La Bourse de Casablanca est en train de revenir sur le devant de la scène avec un nouvel engouement des petits porteurs, des IPO qui font la une et un flux de capitaux qui propulse le MASI vers des sommets attrayants. C’est très bien, mais ça ne permet pas forcément au marché de s’étendre comme cela serait nécessaire. Dominée par quelques géants bancaires, le BTP et les télécoms, la Bourse pourrait attraper froid si ces trois-là éternuent. A l’évidence, quelque chose cloche.

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Dire que la Bourse de Casablanca « renaît » n’est pas faux. Dire qu’elle est « mûre » serait mensonger. Un petit retour aux sources s’impose.

Le nombre de sociétés cotées tourne autour de 80 (variations annuelles), bien en deçà des quelques centaines qu’on observe dans des places comparables en Afrique et au Moyen-Orient (voir comparatif en fin de dossier). Les séries statistiques officielles et les rapports montrent une progression du marché en capitalisation ces dernières années, mais sans augmentation massive du nombre d’émetteurs. En gros, qu’est-ce que cela veut dire ? Ça veut dire que l’argent circule, mais il s’éparpille entre des titres déjà dominants.

L’on pourrait dire que ce déséquilibre sectoriel est l’alpha et l’oméga de la vulnérabilité. Le secteur bancaire et le segment financier occupent une grande part de la capitalisation. Un héritage historique qu’on ne peut dénigrer, puisque plusieurs banques sont cotées depuis des décennies et captent une part énorme de la valorisation. Selon des estimations et des analyses de marché, les banques représentent facilement près de 30% de la capitalisation boursière.

Cette concentration fait des banques les stars du portefeuille. « La concentration n’est jamais bonne en finance, car elle accroît le risque. Si la bourse est concentrée sur quelques secteurs, cela la rend vulnérable aux fragilités de ces secteurs et ce qui les affecte peut se transformer d’une crise sectorielle, en une crise financière, puis en une crise macroéconomique. Cela fut le cas en 2008, où une crise immobilière (subprimes) a muté en une crise bancaire (liquidation de Lehman Brothers), puis en une crise internationale », explique le Professeur Nabil Adel, chercheur en géopolitique et géoéconomie à LeBrief.

Bourse Casablanca decoupage
Capitalisation sectorielle à la Bourse de Casablanca en 2025 © DR

À côté des banques, le BTP et les matériaux de construction pèsent lourd. Le secteur représente environ 12,5% de la capitalisation, presque le double de son poids dans l’économie réelle, selon les recoupements sectoriels. L’explication se base notamment sur les grands chantiers, les augmentations de capital… Quand des titres de BTP affichent des PER (Price Earning Ratio) à trois chiffres pour certains cas (ou des PER très élevés comme celui de TGCC mentionné par nos interlocuteurs) cela commence à sentir la surchauffe.

Pourquoi cette concentration persiste-t-elle ? Les réponses tiennent à la fois à la demande et à l’offre, comme pour tout d’ailleurs. Côté offre, le tissu économique national reste largement composé d’entreprises familiales de taille moyenne qui préfèrent la discrétion du financement bancaire à l’ouverture du capital. Côté demande, l’épargne domestique (banques, caisses, compagnies d’assurance, épargnants individuels) a cruellement peu de titres pertinents à acheter. Il y a donc « trop d’argent pour trop peu de titres ». Tout autant de points qui seront développés tout au long de ce dossier. Allons à la rencontre du monde merveilleux du trading.

Banques, BTP, Télécoms… le trio de choc ?

La Bourse de Casablanca a ses trois Mousquetaires, les banques, le BTP et les télécoms. Trois familles d’égale dignité tiennent la place, dictent les valorisations et ordonnent la marche que tout le marché doit emprunter. Suffit d’imiter Shakespeare, passons aux finances ! Pour la faire courte, et toute littérature mise à part, quand trois acteurs concentrent autant de poids, l’ensemble devient fragile, dépendant d’un petit nombre de scénarios macro et sectoriels. En réalité, ça ne date pas d’hier, mais les récentes médiatisations d’IPO ont rendu cette dépendance encore plus visible.

