via une police portuaire, une administration policière, une influence bancaire et un financement public. En 1907, l’institution fut inaugurée, prélude à la proclamation du protectorat deux ans plus tard.
De Banque d’État à Bank Al-Maghrib
La Banque d’État du Maroc exerça sa tutelle sur l’économie nationale jusqu’au début des années 1950. Le Maroc, fraîchement indépendant en 1956, récupéra progressivement sa souveraineté, notamment monétaire. En 1959, le privilège d’émission fut transféré à une banque nationale et le « riyal » céda la place au dirham.
En 1967, la Banque du Maroc (issue de cette réforme) devint la Bank Al-Maghrib, l’institution monétaire que nous connaissons aujourd’hui, pleinement au service de l’État marocain.