Ils ont grandi avec TikTok plus qu’avec les JT de 20h, ils parlent en hashtags, se rassemblent en stories et quand ça déborde dans la rue, ça fait trembler les vieux manuels de sciences politiques. De Katmandou à Casablanca, la Génération Z n’a pas besoin de leader charismatique ni de parti politique, au contraire. Un wifi, une caméra en main et un sentiment d’injustice bien ancré, suffisent largement. Bienvenue dans la contestation 2.0.
Ça a commencé ailleurs. Au Népal, par exemple, où des milliers de jeunes sans chef ni bannière sont descendus dans la rue, brandissant leur colère comme on brandit un « meme ». Pas de drapeaux officiels, pas de slogans imposés, juste un sentiment collectif de ras-le-bol complet, amplifié par ce que RFI appelle « l’effet miroir des réseaux sociaux ». L’Indonésie n’y a pas échappé non plus. Pendant que le pays fêtait ses 80 ans d’indépendance, sa jeunesse plantait un pavillon pirate en plein cœur des célébrations.
On ne fête pas l’indépendance le ventre vide et le futur bouché.
Manifestants Gen Z indonésiens.
Et puis, la vague a traversé les continents. Comme si la Gen Z avait une playlist mondiale de révolte, synchronisée par les algorithmes. Une vidéo virale à Katmandou, un thread incendiaire à Jakarta et soudain, c’est aussi Rabat, Inezgane ou Casablanca qui se retrouvent avec des rues pleines de jeunes nés après 2000. Trop jeunes pour avoir connu le printemps arabe mais assez vieux pour voir que, plus de dix ans plus tard, plusieurs promesses n’ont pas été tenues.
Au Maroc, ils appellent ça GenZ 212, un clin d’œil à l’indicatif téléphonique du pays. Un code, un hashtag, une bannière numérique pour un mouvement sans figure officielle. Et ça fait assez mal au logiciel politique qui se dit prêt à les écouter et à dialoguer. La génération du chômage endémique, des hôpitaux surchargés et des diplômes qui valent parfois moins qu’un bon « Bak sa7bi » (comprendre piston), a décidé de transformer son désespoir en « trending topic ».
La presse internationale couvre les manifestations, puisque, pour la première fois depuis longtemps, le Maroc connaît des manifestations de cette ampleur, mais certaines tournent à la casse, aux affrontements, aux blessés et même aux morts.
#Sécurité #Libertépublique
Rabat, Casablanca, Fès, Marrakech, Oujda… Partout, la jeunesse défile, pancartes en main, smartphones en alerte, stories prêtes à exploser en viralité. Bienvenue dans l’ère du double écran avec des manifestations physiques d’un côté et numériques de l’autre.
Commençons par le début. L’organisation d’une manifestation. La loi encadre le droit de manifester depuis les années 2010. Officiellement, il faut obtenir une autorisation auprès des autorités, déclarer les lieux et horaires, et respecter certaines conditions. Bien sûr, la Gen Z, elle, n’a consulté personne « et ils ont raison », nous déclare un spécialiste en enjeux des politiques sociales, sous couvert d’anonymat. « S’ils avaient attendu d’avoir d’abord l’autorisation, ils ne seraient jamais sortis ».
Lors des cinq premiers jours de mobilisation, 263 agents des forces de l’ordre ont été blessés, 409 interpellations ont été effectuées et plusieurs infrastructures ont subi des dégâts. Deux morts ont été enregistrés lors d’une attaque contre la Gendarmerie royale à Leqliaâ, une troisième mort a été déclarée plus tard. Un événement qui a déclenché une avalanche de stories et threads sur Instagram et Twitter, certains dénonçant la répression, d’autres relativisant la violence des manifestants.
Rabat : capitale politique et terrain d’essai pour la Gen Z, la manifestation a commencé pacifiquement mais a rapidement dérapé lors de l’intervention policière. Les vidéos circulent sur TikTok montrant des jeunes essayant de calmer les débordements pendant que d’autres se filment. Hashtags : #GenZ212, #RabatEnColere.