Commençons par le plus évident, à savoir les banques. Leur poids dans la capitalisation est massif et ancien, plusieurs établissements y sont cotés depuis des décennies et forment la colonne vertébrale de la cote. Ce qui fait des banques les premières influentes et, potentiellement, les premiers vecteurs de contagion en cas de choc.

Le deuxième pilier, le BTP et les matériaux de construction, est assez paradoxal puisqu’il pèse beaucoup plus sur la cote que dans l’économie réelle. Pourquoi ? Parce que quelques sociétés leaders ont capté la faveur des marchés : grands contrats publics, hausse d’activité liée aux chantiers d’ampleur (infrastructures pour la CAN 2025, préparation au Mondial 2030) et opérations financières ponctuelles qui concentrent les volumes.

Troisième colonne : les télécoms et les services financiers. Elles incarnent, selon certains acteurs comme Ouadie Drissi, Head Sales Afrique et Moyen Orient chez SIX Financial Information, la « maturité ». « Il ne faut pas y voir un risque systémique. Cette concentration reflète surtout la maturité de ces filières, qui disposent de la structure, de la gouvernance et de la transparence nécessaires pour être cotées », détaille le spécialiste à LeBrief. Ces secteurs ont gouvernance, reporting et taille qui rassurent les investisseurs internationaux et domestiques. Leur présence est donc logique.

Mais la présence conjointe de banques, BTP et télécoms crée un « effet loupe ». La Bourse reflète surtout ce qui est déjà structuré et mis en marché, pas nécessairement ce qui fait véritablement tourner l’économie moderne marocaine (automobile, aéronautique, logistique, tech, santé en expansion). Nous y reviendrons plus tard.

Sur vingt ans, l’on voit bien que la Bourse de Casablanca n’a pas été suffisamment aidée à diversifier son univers d’émetteurs. Le nombre de sociétés cotées est resté faible (aux alentours de 70-80 titres selon les années), loin des quelques centaines observées sur des marchés comparables. On en revient toujous au problème :

Trop d’épargne pour trop peu de valeurs disponibles = prime sur les titres cotés = PER qui montent.

Les indicateurs macro-financiers publiés début 2025 montraient un PER moyen de marché en hausse vers 23-24x, un niveau jugé élevé. Le PER est un indicateur très utilisé par les investisseurs, il correspond au rapport entre le cours d’un titre et son dernier bénéfice par action. Un PER élevé (exemple 25x) signifie que l’action est chère. Les investisseurs sont prêts à payer un prix élevé parce qu’ils anticipent une très forte croissance future des bénéfices de l’entreprise.

« Effectivement, avec un PER de 23,5x, le Maroc est dans la tranche supérieure, si on le compare à d’autres places dans la région (Egypte : 10x à 14x, Tunisie : 15x à 18x, Jordanie : 12x à 15x). À mon avis, deux raisons expliquent cette surévaluation : une explication conjoncturelle et une raison structurelle. La première est liée aux anticipations par les investisseurs de croissance des bénéfices dans certains secteurs (BTP, Santé, Tourisme…), ce qui pousse les cours vers le haut, dans un mouvement d’ensemble. La seconde est structurelle et tient à la faiblesse du nombre d’entreprises cotées par rapport aux importantes capacités de mobilisation de l’épargne par le secteur financier. Pour faire simple, nous avons d’un côté beaucoup d’argent, et de l’autre peu d’entreprises à financer par le canal boursier. Cela crée un phénomène de rareté et pousse les cours vers le haut, même si cela est décorrélé de leurs performances réelles », nous explique Professeur Nabil Adel.

Ce déséquilibre a trois conséquences concrètes et dangereuses. Premièrement, la volatilité systémique avec un choc touchant les banques (comme la perte de qualité des actifs) ou le BTP (avec l’annulation ou le retard massif de commandes post-événements) pourrait déclencher une chute corrélée de l’indice. Deuxièmement, la déconnexion entre valorisation et fondamentaux : quand la rareté pousse les prix, on observe des PER décorrélés des bénéfices réels, ce qui expose la place à des ajustements violents. Troisièmement, la difficulté d’absorber l’épargne nationale, car si la cote reste fermée à des segments porteurs (PME industrielles, scale-ups tech), les capitaux restent dans des enveloppes moins productives (dépôts bancaires, immobilier), ou alimentent des bulles ponctuelles.

