Fête du travail : un brin de muguet et des souvenirs de sang versé

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Si la fête du Travail au Maroc, comme dans de nombreux pays dans le monde, est célébrée tous les 1er mai, son origine est quant à elle très peu connue. Il y a plus de 130 ans, une grève sanglante à Chicago marque le début d’une lutte pour la journée de 8 heures, dont certains ont payé de leur vie.

La fête du Travail ou journée internationale des travailleurs (en anglais : International Workers’ Day) est une journée de commémoration de la lutte du mouvement ouvrier et de célébration des combats des salariés. Instaurée par la IIe Internationale en 1889, c’était une journée annuelle de grève pour la réduction du temps de travail à une journée de huit heures.

Cette revendication fut satisfaite lors de l’entre-deux-guerres dans la plupart des pays européens industrialisés. Célébrée le 1er mai dans de nombreux pays du monde, elle est l’occasion d’importantes manifestations du mouvement ouvrier. Au Canada et aux États-Unis, la fête du travail (en anglais : Labor Day) est un jour férié du mois de septembre. En Australie, elle est fêtée à différentes dates proches du printemps ou de l’automne.

Le jour viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd’hui.
– Les dernières paroles de l’un des syndicalistes anarchistes condamnés à mort, August Spies, inscrites sur une stèle du cimetière de Waldheim, à Chicago.

Le drame de Chicago

Aux États-Unis, lors du IVe congrès de l’American Federation of Labor, en 1884, les principaux syndicats ouvriers se donnent deux ans pour imposer aux patrons une limitation de la journée de travail à huit heures. Ils choisissent d’entamer leur action un 1er mai, date du moving day à laquelle plusieurs entreprises américaines démarrent leur année comptable. Une date qui signifie également que les contrats ont leur terme ce jour-là, l’ouvrier devant déménager pour retrouver du travail.

Arrive le 1er mai 1886. Un grand nombre de travailleurs obtiennent immédiatement satisfaction. Mais d’autres, moins chanceux, au nombre d’environ 340.000, doivent faire grève pour forcer leur employeur à céder.

À Chicago, la grève se prolonge dans certaines entreprises. Le 3 mai, une manifestation fait trois morts parmi les grévistes de la société McCormick Harvester. Une marche de protestation a lieu le lendemain et dans la soirée, tandis que la manifestation se disperse à Haymarket Square, il ne reste plus que 200 manifestants face à autant de policiers.

L'émeute de Haymarket Square à Chicago (attentat contre des policiers) le 4 mai 1886.

L’émeute de Haymarket Square à Chicago (attentat contre des policiers) le 4 mai 1886. © Granger NYC / Rue des Archives

C’est alors qu’une bombe explose devant les forces de l’ordre. Elle fait un mort dans les rangs de la police. Sept autres policiers sont tués dans la bagarre qui s’ensuit. Cinq anarchistes – Albert Parsons, Adolph Fischer, George Engel, August Spies et Louis Lingg – sont condamnés à mort à la suite de cet attentat.

Lors du procès, le procureur Julius Grinnel déclare dans sa plaidoirie : «Nous savons que ces huit hommes ne sont pas plus coupables que les milliers de personnes qui les suivaient, mais ils ont été choisis parce qu’ils sont des meneurs ; Messieurs du jury, faites d’eux un exemple, faites-les pendre, et vous sauverez nos institutions et notre société

Quatre d’entre eux sont pendus le 11 novembre 1887, connu depuis comme Black Friday ou «vendredi noir», malgré des preuves incertaines. Dans un dernier souffle de vie, le leader du mouvement de Chicago, August Spies, s’écriera : «Un jour viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd’hui.» Le dernier (Louis Lingg) s’est, lui, suicidé dans sa cellule.

En 1893, ces anarchistes furent innocentés et réhabilités par John Peter Altgeld, gouverneur de l’Illinois, en raison de la fragilité de l’enquête et du processus judiciaire. Il accuse également le chef de la police de Chicago d’avoir créé le violent climat de répression ayant conduit à cet attentat. Un extrait de ce pardon est gravé sur sa stèle au Graceland Cemetery de Chicago

La fusillade de Fourmies

Trois ans après le drame de Chicago, la IIe Internationale socialiste se réunit à Paris, à l’occasion du centenaire de la Révolution française et de l’exposition universelle. Son deuxième congrès se donne pour objectif la journée de huit heures, sachant que jusque-là, il était habituel de travailler dix ou douze heures par jour. En 1848, un décret réduisant à 10 heures la journée de travail n’a pas résisté plus de quelques mois à la pression patronale française.

Sous l’impulsion de Jules Guesde et de son Parti Ouvrier et sur une proposition du syndicaliste Raymond Lavigne, l’Internationale décide, le 20 juin 1889, qu’il sera «organisé une grande manifestation à date fixe de manière que dans tous les pays et dans toutes les villes à la fois, le même jour convenu, les travailleurs mettent les pouvoirs publics en demeure de réduire légalement à huit heures la journée de travail…».

Au milieu des rires et des chants, deux jeunes filles avec grâce distribuaient des fleurs des champs. Lorsque soudain sifflent les balles qui les frappent de tous côtés. Aussitôt tombent sur la dalle, ces martyrs de la liberté.
– Les Martyrs de Fourmies : Romance, Souvenir du 1er mai 1891

Dès l’année suivante, le 1er mai 1890, des ouvriers font grève et défilent, un triangle rouge à la boutonnière pour symboliser leur triple revendication: 8 heures de travail, 8 heures de sommeil, 8 heures de loisirs.

Mais le 1er mai 1891, à Fourmies, dans le Nord de l’Hexagone, une manifestation tourne au drame : la police tire sur les ouvriers et fait neuf morts, dont deux enfants, et trente-cinq blessés. Bien que les forces de l’ordre aient été mises en cause, neuf manifestants furent condamnés pour entrave à la liberté de travail, outrage et violence à agent et rébellion, à des peines de prison de deux à quatre mois ferme.

Suite à cette tragédie, le 1er mai s’enracine encore plus dans la tradition de lutte des ouvriers français et européens. Mais il faut attendre 1919 pour que soit légalisée la journée de huit heures.

Mais c’est en 1936 que les manifestations vont marquer durablement l’imaginaire français. Ces dernières, qui ont contribué à l’élection du Front populaire au pouvoir, obtiennent des mesures en faveur des travailleurs : la semaine de 40 heures et les deux premières semaines de congés payés.

Par la suite, pendant l’occupation allemande, le maréchal Pétain déclare en 1941 que le 1er mai sera « la fête du Travail et de la Concorde sociale ». «Le 1er mai a été, jusqu’ici, un symbole de division et de haine. Il sera désormais un symbole d’union et d’amitié, parce qu’il sera la fête du travail et des travailleurs. Le travail est le moyen le plus noble et le plus digne que nous ayons de devenir maître de notre sort», avait déclaré Philippe Pétain, 1er mai 1941, lors d’un discours à Commentry. Une journée qui était en fait un argument de propagande : elle avait pour objectif de rallier les Français au régime de Vichy.

Le 26 avril 1946, le gouvernement issu de la libération reconnaît officiellement le caractère chômé du 1er mai. Enfin, en 1948, il devient férié et chômé. A noter que si, traditionnellement, les manifestants avaient l’habitude de défiler avec une églantine rouge accrochée à la boutonnière, cette fleur a progressivement été remplacée par le traditionnel muguet du 1er mai.

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