Démographie entre baisse de fécondité, vieillissement et urbanisation

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Démographie : une transition aux implications profondes pour les politiques publiquesImage d'illustration © HCP

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Le Maroc est à la croisée des chemins. Ses dynamiques démographiques représentent à la fois des défis colossaux et des leviers stratégiques. La clé réside dans la capacité à transformer cette transition rapide en moteur de développement. Même si le pays dispose d’une décennie décisive pour convertir sa fenêtre démographique en véritable dividende. C’est l’avenir économique, social et culturel du Royaume qui se joue.

Les résultats en rapport avec la démographie, dans le Recensement Général de la Population et de l’Habitat 2024 (RGPH) marquent un tournant historique pour le Maroc. En l’espace de quelques décennies, le Royaume a accompli un parcours démographique que d’autres nations ont mis près d’un siècle à franchir. Baisse spectaculaire de la fécondité, vieillissement de la population, urbanisation accélérée, recomposition des structures familiales : autant de mutations profondes, analysées par le Haut-Commissariat au Plan (HCP), qui appellent à une refonte des politiques publiques pour accompagner un pays en pleine transformation.

Une transition accélérée

En 1960, une Marocaine avait en moyenne 7,2 enfants. En 2024, ce chiffre est tombé à 1,97. La généralisation de la contraception, l’accès élargi à l’éducation, l’évolution des modes de vie et l’urbanisation expliquent ce bouleversement. Parallèlement, l’espérance de vie est passée de 47 à 76,4 ans. Cette évolution illustre la rapidité avec laquelle le pays a achevé sa transition démographique.

La population marocaine est passée de 11,6 millions d’habitants en 1960 à 36,8 millions en 2024. Selon les projections, elle atteindra 40,5 millions à l’horizon 2040. Mais le rythme de croissance s’est nettement ralenti, de 2,6% dans les années 1970, il est tombé à 0,85% aujourd’hui, et devrait descendre à 0,6% d’ici à 2040.

Dans un autre volet, cette transformation se traduit par une baisse continue du poids de la jeunesse. Les moins de 15 ans représentaient 26,5% de la population en 2024, mais ne seront plus que 19,2% en 2040. Concrètement, leur nombre passera de 9,7 à 7,8 millions. Les enfants scolarisables dans le primaire (6-11 ans) diminueront de plus d’un quart, offrant une opportunité : concentrer les investissements éducatifs sur la qualité plutôt que sur la quantité, réduire les déperditions scolaires et favoriser la réussite au secondaire et au supérieur.

La démographie : un atout à transformer en moteur de développement pour le Maroc

À l’inverse, la part des seniors croît rapidement. Les 60 ans et plus représentaient 13,8% de la population en 2024. Ils seront près de 20% en 2040, soit 7,9 millions de personnes. Une hausse de 58% en seulement seize ans. Ce vieillissement structurel met à l’épreuve les solidarités familiales et appelle à repenser les régimes de retraite, la prise en charge des maladies chroniques et l’organisation des services sociaux.

Entre ces deux extrêmes, la population en âge de travailler (15-59 ans) offre au Maroc une opportunité unique. En hausse de 12,4% entre 2024 et 2040, elle constitue ce que les démographes appellent une « fenêtre d’opportunité démographique ». Plus nombreuse que les générations dépendantes, elle peut soutenir la croissance économique… à condition de trouver des emplois productifs et décents.

Or, cette fenêtre est transitoire. Ouverte au début des années 2000, elle devrait se refermer autour de 2038. Cela laisse à peine une décennie pour transformer ce potentiel en véritable « aubaine démographique », via des réformes structurelles dans l’éducation, la formation et l’économie.

Urbanisation et recomposition territoriale

La transition démographique s’accompagne d’une mutation géographique majeure : l’urbanisation. En 2024, près de 63% des Marocains vivent en ville. Ils seront 69% en 2040, soit 28 millions d’urbains. Cette croissance s’explique par l’exode rural, l’extension des périmètres urbains et la transformation de centres ruraux en petites villes.

Mais cette urbanisation soulève des défis. La pression sur les infrastructures, les inégalités persistantes entre villes et campagnes, la montée des besoins en services de base rendent indispensable une stratégie de développement territorial intégrée. L’objectif : éviter un « Maroc à deux vitesses », réduire les disparités sociales et spatiales, et mieux répartir les activités et les populations sur le territoire.

Les ménages marocains traduisent également ces transformations. Leur nombre atteignait 9,26 millions en 2024 et devrait grimper à 12,3 millions en 2040. Mais leur taille moyenne diminue : de 3,9 à 3,3 personnes par foyer. Plus de célibataires, moins d’enfants, familles nucléaires plutôt qu’élargies : autant de signes d’un changement profond des comportements familiaux.

Lire aussi: RGPH 2024 : vieillissement de la population, urbanisation et défis économiques

Cette mutation a des conséquences directes sur le logement. Pour absorber cette demande, il faudra construire environ trois millions d’unités supplémentaires d’ici à 2040, tout en luttant contre l’habitat insalubre. Une politique ambitieuse s’impose pour garantir un logement décent, améliorer la qualité des habitations existantes et répondre aux besoins des populations vulnérables.

Migration : entre départs et arrivées

Le Maroc reste un pays d’émigration, avec plus de cinq millions de ressortissants vivant à l’étranger, soit environ 14% de la population nationale. Mais les flux évoluent, l’émigration est devenue plus permanente, féminisée, mieux qualifiée et diversifiée géographiquement. De nouveaux profils apparaissent, comme les mineurs non accompagnés ou les migrants circulaires.

Parallèlement, le Maroc accueille désormais plus de 148.000 étrangers, une forte hausse de 76% en dix ans, majoritairement originaires d’Afrique subsaharienne. Il devient aussi une terre de retour : près de 188.000 Marocains revenus de France, d’Italie ou d’Espagne se sont réinstallés au pays depuis le début les années 2000. Ces dynamiques exigent une politique nationale de migration et d’intégration, articulée autour du marché du travail, mais aussi des enjeux sociaux et culturels.

Au-delà des chiffres, les implications sont considérables. L’éducation devra s’adapter à la baisse des effectifs tout en renforçant la qualité. Le marché du travail devra absorber une population active encore en expansion. La protection sociale devra faire face au défi du vieillissement. Le logement devra répondre à une demande croissante de ménages plus petits. L’urbanisation exigera des investissements massifs en infrastructures. Enfin, la migration devra être gérée dans une logique inclusive.

Comme le souligne le HCP, l’intégration systématique de la variable démographique dans la planification des politiques publiques devient indispensable. Anticiper les besoins, adapter les réponses, saisir les opportunités : tels sont les enjeux d’un Maroc en pleine transformation.

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