Les dernières années offrent un test grandeur nature. L’entrée remarquée d’Akdital en 2022, l’IPO de plusieurs acteurs et l’augmentation de capital de TGCC ont montré que la demande existe et que l’épargne locale est prête à souscrire massivement. Mais ces succès restent l’exception qui confirme la règle puisque la place s’anime surtout lorsqu’un grand nom arrive, pas parce que des centaines de PME s’introduisent. Les notes d’opération et documents d’augmentation de capital montrent une liquidité concentrée, des ratios de liquidité par titre très disparates et une dépendance élevée à quelques transactions.

La dépendance existe, « mais elle n’est pas une fatalité », nous eplique Ouadie Drissi.

 À quoi ressemble une crise née de cette concentration ?

On peut le deviner suite à la crise financière de 2008 et les secousses pandémiques de 2019. En 2008, une crise sectorielle (immobilier américain) s’est transformée en crise bancaire puis en crise systémique mondiale. C’est très instructif de voir l’effet de contagion. Au Maroc, la faiblesse tient à la présence dominante des banques, car une crise immobilière locale ou un choc sur les actifs des banques pourrait produire un mécanisme de contagion similaire, mais à l’échelle nationale. La transmission n’a pas besoin d’être parfaite pour déclencher un stress de marché généralisé.

La concentration réduit la capacité d’absorption des chocs par le marché. Un marché profond absorbe les ventes massives, un marché étroit amplifie les mouvements. La Bourse de Casablanca, avec son petit nombre d’émetteurs liquides et un marché souvent dominé par quelques transactions, risque de voir des ventes massives provoquer des baisses brutales de prix. La liquidité est concentrée, pas diffuse.

Reste la question de la gouvernance et des cadres institutionnels. Les régulateurs (AMMC, Bourse de Casablanca, Banque centrale) ont renforcé les contrôles et multiplié les publications, mais plusieurs experts soulignent que la modernisation doit durer. Pr. Nabil Adel rappelle que la vulnérabilité se lit « dans le cadre juridique et dans l’organisation institutionnelle », sans un parachèvement réglementaire (transparence, reporting, sanctions dissuasives) et sans outils de marché (produits dérivés, market makers) pour améliorer la liquidité, la place restera fragile.

Pourquoi si peu d’entreprises cotées à la Bourse de Casablanca ?

Le Maroc dispose d’un tissu économique riche avec ses PME familiales, ses groupes industriels, ses champions régionaux… et pourtant la vitrine publique, la Bourse de Casablanca, reste étrangement peu fournie. Depuis vingt ans, la place a vu des périodes d’animation, mais le nombre d’entreprises cotées stagne. Pourquoi tant de sociétés choisissent-elles la discrétion plutôt que la lumière ? La réponse tient dans une combinaison de culture, d’économie, de réglementation et d’incitations manquantes.

La préservation du contrôle familial

Dans le monde marocain des affaires, les entreprises familiales dominent l’emploi et la valeur créée. Mais ouvrir le capital signifie accepter des exigences de gouvernance, de reporting, et SURTOUT partager le pouvoir. Beaucoup d’entrepreneurs préfèrent le confort d’un financement bancaire discret, l’anonymat relatif du privé et la transmission interne plutôt que l’exigence publique d’une assemblée d’actionnaires vigilante. La « socio-émotional wealth » (préservation du contrôle et de l’identité familiale) pèse lourd dans ces décisions. Le Guide AMMC pour l’introduction (2012) confirme que la préparation aux standards imposés par la cotation est perçue comme coûteuse et parfois menaçante.

Le cas PME

Une introduction en Bourse apporte visibilité et accès à des capitaux long terme, comme le rappelle Ouadie Drissi, mais la route est longue. Audits, consolidation des comptes, conformité IFRS, gouvernance, comités, reporting trimestriel, roadshows, frais d’intermédiaires… OUF ! Même le « marché alternatif » de la Bourse, allégé pour les PME, impose des obligations (publication de comptes, prospectus simplifié…). Pour une PME habituée à des circuits courts, ces coûts représentent une immense barrière.

