Marche de la dignité à Aït Bouguemez : un cri venu des montagnes marocaines
Marche de la dignité d'Aït Bouguemez © DR
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Dans un contexte où le gouvernement vient d’annoncer des bilans positifs de ses programmes sociaux, notamment dans le cadre de l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH), la « Marche de la dignité » rappelle avec force qu’une large partie du territoire national reste encore étrangère aux promesses de développement. Décryptage.
Contexte : une mobilisation inédite dans la vallée d’Aït Bouguemez
Le 9 juillet dernier, la vallée d’Aït Bouguemez, nichée au cœur des montagnes marocaines, a vu naître une initiative populaire rare dans le paysage rural du Royaume : la « marche de la dignité ». Des centaines d’habitants, venus de plusieurs douars de la région, se sont mis en route à pied vers la ville d’Azilal pour porter haut leurs revendications sociales, après des années de silence institutionnel et de promesses non tenues.
La mobilisation, initiée dans un contexte de marginalisation persistante, a vu les marcheurs affronter des conditions difficiles. Sans moyens de transport, bloqués selon leurs témoignages, ils ont emprunté des sentiers escarpés pour atteindre la ville d’Azilal, symbole d’un pouvoir local longtemps sourd à leurs appels. Le mouvement a été largement relayé sur les réseaux sociaux, suscitant un élan de solidarité et d’attention médiatique sans précédent pour cette région enclavée.
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Le cœur des revendications réside dans des demandes élémentaires, celles qui permettent une vie digne. Le désenclavement figure en tête de liste, avec des appels insistants à la réhabilitation des routes régionales 302 et 317, vitales pour la mobilité, l’accès à l’école, aux soins et aux marchés. À cela s’ajoute une demande claire : renforcer le transport scolaire afin de lutter contre le décrochage, particulièrement chez les filles, dans ces zones montagneuses où l’éducation reste un luxe.
Sur le plan sanitaire, la situation est tout aussi alarmante. Les manifestants réclament la présence permanente d’un médecin au centre de santé local, son équipement de base, ainsi qu’une ambulance, souvent absente même lors d’urgences vitales. L’accès à l’eau potable, à la couverture mobile et à Internet constitue également une exigence de base, dans une époque où le numérique devient un droit aussi fondamental que l’électricité.
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La jeunesse, généralement laissée pour compte, est au centre des préoccupations. Les terrains de sport, les centres culturels, les formations professionnelles adaptées aux réalités locales sont autant de moyens de retenir une génération entière qui regarde habituellement vers l’exode comme unique issue. Enfin, la construction d’une école communautaire, la protection des terres agricoles par des barrages collinaires et l’octroi gratuit de permis de construire figurent parmi les demandes jugées vitales.
Au terme de leur marche, les habitants ont été reçus par le gouverneur de la province d’Azilal. Ce dernier a pris plusieurs engagements verbaux : couverture mobile complète, présence permanente d’un médecin grâce à un partenariat associatif, et délivrance gratuite de permis de construire dans un délai de 10 jours. Des promesses dont l’avenir dira si elles marquent une réelle inflexion ou s’ajouteront à la longue liste des attentes déçues.
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Une marche révélatrice d’un Maroc à plusieurs vitesses
Au-delà d’un simple fait divers local, la marche de la dignité d’Aït Bouguemez résonne comme un miroir tendu au Maroc en entier. Elle met à nu ce que beaucoup de spécialistes et analystes dénoncent depuis des années : des disparités territoriales criantes dans un Royaume en mutation. Pour Driss Aissaoui, analyste politique, « cette marche organisée dans la province d’Azilal exprime l’une des formes les plus visibles de ces disparités qui persistent malgré les dynamiques annoncées par l’État ».
Alors que le gouvernement dirigé par Aziz Akhannouch tient des réunions d’évaluation sur les programmes d’aide destinés aux régions défavorisées, certains dénoncent des « discours d’autosatisfaction ». La marche des habitants d’Aït Bouguemez rappelle que, sur le terrain, la réalité dépasse souvent les communiqués officiels. Pourtant, l’action de l’État, encadrée par une Constitution claire sur l’universalité des droits, peine à atteindre les sommets de l’Atlas.
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Dans ce sens, la démarche de ces habitants illustre une faille dans l’application concrète de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), un programme phare lancé il y a deux décennies. « L’INDH se distingue par une approche réaliste, capable d’identifier la pauvreté sous toutes ses formes », rappelle Driss Aissaoui. Mais l’analyste souligne que « la marche de la dignité prouve que le gouvernement manque à l’un de ses devoirs premiers qui est de répondre aux besoins fondamentaux de ses citoyens, en particulier dans le monde rural ».
Les mécanismes existent, les outils sont là, mais leur activation dépend d’une volonté politique. À ce titre, l’expert insiste sur un point essentiel : « l’approche de l’État doit s’éloigner du réflexe sécuritaire et s’ouvrir à une participation active de la société civile ». Cette remarque fait écho à la façon dont certaines manifestations sont parfois contenues ou minimisées, au lieu d’être prises comme des signaux d’alarme légitimes.
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Le cas d’Aït Bouguemez illustre aussi un paradoxe marocain, d’un côté, un État qui développe des projets d’infrastructures majeurs dans les grandes villes et dans le cadre de la régionalisation avancée. Et de l’autre, des zones rurales entières qui réclament encore l’accès à l’eau, aux soins de santé ou à un simple terrain de football.
À travers cette marche pacifique, les habitants ne revendiquent pas des privilèges, mais un socle minimal de dignité. C’est un appel qui, selon Driss Aissaoui, « doit être entendu comme une opportunité de recentrer les politiques publiques vers les priorités sociales réelles et de renforcer le lien de confiance entre l’État et ses citoyens ».
En définitive, Aït Bouguemez est peut-être une vallée isolée géographiquement, mais elle incarne un centre de gravité symbolique du Maroc rural, une population lucide, active et déterminée à revendiquer son droit à un avenir dans son propre territoire. Un signal fort, venu de la montagne, que les décideurs auraient tort d’ignorer.
La Marche de la dignité n’est ni un accident ni une simple réaction épidermique. Elle s’inscrit dans une dynamique plus large de prise de conscience citoyenne et de contestation des inégalités territoriales persistantes. En portant à bout de bras leurs revendications sociales, les habitants d’Aït Bouguemez rappellent que la dignité humaine ne doit pas être un privilège réservé aux centres urbains, mais un droit garanti sur l’ensemble du territoire. À l’État maintenant d’honorer ses engagements, pour que cette marche ne reste pas une énième revendication perdue dans les échos de la montagne.
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