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Iran-Mauritanie : intrépide rapprochement

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Après la détente actée entre l’Iran et l’Arabie saoudite, un récent rapport d’un think-tank égyptien met en lumière les motivations qui ont conduit au développement notable des relations entre Téhéran et Nouakchott au cours des dernières années. Un rapprochement qui risque de porter préjudice au Maroc, déjà pris de court par l’accord irano-saoudien, et de changer la physionomie politique dans le Maghreb arabe et bien au-delà.

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Le rapport, publié par le Centre égyptien pour la pensée et les études stratégiques sous le titre « Motivations et objectifs de l’approche irano-mauritanienne », affirme d’une part que le rapprochement entre l’Algérie et l’Iran vise à encercler le Maroc et Israël et à freiner leurs actions dans la région. D’autre part, il estime que l’orientation de Téhéran vers Nouakchott vise à renforcer son influence dans la région du Sahel et du Sahara. Les contours de l’évolution des liens entre Téhéran et Nouakchott ont été définis sur plusieurs étapes, notamment la visite officielle de Hossein Amir-Abdollahian, ministre iranien des Affaires étrangères, à la tête d’une délégation de haut niveau en Mauritanie début février 2023. Cette visite a été suivie d’une réunion entre le ministre iranien des Affaires étrangères et Dah Ould Sidi Ould Amar, ministre mauritanien des Affaires islamiques et de l’Enseignement originel, en avril 2023, en marge de leur participation à l’exposition internationale du Coran qui s’est tenue à Téhéran.

Au détriment du Maroc…

Selon l’auteur du rapport, Abdelmounaïm Ali, chercheur à l’Unité des études arabes et régionales, « le développement des relations mauritano-iraniennes n’est pas venu de nulle part, mais il coïncide avec plusieurs facteurs qui ont favorisé ce rapprochement, notamment le déclin relatif des relations maroco-mauritaniennes« . Il souligne qu’il existe un refroidissement dans les relations entre Rabat et Nouakchott, principalement en raison de la position de la Mauritanie sur la question du Sahara, ainsi que de l’attrait actuel en faveur de l’Algérie dans le contexte des préoccupations sécuritaires communes liées au Sahel.

De plus, les visites de dirigeants du Polisario, comme celle du responsable du front, Omar Mansour, début d’octobre 2022, ainsi que l’audience accordée par le président Ould Ghazouani à Mohamed Salem Ould Salek, représentant du front séparatiste, en mars 2023, sont autant d’indicateurs de cette nouvelle alliance. Pour le chercheur, cela reflète l’affaiblissement des relations maroco-mauritaniennes et constitue une manœuvre que l’Iran a largement exploitée à son avantage. Ali estime que les actions iraniennes envers la Mauritanie visent principalement à « renforcer les relations ancrées avec l’Algérie et à établir de nouveaux partenariats avec la Mauritanie afin de pénétrer cette région géographiquement importante, tant au niveau du Sahel que du Sahara« . De plus, cela vise à maximiser les gains de l’instabilité et de la confusion au sein du Sahel et du Sahara, afin de réaliser une percée similaire en Afrique de l’Ouest dans le cadre des efforts préventifs que Téhéran déploie pour contrôler la situation dans cette région.

Ces actions de l’Iran tiennent compte des défis complexes qui y prévalent et du recul des forces militaires occidentales présentes, notamment la France, en raison de son implication dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie. Et à l’auteur d’affirmer que « les indices de cette stratégie ont été mis en évidence lors de la tournée effectuée par le ministre iranien des Affaires étrangères avant sa visite en Mauritanie, lorsqu’il a visité le Mali, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso, renforçant ainsi l’idée des efforts iraniens pour ouvrir de nouveaux domaines d’influence dans cette région en s’appuyant sur son allié stratégique, l’Algérie, afin de jouer un rôle plus important dans cette région, qui connaît une fragilité sécuritaire ».

Lire aussi : Maroc-Iran : à couteaux tirés

Le nouvel axe Téhéran-Alger-Nouakchott

Le même document révèle les objectifs des mouvements iraniens en direction de la Mauritanie, notamment celui de « contrecarrer la coopération stratégique israélo-marocaine« . Depuis la reprise des relations entre Israël et le Maroc, suivie de développements significatifs dans les secteurs de la sécurité, du renseignement, de la défense et de l’économie, l’Iran est de plus en plus actif dans cette sphère. Cela ouvre la voie à un transfert du conflit à l’intérieur de cette sphère, surtout depuis qu’elle est devenue un terrain d’affrontement irano-israélien, marquant ainsi une réévaluation des dimensions stratégiques de la confrontation avec Tel Aviv dans le cadre de la guerre par procuration.

Le chercheur estime qu’il existe un axe stratégique et fonctionnel qui se forme dans le nord de l’Afrique, impliquant l’Iran, l’Algérie et récemment la Mauritanie. Chaque partie cherche à réaliser ses propres intérêts. Téhéran et Alger convergent inévitablement pour encercler le Maroc et Israël et ne pas leur laisser de champ libre, tandis que la Mauritanie cherche à renforcer ses capacités de sécurité et de défense en vue de son rôle émergent en tant que pays partenaire de l’OTAN dans la résolution des questions de sécurité dans la région du Sahel et du Sahara. Il est probable que les relations irano-mauritaniennes se renforceront, tout comme leur présence adjacente dans la profondeur du Sahel et du Sahara, de la même manière qu’avec le Niger, le Tchad, le Burkina Faso et le Mali.