Par ailleurs, les banques marocaines ont construit un écosystème de crédit solide qui répond aux besoins de la majorité des entreprises. Pour beaucoup, c’est la solution la plus rapide et la moins intrusive.

Lire aussi : IPO SGTM 2025 : comment investir ?

Le problème de la liquidité

Un dirigeant qui vend une partie de son capital veut savoir que les titres pourront être tradés sans casse. Alors qu’en réalité la liquidité est concentrée sur quelques valeurs et le marché historique a souvent souffert d’illiquidité. En 2013, la place a même perdu son attractivité pour certains indices internationaux à cause d’un manque de liquidité. Entrer en Bourse pour se retrouver sur un compartiment inactif, c’est parfois pire que ne pas y être.

Beaucoup d’entreprises marocaines ont une taille ou une structure qui ne sont pas immédiatement compatibles avec la cotation. Pour atteindre une taille critique, les dirigeants choisissent souvent des solutions de croissance internes, M&A (Mergers and acquisitions, en français fusions et acquisitions), ou financement bancaire. Les places comparables en Afrique qui ont réussi à multiplier leurs cotations l’ont fait souvent avec des politiques publiques ciblées, des incitations fiscales et un marché alternatif réellement actif, éléments que Casablanca tente de développer mais qui restent embryonnaires en termes de portée.

« Au fond, beaucoup d’entreprises ne mesurent pas encore pleinement les bénéfices concrets d’une introduction en Bourse, alors qu’ils sont réels. Les acteurs du marché, la Bourse de Casablanca, les autorités, les organisations professionnelles, rappellent régulièrement les avantages d’une cotation : un financement long terme sans garanties lourdes, mais basé sur la solidité du projet, une gouvernance renforcée qui crédibilise l’entreprise, une visibilité accrue qui facilite la croissance, l’innovation et l’accès à de nouveaux marchés, un capital mieux structuré pour accompagner l’expansion au Maroc et à l’international. La Bourse est aussi un outil de transmission très efficace, indispensable pour les entreprises familiales qui veulent se pérenniser et s’institutionnaliser. À cela s’ajoute l’accès immédiat à une base large d’investisseurs prêts à accompagner l’entreprise tout au long de sa vie cotée », détaille Ouadie Drissi.

L’AMMC et la Bourse de Casablanca ont multiplié guides, marchés alternatifs et outils pédagogiques (Guide IPO 2012, Marché alternatif dédié aux PME, communications 2021-2024). Mais les réformes structurelles (incitations fiscales ciblées, simplification documentaire, programmes d’accompagnement d’entreprise à entreprise) sont encore à la traîne comparées à des trajectoires plus volontaristes observées ailleurs (AIM à Londres). L’on peut avancer que les autorités ont conscience du problème puisqu’en 2025, l’AMMC a alerté publiquement sur la fragilité structurelle du marché et sur la nécessité d’élargir la base d’émetteurs.

Le facteur culturel et éducatif

On a beaucoup parlé du « retour des petits porteurs » comme d’un graal. Sauf que la demande seule ne crée pas l’offre. Les dirigeants d’entreprise doivent comprendre la valeur stratégique d’une cotation : transmission, crédibilité, accès aux marchés internationaux. Cela suppose une formation des dirigeants familiaux, un accompagnement des directions financières et pourquoi pas des exemples visibles d’IPO réussies qui ne déstabilisent pas la gouvernance familiale. Ouadie Drissi rappelle justement que la clef n’est pas d’attaquer les secteurs dominants, « la solution passe par plus d’introductions variées ». Mais pour y arriver, il faut aussi des success stories locales (et non une dizaine d’opérations médiatiques tous les deux ans).

Par contre, le marché alternatif voit ses premières émissions, certaines introductions récentes ont été sursouscrites et la capitalisation a atteint des pics en 2024-2025. Le ratio capitalisation/PIB a grimpé, la demande existe. Mais ces signes sont cumulatifs, pas structurants, une ou deux grosses IPO nourrissent l’optimisme sans résoudre la pénurie d’émetteurs.