Casablanca : le cœur économique du pays. Ici, le choc est frontal. Arrestations massives, vidéos virales de jeunes se réfugiant dans des ruelles. Une storie Instagram montre un jeune étudiant brandissant une pancarte : « Diplômé mais invisible pour l’emploi ». Les commentaires affluent, certains dénoncent la violence policière, d’autres l’irresponsabilité des manifestants.
Fès et Marrakech : lieux de manifestations simultanées. Dans les deux villes, les forces de l’ordre ont mis en place un cordon préventif. Les affrontements ont donc été sporadiques et des memes immédiats sur la coordination policière ont vu le jour.
Oujda : scène d’un des incidents les plus dramatiques. Deux jeunes sont grièvement blessés, ce qui a provoqué une vague de stories, hashtags et débats sur l’usage disproportionné de la force. La Gen Z documente, relaie et commente, tels des reporters en action.
#Violence #Viralité
La violence, paradoxalement, est à la fois un outil et un problème. Chaque affrontement devient très vite un contenu viral. Hashtags : #Basta, #DiplômésMaisChômeurs, #GenZ212. Sur X, les threads se multiplient, détaillant les heures et les lieux d’affrontements, parfois avec un humour noir digne de la Gen Z.
Pour le gouvernement, c’est un vrai casse-tête. Il a le choix entre réprimer trop fort, et donc provoquer une viralité et une forte indignation, ou dialoguer trop lentement en risquant de perdre sa légitimité. Des figures politiques, comme Akhannouch ou Benkirane, appellent au dialogue. Les jeunes, eux, se méfient de ce type de figues, car trop de promesses n’ont pas été tenues.
Autre figure qui s’en est pris plein la face, le football. Qui l’aurait cru venant des Marocains ? Une pancarte « On applaudit les stades, mais personne n’applaudit nos diplômes » devient virale en quelques heures. Les jeunes utilisent ce format pour dénoncer les priorités du pays et exposer leurs frustrations économiques « La santé et l’éducation avant la Coupe du Monde », scandent-ils le samedi 27 septembre 2025.
Mais calmons le jeu une minute. A ce niveau, nul besoin de s’inquiéter, de nombreux pays ayant accueillis la Coupe du Monde ont eu droit à leurs lots de manifestations. Le Brésil en juin 2013, avant la Coupe de 2014, l’Afrique du Sud en 2010, la Russie en 2018… Donc jusque-là, rien d’anormal.
Petit lexique Gen Z 212
Code : logique de système (informatique ou bureaucratique) à hacker.
#HashLabour : hashtag ironique dénonçant les petits boulots précaires.
Flex : montrer ostensiblement un privilège, souvent pour dénoncer le contraste avec la majorité.
212 Inside Joke : usage de l’indicatif marocain pour se reconnaître entre jeunes « locaux ».
Story Activism : action revendicative filmée et partagée sur Instagram, TikTok ou Snapchat.
#Réseauxsociaux #Sécurité
Les réseaux sociaux amplifient l’effet de masse. Une vidéo d’affrontements à Casablanca peut générer des centaines de reposts en moins d’une heure, mobilisant des sympathisants dans d’autres villes. La communication est premièrement instantanée, deuxièmement globale et troisièmement inarrêtable. Les jeunes utilisent la viralité pour protéger leurs camarades en alertant sur les barrages, en montrant la présence policière avec des hashtags indiquant les zones à éviter.
Mais qu’on se le dise, les manifestations ne sont pas forcément politiques. Elles sont avant tout économiques et sociales. Les jeunes diplômés, confrontés à un marché saturé et à des emplois précaires, considèrent le manque d’opportunités comme une menace directe à leur sécurité économique. Et tout est documenté sur les réseaux sociaux à coups de reels sur la génération des « parkings », « memes » sur les stages non rémunérés, threads dénonçant le népotisme et la corruption, et on en passe.
