Réforme de la presse au Maroc : entre modernisation et vigilance

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Réforme de la presse au Maroc : entre modernisation et vigilancePhoto illustration © DR

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Le Maroc traverse actuellement un moment décisif pour son paysage médiatique. Après plusieurs années de débats parfois houleux, de revendications syndicales et de critiques d’instances professionnelles, le Parlement a adopté deux textes de loi qui redéfinissent en profondeur le cadre d’exercice du journalisme dans le pays. Le premier porte sur la réforme du statut des journalistes professionnels, le second réorganise le Conseil national de la presse, instance centrale chargée de veiller au respect de la déontologie et à la régulation du secteur.

Ces réformes s’inscrivent dans un contexte où la profession est confrontée à de multiples pressions : crise économique des médias, mutations rapides liées au numérique et à l’intelligence artificielle, montée en puissance des réseaux sociaux, mais aussi nécessité de renforcer la confiance du public envers la presse. Si certains acteurs saluent une avancée notable, d’autres redoutent un recul des principes constitutionnels, notamment en matière de représentativité des journalistes. Au cœur de ce débat, Hanane Rihab, vice-présidente du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), défend une réforme pragmatique et protectrice, tout en appelant à une vigilance constante afin que ces nouvelles dispositions soient appliquées dans l’esprit de liberté et de responsabilité qui doit guider le journalisme.

Un cadre légal en évolution

Pour Hanane Rihab, le socle législatif de la presse marocaine, construit au fil des années, a permis de poser « un cadre minimum pour l’exercice de la profession, le respect de la déontologie et la protection des journalistes ». Ces textes ont jeté les bases de la régulation et de l’autorégulation. Pourtant, la mise en œuvre n’a pas toujours été à la hauteur des ambitions initiales.

Face aux défis actuels — protection effective de la liberté de la presse, gestion des conflits entre journalistes et employeurs ou entre journalistes et citoyens — les outils existants montraient leurs limites. C’est dans ce contexte que les nouvelles réformes prennent tout leur sens. « Elles constituent, tout bien réfléchi, une avancée majeure par rapport à l’existant », estime-t-elle.

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La réorganisation du Conseil national de la presse constitue l’un des points centraux de la réforme. Désormais, les journalistes professionnels pourront se présenter « librement et individuellement » aux élections du Conseil, sans aucune entrave. Le nouveau statut précise également les relations entre journalistes, employeurs et citoyens, dans le but de restaurer la confiance dans les médias.

Ce changement vise, selon Rihab, à mieux protéger la liberté de la presse tout en encadrant la profession. L’objectif est de retrouver un niveau de crédibilité et de respect que le secteur a déjà connu par le passé, mais qui a été fragilisé ces dernières années.

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Certains observateurs dénoncent une réforme qui s’éloignerait des principes constitutionnels, notamment en réduisant la représentativité directe des journalistes. Rihab rejette en partie cette analyse : « Ces critiques relèvent en partie d’une interprétation excessive de certains aspects techniques de la réforme ».

Pour elle, la modification du mode de désignation des membres du Conseil, qui réduit le recours au scrutin direct pour certaines nominations, n’a pas pour objectif de restreindre la liberté d’expression ni de politiser l’institution. Au contraire, elle répond à un besoin de « fonctionnement plus efficace » et de prévention des blocages institutionnels.

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Elle insiste sur le fait que la réforme demeure conforme aux garanties constitutionnelles en matière de liberté d’expression, de participation citoyenne et de gouvernance démocratique. Le véritable enjeu, rappelle-t-elle, sera d’assurer une bonne application de ces textes et une implication active des journalistes dans la vie de l’instance.

Ce dont la presse marocaine a vraiment besoin

Au-delà des réformes en cours, Rihab trace une feuille de route claire : « Le secteur a besoin d’un cadre stable et protecteur qui garantisse la liberté de la presse tout en assurant la responsabilité professionnelle ».

Cela implique une autorégulation crédible, un dialogue constant entre tous les acteurs, mais aussi un renforcement de la formation continue des journalistes. Elle souligne l’urgence de leur offrir une protection juridique et sociale renforcée, condition indispensable pour garantir leur indépendance.

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Face aux critiques émanant de certaines associations et syndicats, le ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mohamed Mehdi Bensaïd, a adopté une posture d’ouverture. Hanane Rihab souligne « une écoute attentive et une réelle volonté de dialogue », illustrées par la mise en place d’une commission provisoire composée d’experts et de représentants du secteur. Malgré des débats parfois vifs, le ministre maintient que la réforme vise une « gouvernance démocratique et une autorégulation responsable ».

Pour que la réforme tienne ses promesses, Rihab appelle à renforcer le dialogue avec toutes les parties prenantes afin d’assurer une application transparente et adaptée des lois. Elle plaide pour un accompagnement concret : formations, meilleure protection juridique et amélioration continue des conditions économiques et sociales des journalistes.

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Autre point crucial : veiller au maintien de procédures démocratiques dans la désignation des membres des instances professionnelles, afin de préserver la liberté de la presse tout en garantissant le respect des responsabilités déontologiques.

Une étape, pas un aboutissement

Hanane Rihab prévient que cette réforme « ne constitue qu’une ébauche de la réforme tant souhaitée par la profession ». S’y opposer de manière systématique risquerait de compromettre les progrès futurs. L’essentiel réside, selon elle, dans le nouveau statut des journalistes professionnels, qui doit améliorer leurs conditions de travail et leur sécurité économique, contribuant ainsi à un journalisme de qualité à l’ère des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle générative.

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Elle souligne également une distinction importante : si les ONG et les organisations de défense des droits humains ont un rôle légitime dans la protection de la liberté d’expression dans son ensemble, leur intervention « véhémente » dans le champ spécifique de la liberté de la presse peut poser question. Cette dernière, rappelle-t-elle, est historiquement défendue par des organisations professionnelles dédiées, d’où la création, il y a six ans, du Conseil national de la presse.

En résumé, la réforme en cours au Maroc porte en elle un potentiel de modernisation et de consolidation de la liberté de la presse. Cependant, elle appelle à une vigilance constante, notamment quant à son application et au respect des équilibres entre liberté et responsabilité.

Pour Hanane Rihab, la clé réside dans un dialogue permanent, une formation adaptée aux défis du numérique, ainsi qu’une protection sociale et juridique solide pour les journalistes. Ce n’est qu’à cette condition que la réforme pourra réellement changer la donne et contribuer à une presse marocaine à la fois libre, indépendante et crédible.

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