Que gagne une entreprise en s’introduisant en Bourse ?

Pourquoi aller en bourse alors que le crédit bancaire existe ? Parce qu’une IPO n’est pas seulement une levée de fonds, c’est un changement de catégorie. Une transformation stratégique. Voici ce que gagne réellement une entreprise marocaine en franchissant le pas.

1 – Accès à un financement long, massif… et souvent moins coûteux

Une introduction permet de lever des capitaux propres à long terme, sans intérêts, sans remboursement et sans dépendance unique aux banques. Dans un pays où le crédit est cher pour les PME et parfois limité pour certains secteurs, c’est un levier intéressant.

2 – Une forte crédibilité

Être coté, c’est rejoindre la « ligue 1 » : gouvernance contrôlée, comptes audités, transparence, conformité AMMC. Les partenaires internationaux adorent. Les investisseurs étrangers aussi. Une IPO ouvre des portes qui restent fermées aux non-cotés.

3 – Un outil pour financer l’expansion internationale

Plusieurs entreprises marocaines se servent de leur statut de cotées pour lever des fonds, conclure des partenariats ou financer des acquisitions hors du pays.

4 – Une arme de fidélisation interne

La bourse permet de mettre en place des stock-options, de distribuer des actions aux salariés, de créer un alignement des intérêts.

5 – Une meilleure valorisation

Les entreprises cotées bénéficient souvent d’une prime par rapport aux valorisations privées. La liquidité augmente la valeur. Et un titre coté permet aussi au fondateur ou aux actionnaires historiques de céder progressivement, à un bon prix, sans déstabiliser l’entreprise.

Pourquoi la Bourse ne reflète toujours pas l’économie ?

La Bourse de Casablanca affiche ce qu’elle sait organiser, pas ce qui fait le pays. Regardez la liste des dix premières capitalisations : banques, cimentiers, quelques industriels… des mastodontes avec reporting, gouvernance et visibilité. C’est logique, la Bourse de Casablanca récompense la transparence et la standardisation. Mais l’économie marocaine n’est pas seulement composée de ces mastodontes.

« Quand on sait que les services pèsent un peu plus de 50% du PIB, que l’industrie représente environ le tiers, avec des filières fortes comme l’automobile, l’aéronautique ou les phosphates, et que l’agriculture contribue pour le reste, on voit bien qu’il y a de la marge. La Bourse met surtout en avant les secteurs les plus structurés. Cela donne une image correcte, mais incomplète, de l’économie réelle. Si davantage d’entreprises issues de la logistique, de la santé, du tourisme, de l’industrie, de l’agro-industrie ou même de la tech rejoignent la cote, on se rapprochera beaucoup mieux du visage économique du pays », nous explique Ouadie Drissi.

Le problème vient du filtre, seules les entreprises déjà « prêtes » aux règles du marché ont accès à la vitrine.

Il y a aussi « le décalage de taille : quand la bourse exclut les PME et devient « un club des grandes entreprises » », détaille Professeur Nabil Adel. Cette faiblesse du périmètre transforme la capitalisation en concentration. En 2024, la capitalisation totale a atteint 752,4 milliards de dirhams, puis a explosé encore en 2025, mais sans que le parc d’émetteurs ne s’élargisse.

Puis, toujours selon la même source, il y a le décalage de valorisation : quand la valeur des actifs cotés est décorrélée de leurs performances financières, et des perspectives de croissance de l’économie nationale. « Au Maroc, nous souffrons des trois niveaux de décalage, ce qui limite la capacité de notre bourse à mobiliser l’épargne et à financer la croissance économique du pays. Il est, certes, aujourd’hui encourageant de voir certaines entreprises se tourner vers la bourse pour financer leurs investissements, mais leur nombre demeure fort limité. Pour rejoindre des pays au stade de développement similaire, nous devons être à un nombre de sociétés cotées entre 250 et 300, nous en sommes loin aujourd’hui », ajoute Professeur Adel.

