Travailleurs non déclarés, toujours parmi nous

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Travailleurs non déclarés: toujours parmi nousDes travailleurs dans le BTP © AFP

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Le travail non déclaré, également appelé travail au noir ou travail informel, reste un problème majeur au Maroc, malgré les efforts des autorités pour l’éradiquer. Ce phénomène touche des milliers de travailleurs et concerne plusieurs secteurs économiques, notamment le BTP, la restauration, l’agriculture et les services à la personne.

Bien que des réformes aient été mises en place pour lutter contre le travail non déclaré, cette pratique persiste en raison de facteurs économiques, sociaux et administratifs complexes. Pour réduire ce phénomène, il est essentiel de renforcer les contrôles, simplifier les démarches administratives, sensibiliser les employeurs et les travailleurs, et offrir des alternatives viables aux entreprises et aux travailleurs précaires. En attendant, les travailleurs non déclarés doivent connaître leurs droits et les démarches à suivre pour se protéger contre l’exploitation. Analyse.

Les avantages pour les entreprises et les pertes pour les salariés

Les entreprises qui recourent au travail non déclaré en tirent plusieurs avantages, principalement financiers. En évitant de déclarer leurs salariés, elles économisent sur les charges sociales, telles que les cotisations à la CNSS (Caisse nationale de sécurité sociale), l’AMO (Assurance maladie obligatoire), les pensions de retraite et autres contributions obligatoires, explique Khalid Benhlima, consultant en management des ressources humaines. Cela réduit considérablement leurs coûts de main-d’œuvre, ce qui leur permet d’être plus compétitives sur le marché, notamment en proposant des prix plus bas que les entreprises respectueuses de la loi, indique-t-il.

Cependant, ces gains pour les entreprises se font au détriment des salariés. Les travailleurs non déclarés sont privés de leur protection sociale, poursuit Khalid Benhlima. Ils n’ont pas accès aux allocations familiales, à l’assurance maladie, aux pensions de retraite ou aux indemnités de licenciement, déplore-t-il. De plus, ils ne bénéficient pas des droits du travail fondamentaux, tels que les congés payés, les heures supplémentaires rémunérées ou la sécurité de l’emploi. Leur travail n’est pas officiellement reconnu, ce qui peut nuire à leur carrière future et les maintenir dans une situation de précarité.

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Les profils de travailleurs et les secteurs les plus touchés

Le travail non déclaré touche principalement les travailleurs les plus vulnérables. Dans ce contexte, le consultant en management des ressources humaines liste les jeunes, les migrants et les personnes peu qualifiées. Les travailleurs à temps partiels ou saisonniers, souvent moins protégés par la législation du travail, sont également particulièrement concernés, rappelle-t-il.

Toutefois, certains secteurs économiques sont plus touchés que d’autres. Notamment, le secteur du BTP (Bâtiment et Travaux Publics), qui est souvent pointé du doigt pour son recours fréquent au travail au noir, notamment sur les petits chantiers. La restauration et l’hôtellerie emploient également de nombreux serveurs, cuisiniers et personnel de ménage non déclarés. Dans l’agriculture, le travail saisonnier est souvent effectué sans déclaration, tandis que les services à la personne (ménage, garde d’enfants, aide à domicile) et le commerce de détail sont également concernés par ce phénomène.

Les raisons de la persistance du travail non déclaré

Malgré les réformes publiques, le travail non déclaré persiste au Maroc pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les contrôles insuffisants des inspections du travail limitent la capacité des autorités à détecter et sanctionner efficacement les entreprises qui recourent à cette pratique. Pour Khalid Benhlima, «les moyens alloués à ces inspections sont souvent insuffisants pour couvrir l’ensemble du territoire et des secteurs concernés».

Ensuite, il cite la complexité administrative «décourage certaines entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises (PME), de déclarer leurs salariés». Les démarches pour déclarer un employé peuvent être perçues comme lourdes et coûteuses, ce qui incite certains employeurs à opter pour le travail non déclaré, indique la même source.

De plus, dans certains secteurs, «le travail non déclaré est presque une norme culturelle. L’économie informelle est profondément ancrée dans certaines régions et secteurs, ce qui rend difficile l’application des réformes», souligne le consultant. Ajoutant que la pression économique joue également un rôle important, puisque les entreprises, surtout les petites, cherchent à réduire leurs coûts pour rester compétitives sur un marché souvent saturé.

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Enfin, le manque de sensibilisation des employeurs et des travailleurs aux risques et aux conséquences du travail non déclaré contribue à la persistance de ce phénomène. Certains employeurs ignorent les sanctions encourues, tandis que certains travailleurs ne connaissent pas leurs droits ou craignent de perdre leur emploi s’ils dénoncent leur situation.

Par ailleurs, les réformes publiques mises en place pour lutter contre le travail non déclaré ont montré leurs limites. Khalid Benhlima pointe tout d’abord les sanctions qui ne sont pas toujours dissuasives. «Les amendes infligées aux entreprises ne sont souvent pas suffisamment élevées pour les décourager de recourir au travail non déclaré». De plus, les efforts des différents acteurs (État, CNSS, inspecteurs du travail) «ne sont pas toujours bien coordonnés, ce qui réduit l’efficacité des actions menées».

Enfin, «certaines régions et secteurs résistent aux réformes par habitude ou par nécessité économique». L’expert cite l’exemple des zones rurales où l’économie informelle est souvent la principale source de revenus. Ce qui rend difficile d’imposer des changements radicaux sans offrir des alternatives viables aux travailleurs et aux entreprises.

Que faire en cas de travail non déclaré ?

Face à cette question, Khalid Benhlima explique que si un travailleur découvre qu’il n’est pas déclaré par son employeur, il faut, tout d’abord, collecter des preuves de son emploi, telles que des contrats, des fiches de paie, des emails ou des témoignages de collègues. Ensuite, il peut tenter de régler le problème à l’amiable en contactant son employeur pour demander une régularisation de sa situation.

Si cette démarche échoue, le travailleur peut saisir les institutions compétentes, telles que l’inspection du travail pour signaler le travail dissimulé, ou la CNSS pour dénoncer le défaut de déclaration et de paiement des cotisations sociales. Une médiation peut également être envisagée pour trouver une solution sans aller en justice. En dernier recours, le travailleur peut engager une action en justice pour obtenir la régularisation de sa situation et des compensations financières. Pour cela, il est recommandé de se faire accompagner par un avocat spécialisé en droit du travail pour défendre ses droits, conclut la source.

 

Le travail non déclaré au Maroc est un phénomène complexe qui touche des milliers de travailleurs et plusieurs secteurs économiques. Bien que des réformes aient été mises en place pour lutter contre cette pratique, elle persiste en raison de facteurs économiques, sociaux et administratifs.

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