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Anass Hajoui Publié le 30/10/25 à 10:36
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Les médias sans modèle

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La presse marocaine n’a jamais manqué de talents. Elle a manqué de vision. Pendant longtemps, elle portait des convictions, aujourd’hui, elle porte surtout des charges. Entre les deux, il n’y a pas eu de trahison, juste un glissement : celui d’un métier qui a oublié de penser son modèle avant de défendre sa mission.

Créer un média reste un acte de foi. Beaucoup s’y lancent avec passion, d’autres avec espoir. Mais l’information a un coût, et c’est souvent là que s’effondre l’ambition des plus sincères. Car informer n’est pas un projet moral, c’est un engagement économique, humain et technologique. Et quand la conviction ne suffit plus à financer la vocation, l’équilibre se fissure.

Le marché publicitaire, lui, a changé de terrain. Meta, Google ou TikTok captent une part majeure des budgets, poussant nombre de rédactions à courir après le volume plutôt que la valeur. Le digital a élargi le public, mais creusé l’écart entre audience et rentabilité. Derrière les chiffres, ce sont des équipes qui s’épuisent à faire plus avec moins, tout en essayant de ne pas perdre le sens de ce qu’elles font.

Mais à côté de cette bataille pour la qualité, d’autres acteurs apparaissent, souvent sans cap. Des sites naissent du jour au lendemain, sans rédaction, sans modèle, parfois sans ligne éditoriale. Certains vivent uniquement de la subvention publique, d’autres d’arrangements et de complaisances déguisées en influence. Ils prospèrent sur la confusion générale, rendant le travail des médias sérieux plus difficile, car chaque dérive finit par ternir ceux qui essaient de construire avec droiture.

Cette fragilité alimente une autre dérive : la recherche du clic. Beaucoup de rédactions ont fini par céder à la facilité. Titres racoleurs, formats instantanés, dépendance au buzz. Ce n’est pas un manque de compétence, c’est une question de survie. Quand les revenus deviennent incertains, l’éthique devient un luxe. Et le journalisme, un produit qu’on ajuste à la demande du jour.

D’autres, plus exigeants, continuent d’y croire. Ils innovent, expérimentent, essaient de concilier rigueur et adaptation. Mais sans écosystème solide, même la meilleure volonté finit par s’essouffler. Car le problème de la presse marocaine n’est pas seulement économique : il est culturel. On ne considère pas encore l’information comme un bien commun, mais comme un contenu parmi d’autres, interchangeable, gratuit, jetable.

Ce flou brouille aussi les responsabilités. Les entreprises de presse réclament un cadre mais refusent souvent de se transformer. Elles parlent d’avenir mais gèrent l’urgence. Elles défendent l’indépendance sans toujours en construire les bases économiques. Or, une presse libre ne se décrète pas : elle se finance, elle s’organise, elle s’assume.

Le résultat, c’est un paysage fragmenté. Des journaux qui survivent, des sites qui se répètent, des équipes qui se vident. Le public, lui, s’éloigne. Non pas parce qu’il rejette la presse, mais parce qu’il ne la reconnaît plus. Il ne sait plus où est la valeur, ni à qui faire confiance.

Et pourtant, le Maroc a besoin de médias forts. Pas de relais d’opinion, mais de voix capables d’expliquer, d’éclairer, de relier. Des rédactions capables de parler au pays sans lui parler d’en haut. Et surtout, capables de porter sa voix à l’international, de raconter son histoire autrement que par les chiffres ou les communiqués. Car un pays qui ne raconte pas son image laisse les autres le faire à sa place.

Mais pour cela, il faut plus qu’un discours sur l’indépendance. Il faut un modèle. Un modèle où le contenu retrouve sa valeur, où la compétence a un prix, et où la presse redevient ce qu’elle aurait toujours dû être : un pilier de confiance, pas un produit d’opportunité.

Le digital a tout changé, sauf l’essentiel : la nécessité de croire à ce qu’on fait. Mais croire ne suffit plus. Il faut prouver qu’un média peut vivre sans s’épuiser, exister sans se vendre, durer sans se renier.

Ce n’est pas la presse qui a perdu le public. C’est le modèle qui a perdu la presse. Et tant que le système ne retrouvera pas le sens, la confiance restera un titre sans lecteur.

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