Si la loi encadre le droit de manifester, certaines limites ont été franchies suite aux attaques contre des bâtiments publics, des blessures d’agents, des dégradations matérielles… Mais la Gen Z se défend de ces actes, expliquant qu’ils ne se reconnaissent aucunement dans ces groupes vandales venus se joindre après le début du mouvement.
#Santé
Cela ressemble tout bonnement à un film d’horreur. Dans les hôpitaux publics, les couloirs sont bondés, les patients allongés sur des brancards dans des halls transformés en salles d’attente improvisées… Nul besoin de revenir sur tous ces détails que tout Marocain connaît. Mais là où les générations précédentes lâchaient le fameux adage « Lhedra bezaf, skat 7sen » (trop à dire, autant se taire), la Gen Z 212 agit. Elle filme TOUT et c’est ainsi que les Marocains des grandes villes ont l’occasion de voir ce qui se passe dans le moindre petit village de leur pays. Impossible de dire « je ne savais pas ».
La colère gronde, lorsque les jeunes constatent que le pays investit massivement dans des stades flambant neufs. Les stories et « memes » dénoncent le contraste entre des pelouses impeccables et des couloirs d’hôpitaux où l’on partage un seul banc pour cinq patients. Même si, in fine, ces stades, cette visibilité rapporteront rapidement un retour sur investissement… mais ça, c’est une autre histoire. Concrètement, ce que la Gen Z 212 dénonce, c’est le manque d’accès aux soins.
Et pour développer l’impact sur les réseaux sociaux, même les étudiants en médecine publient des reels sarcastiques démontrant leurs journées rocambolesques. Sans parler de ces jeunes étudiants qui ne trouvent plus de lits dans les dortoirs des facultés et qui dorment à même le sol dans les rues de Rabat. Cette affaire est née et a aussi connu son succès via les réseaux sociaux. En abordant les sujets de l’éducation et de la santé, ce sont les deux pôles qui touchent toutes les générations de Marocains.
#Educationenfaillite
Pour cette génération, l’éducation est à la fois un droit et un privilège très fragile. Dans les grandes villes comme Casablanca, Rabat ou Fès, les lycées et universités publiques affichent des taux de réussite impressionnants sur le papier. Mais les salles sont surchargées, le matériel obsolète… Les zones rurales sont encore plus frappées entre les écoles fermées par manque de personnel, l’absence d’infrastructures de base, les distances impossibles à parcourir quotidiennement…
Un autre aspect important de la crise éducative reste la corruption. Les étudiants dénoncent le favoritisme pour l’accès aux universités prestigieuses, les pots-de-vin pour obtenir des stages, et les « arrangements » pour valider certains modules. Dans cette partie, la Gen Z met le doigt sur ce que les sociologues appellent « l’échec de l’ascenseur social ». Malgré l’éducation, l’accès à un emploi décent reste limité. Les jeunes diplômés se retrouvent face à un marché saturé, des stages non rémunérés et des réseaux influents fermés aux outsiders.
Les écoles et universités privées deviennent, de facto, des îlots de privilège. Les jeunes de la Gen Z en parlent justement de cette disparité. Les jeunes du privé ont accès aux stages, matériel, enseignants qualifiés… Ils parlent même d’inconscience du gouvernement puisque « leurs enfants vont étudier à l’étranger ».
#Education #Revendications
Égalité d’accès : réduire les disparités entre régions, écoles et universités.
Transparence et lutte contre la corruption : dénoncer les arrangements, les pots-de-vin et le favoritisme.
Qualité de l’enseignement : infrastructures adaptées, enseignants compétents, matériel suffisant.
Lien avec l’emploi : réformer les programmes pour que le diplôme corresponde à une employabilité réelle.