Et de conclure que « le niveau de coordination entre le Maroc et la Mauritanie sera affecté par ces développements, étant donné l’importance de Nouakchott dans l’équation du conflit autour du Sahara« . Par conséquent, le Royaume du Maroc « cherchera à faire face à cette convergence en établissant une proximité inverse avec le côté mauritanien afin de l’empêcher de s’engager dans un axe régional avec l’Algérie, l’Iran et la Russie« .

Lire aussi : Géopolitique : la fin du panarabisme

Répercussions du dégel entre Téhéran et Riyad

Après des années de brouille, la médiation chinoise a permis de franchir le pas décisif entre Téhéran et Riyad avec un accord historique de rétablissement des relations. Le Maroc, pris de court par l’accord historique entre l’Arabie saoudite et l’Iran, se retrouve secoué par les répercussions de cet événement inattendu. Sous l’égide de la Chine, ces deux puissances ennemies du monde musulman ont annoncé leur réconciliation. Selon de nombreux observateurs, ce dégel entre Riyad et Téhéran réduit les motivations d’un rapprochement éventuel entre l’Arabie saoudite et Israël pour contrer leur ennemi commun, l’Iran.

Ainsi, Israël est le premier perdant de cet accord conclu à Pékin. Le Maroc, quant à lui, est pris à contre-pied par cette réconciliation entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Contrairement à l’Algérie, qui a adopté une position de neutralité, le Royaume avait clairement choisi son camp ces dernières années en normalisant ses relations avec Israël en 2020, deux ans après avoir rompu ses liens avec l’Iran. Rabat avait alors accusé Téhéran de soutenir et d’entraîner les combattants du Polisario via le Hezbollah libanais avec l’aide de l’Algérie, tout en reprochant à Téhéran d’avoir des ambitions hégémoniques en Afrique du Nord.

La réconciliation entre l’Arabie Saoudite et l’Iran remet en question toute la politique extérieure du Maroc. Ce dernier a accepté le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe. Au regard de la nouvelle donne, cela démontre un changement de position et une certaine flexibilité de la part de la diplomatie marocaine. La question se pose maintenant de savoir si le rapprochement entre l’Arabie Saoudite et l’Iran pourrait influencer la position du Maroc à l’égard de l’Iran, notamment dans le contexte des tensions entre les deux pays en raison du soutien militaire de l’Iran au Polisario et des menaces de l’Iran dans la région avec des drones.

De plus, l’Arabie saoudite, pourrait-elle jouer un rôle de médiateur entre Rabat et Téhéran… ? Ceci étant, on voit mal le Royaume suivre l’Arabie Saoudite du fait que l’Iran intervient dans l’axe algéro-russe, tandis que le Maroc est dans l’axe des États-Unis et d’Israël.

Sous couvert d’anonymat, un ex-diplomate marocain nous a confié que le Royaume sera contraint d’ouvrir une nouvelle page avec l’Iran. «Même si Téhéran ne reconnaît pas la souveraineté du Maroc sur son Sahara, Rabat exigera une neutralité positive ou un respect strict du principe de non-ingérence», pronostique notre interlocuteur. Pour lui, la diplomatie marocaine devrait faire preuve d’imagination et adopter une nouvelle approche pour tirer son épingle du jeu. C’est qu’il y a, selon lui, une dynamique sans précédent, liée aux grands changements sur la scène internationale.

relations iran mauritanie

Les MAE marocain et saoudien lors d’une précédente rencontre © DR

En fin de compte, si la Chine a prouvé, par le biais de sa médiation entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, son influence croissante dans la région du Proche-Orient, les États-Unis ne permettront pas que la région du Maghreb, du Sahel et du Sahara devienne une zone d’influence iranienne. Mais le Royaume doit aussi tout faire pour rallier la Mauritanie à sa juste cause nationale. Notre voisin du Sud a de tout temps exprimé son soutien aux efforts de l’Organisation des Nations unies (ONU) concernant le Sahara. Lors de ses prises de parole sur la question, la diplomatie mauritanienne tient toujours à rappeler l’accord de paix de 1979 signé avec le Polisario. Nouakchott cherche donc à ne froisser personne, surtout qu’elle subit des critiques virulentes de la part d’Alger à chaque fois qu’elle fait un pas vers le Royaume du Maroc. Le président algérien, Abdelmajid Tebboune, avait précédemment déclaré que la Mauritanie n’était pas très influente lors de ses échanges avec le secrétaire d’État américain, Tony Blinken. La Mauritanie cherche à maintenir un équilibre délicat dans ses relations avec le Maroc, l’Algérie et le Polisario. Mais maintenant que l’Iran s’est invité dans la région, Nouakchott devra faire très attention en scellant des alliances qui pourraient changer toute la physionomie politique dans le Grand Maghreb arabe et bien au-delà.

Lire aussi : Politique étrangère : le PJD s’embourbe

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