Focus : l’après-Coupe du monde 2030

La Coupe du monde 2030, coorganisée par le Maroc, l’Espagne et le Portugal, a déclenché une ruée d’investissements d’infrastructures au Maroc. Routes, stades, extensions aéroportuaires, rénovations urbaines et même plans ferroviaires massifs servent d’argument massue pour vendre l’idée d’un pays « modernisé » à l’heure du spectacle global. Mais qu’adviendra-t-il quand les stades seront inaugurés, les dernières pelouses livrées et que les écoles d’ingénieurs réintégreront leurs promotions ? L’histoire des méga-événements le prouve, il y a un boom de la construction avant et pendant l’événement, suivi souvent d’un « trou d’air » variable dans l’activité du BTP.

L’État et les pouvoirs publics ont lancé, depuis l’attribution de la coorganisation 2030, des programmes importants entre rénovation et construction de stades, modernisation d’infrastructures liées au tourisme et aux mobilités, ou encore un plan ferroviaire massif évalué à environ 96 milliards de dirhams annoncé par le gouvernement en 2025, explicitement connecté à la préparation de 2030. Ces projets s’ajoutent à des travaux routiers et aéroportuaires étendus.

À court terme, l’effet est euphorique, avec des carnets de commandes gonflés, des chiffres d’affaires anticipés, des valuations rehaussées. C’est précisément ce schéma que décrit le Professeur Nabil Adel quand il met en garde contre la surévaluation. « Une partie de cette hausse des PER est conjoncturelle (c’est-à-dire liée aux anticipations de croissance dans certains secteurs comme le BTP, la santé, le tourisme…) ». Autrement dit, les marchés intègrent l’espoir de profits futurs liés aux chantiers massifs.

« Il y a un effet Coupe du monde et la courbe de croissance risque de tomber immédiatement après. Mais, compte tenu du retard à rattraper en matière d’infrastructures et de grands projets pour nous aligner sur les pays avancés, espérons que la Coupe du monde ne soit que le début du cycle », déclare Professeur Nabil Adel.

Ce cas n’est pas que marocain. L’exemple sud-africain post-2010 démontre bien que la construction a connu un rebond temporaire avant de ralentir, certains stades peinent même à trouver une raison d’être aujourd’hui et l’emploi dans les zones hôtes n’a pas connu l’amélioration soutenue promise.

Quelles places africaines / moyen-orientales comparer au Maroc ?

Pour comprendre Casablanca, il faut la comparer. Pas à Paris ou Londres, ce n’est pas le même univers, mais à des places qui partagent des contraintes communes.

1 – Johannesburg (JSE) : le mastodonte africain

La référence continentale. Profondeur, liquidité, diversité sectorielle, présence massive des minières, tech, retail, assurances, fonds étrangers. Le JSE montre ce qu’un marché africain peut devenir lorsqu’il attire les flux étrangers.

2 – Nairobi Securities Exchange (NSE)

Le Kenya a un marché plus volatile mais beaucoup plus dynamique en matière de nouvelles introductions, notamment dans la fintech et l’agro-industrie. Nairobi a compris comment attirer des PME et des entreprises technologiques, un terrain où Casablanca reste très en retard.

3 – Lagos (NGX) : le géant sous pression

Une place massive mais pénalisée par l’instabilité monétaire. Casablanca bénéficie d’un avantage par rapport à Lagos : la stabilité du dirham. La comparaison montre que la gouvernance monétaire marocaine crée une « prime Maroc ».

4 – Égypte (EGX) : l’explosion des IPO quand l’État s’en mêle

L’Egypte a lancé ces dernières années des vagues d’introductions issues du portefeuille public. Le Maroc réfléchit à un programme similaire. L’EGX est la preuve que l’Etat peut « muscler » un marché… s’il accepte de céder une part du contrôle.

5 – Les Bourses du Golfe (Arabie Saoudite, Dubaï, Abu Dhabi)

Ce sont les champions du monde émergent. Des IPO géantes, une profondeur exceptionnelle, une liquidité alimentée par des fonds souverains. Ces marchés montrent comment un pays peut devenir un aimant à capitaux lorsqu’il combine des réformes réglementaires rapides, une gouvernance renforcée, de la transparence et des pipelines d’IPO ambitieux.

Le Maroc n’a pas la puissance financière du Golfe, mais il peut s’inspirer de leur discipline.

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