#Générationparking #DiplomeMaisChomeur
Selon les données disponibles, 19% des chômeurs sont diplômés en 2025, avec des variations régionales importantes. Casablanca et Rabat, malgré leur dynamisme économique, restent saturées par le nombre de diplômés cherchant un emploi stable. Dans les zones rurales, les chiffres grimpent encore plus. Les jeunes n’hésitent pas à relier précarité économique et contestation.
Une grande partie de cette génération se tourne vers le travail informel, souvent précaire et mal payé. Conducteurs de taxi (Careem, Indrive…), vendeurs ambulants, micro-entrepreneurs digitaux… Les jeunes utilisent ces expériences pour créer du contenu viral dénonçant l’absence de droits du travail. La Gen Z marocaine observe aussi ses pairs à l’étranger. Des threads comparent la situation avec la Tunisie, la France ou même le Népal. Exemple : En France, un jeune diplômé peut bénéficier de stages rémunérés et d’aides à l’emploi. Au Maroc, le même diplôme ouvre la porte à des emplois temporaires ou informels.
Ces comparaisons renforcent le sentiment d’injustice et leur donne envie de partir ailleurs. « On peut voir un fort nationalisme de la part de ces jeunes qui veulent améliorer leur pays au lieu de le fuir », nous explique le spécialiste en politiques sociales.
#Ultras #GenZ
À les observer de près, les jeunes de la Gen Z inquiètent. Ils ne sont pas sans rappeler la présence des ultras, slogans scandés, organisation pointilleuse, promesse de rendez-vous… et tout cela sans leader. Deux types de foule passionnée et contestataire.
Sens de l’appartenance : les ultras vivent pour leur club, la Gen Z manifeste pour ses droits. Dans les deux cas, la motivation est collective et identitaire. Les jeunes postent des stories, hashtags et reels pour montrer qu’ils font partie du mouvement, que ce soit un club ou une génération en révolte.
Émotion et adrénaline : les ultras sont connus pour leurs cris, chants et danses dans les stades. La Gen Z 212 exprime la colère et la frustration via des manifestations et contenus viraux. Chaque post devient une énergie créative.
Rituels et symboles : les ultras ont leurs chants, drapeaux et gestes. La Gen Z a ses hashtags (#GenZ212, #SOSHopitaux, #GenerationParking), ses codes visuels et ses « memes ».
#Psychologiedemasse
La Gen Z démontre une psychologie de masse moderne. Les émotions collectives se propagent à la vitesse du net avec des centaines de réactions en quelques minutes qui amplifient la colère, la solidarité et le sentiment d’injustice.
Outre le sentiment d’appartenance et la facilité d’action lorsqu’il y a un groupe, la Gen Z 212 se sent aussi connectées aux Gen Z des autres pays actuellement dans les rues. Et puis psychologiquement la colère est ciblée, les jeunes savent exactement ce qu’ils dénoncent. Et plus le nombre de Likes augmente, plus l’adrénaline et l’amour propre augmentent, ce qui pousse un jeune à poursuivre son action.
Cette approche limite la violence systématique et augmente la visibilité et la légitimité des revendications. La psychologie de masse moderne se combine à la psychologie numérique.
Interview avec Abderrahim Bourkia, Professeur de sociologie du sport à l’Institut des Sciences du Sport de l’Université Hassan 1er de Settat et Chercheur associé au Centre méditerranéen de Sociologie, de Science politique et d’Histoire (MESOPOLHIS) à Sciences Po d’Aix-Marseille. Parallèlement, Abderrahim Bourkia est aussi auteur du livre «Des ultras dans la villes », revenant sur les phénomènes sociaux liés aux supporters de football.
– LeBrief : En quoi les modes d’organisation de Gen Z 212 rappellent-ils ceux des groupes ultras marocains (horizontalité, anonymat, esprit de corps, codes visuels et symboliques) ? Qu’est-ce qui différencie néanmoins ces deux formes de mobilisation ?
– Abderrahim Bourkia : Il y a effectivement des traits communs. Je ne sais pas si les jeunes qui ont manifesté aiment le football, s’ils sont dans des groupes de supporters, ou bien s’ils sont plutôt des « Gamers » ou des « Geeks ». J’aimerais d’ailleurs creuser davantage ce point. Pour les ressemblances, vous l’avez dit, on retrouve cette horizontalité organisationnelle sans leader déclaré, une participation décentralisée, pas de hiérarchie, mais un vrai sens du collectif et un sentiment d’appartenance à une génération qui partage les mêmes craintes et les mêmes aspirations.
Après, dans les formes de mobilisation, ça se différencie un peu. Les motivations et les objectifs ne sont pas toujours les mêmes. Oui, on a affaire à des jeunes, mais on a vu deux mises en scène différentes avec des protagonistes qui ne se ressemblent pas : d’un côté des jeunes pacifistes qui expriment leurs revendications de manière claire et sincère, et de l’autre des individus vivant souvent en marge, à la recherche d’opportunités, qui sombrent dans la violence et le vandalisme pour piller et voler. Ceux-là sont le produit d’une négligence grave et d’un dysfonctionnement au niveau des acteurs de la socialisation de base : l’école, la famille et les institutions.
Ce dysfonctionnement fabrique des personnes incapables de communiquer ou de dialoguer, parce qu’elles évoluent dans une autre sphère. Ce qu’on a vu hier m’a vraiment fait penser à Frankenstein : une créature que la société elle-même est capable de générer. Être à l’écoute et faire preuve de largesse d’esprit, d’ingéniosité et de créativité ne peut être que bénéfique pour notre société, qui doit être capable d’accueillir tout le monde, en donnant à chacun sa place selon ses compétences et ses mérites.
– LeBrief : Les ultras sont connus pour leur capacité à mobiliser et à fédérer autour d’une cause (stade, identité, injustices). Est-ce que le mouvement Gen Z 212 s’appuie sur une logique similaire de solidarité collective et de soutien populaire ?
– Abderrahim Bourkia : Les mobilisations des ultras au Maroc se font surtout dans les stades. Ils transforment les tribunes en espaces de contestation et d’expression collective. Par leurs chants, leurs tifos, leurs banderoles, ils expriment une identité forte : à la fois un soutien à leur club et une critique de la société. Leur fonctionnement est horizontal, sans leader officiel, et ils mettent en avant la solidarité et l’anonymat.
Les affrontements avec les forces de l’ordre traduisent souvent la tension entre une jeunesse en quête d’espace d’expression et un encadrement sécuritaire strict. Et ils ont réussi à imposer leurs codes visuels, leurs slogans, leur esprit de corps : tout ça est devenu une culture urbaine au Maroc. Les ultras, ce ne sont pas que des machines hurlantes. Ils reflètent la société dans sa diversité. Le stade, c’est comme un concentré de la société. Et comme on dit, on récolte ce qu’on sème. C’est à nous de semer de bonnes graines pour avoir de bonnes récoltes. Pink Floyd le chantait déjà : « You’ll Reap The Harvest You Have Sown ».
– LeBrief : Les ultras ont souvent été perçus comme une force contestataire face aux autorités. Peut-on dire que Gen Z 212 s’inscrit dans une continuité de cette culture de résistance qui réclame ses droits ?
– Abderrahim Bourkia : Ce sont des jeunes nés dans les années 2000. Ce qui est clair, c’est que dans leur quête de reconnaissance et d’affirmation, ils testent les limites : leurs propres capacités, mais aussi les symboles de l’autorité – que ce soit la famille, l’école ou les institutions. On est face à un conflit générationnel, voire intergénérationnel, qui montre un décalage entre les attentes de la jeunesse et les réponses que la société arrive à lui apporter. Ça me fait penser au morceau de Bob Dylan «The Times They Are A-Changing», qui reste intemporel et transnational pour toutes les jeunes générations.
Écouter leurs colères, mais aussi leurs espoirs, c’est essentiel. C’est une clé pour mieux comprendre leurs besoins et orienter les politiques publiques afin de leur permettre une participation citoyenne plus active.
– LeBrief : Le boycott de certains matchs de la Botola annoncé par certains groupes d’ultras en soutien à Gen Z 212 est-il un tournant symbolique important ? Peut-il amplifier le mouvement en lui donnant une légitimité supplémentaire ? Ne serait-il pas plus efficace, au contraire, que les ultras aillent aux matchs et ne chantent que les slogans de la Gen Z comme cela a été vu en Égypte notamment ?
– Abderrahim Bourkia : Les ultras l’ont déjà fait. Le boycott des produits laitiers, de l’eau en bouteille ou encore des stations-service, par le passé, a montré la capacité de mobilisation des jeunes et les actions collectives possibles. Le problème, c’est que ce génie créatif et ce potentiel chez nos jeunes ne trouvent pas vraiment d’échos auprès des politiques.
Pour le reste, la question, il faut la poser aux concernés eux-mêmes. C’est à eux de donner du sens à leurs actions. Les discours savants de ceux qui s’improvisent experts en supporterisme ne valent pas grand-chose. Les ultras ont déjà boycotté des matchs pour exprimer leur colère et leur mécontentement. Et après tout, les supporters ont le droit d’aller au stade ou non, du moment que c’est pacifique, que ça ne nuit à personne et que ça ne perturbe pas l’ordre public.
– LeBrief : Pensez-vous que l’utilisation de l’argument « La santé, l’éducation avant la Coupe du Monde » est fort ?
– Abderrahim Bourkia : Là, on parle de deux choses différentes qu’il ne faut pas mettre sur le même plan. L’éducation et la santé, tout comme l’accès au sport et à la culture, sont des droits fondamentaux réaffirmés dans la Constitution de 2011. Inspirée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, elle consacre ces droits aux jeunes et trace les contours d’un Maroc renouvelé où la jeunesse est appelée à jouer un rôle central dans le développement. La Coupe du Monde, elle, est une opportunité. À condition que les acteurs économiques et politiques sachent l’utiliser intelligemment pour générer un essor collectif au bénéfice de toute la société.
#GenZintheWorld
La Gen Z est une génération globale en éveil, visible de Tunis à Katmandou, en passant par Paris, Jakarta et Madagascar. Les revendications, méthodes et usages des réseaux sociaux varient selon le contexte.
Afrique du Nord : Maroc, Tunisie, Algérie Dans la région, la jeunesse partage un héritage commun, à savoir chômage élevé, accès limité à l’éducation, frustrations économiques et sociales. Au Maroc, la Gen Z 212 se mobilise pour l’éducation, la santé, le chômage et la corruption. En Tunisie, les jeunes manifestent contre la corruption et les inégalités. En Algérie, les revendications économiques et politiques sont relayées par la Gen Z via Instagram et X.
Moyen-Orient et Asie : Liban, Indonésie, Népal Liban : La crise économique et le manque d’emplois créent une jeunesse mobilisée. En Indonésie, les manifestations pour la justice sociale utilisent des symboles visuels forts, comme des pavillons pirates ou des hashtags percutants. Au Népal, les jeunes manifestent sans leader central, coordonnant leurs actions via réseaux sociaux et applications de messagerie.
Europe : France, Espagne En Europe, la Gen Z adopte des méthodes similaires, mais avec des nuances contextuelles. Comme en France où les mouvements pour le climat, contre le chômage ou pour la justice sociale utilisent TikTok et X pour coordonner et documenter les actions. Même si, rappelons-le, la France a toujours été un pays de manifestations. En Espagne, les jeunes se mobilisent sur l’éducation et le logement.
Afrique subsaharienne et océan Indien : Madagascar, Kenya Madagascar : La jeunesse manifeste pour l’accès à l’éducation et contre la corruption. Au Kenya, la Gen Z se mobilise pour l’éducation et l’emploi. Cette stratégie est donc mondialement partagée, renforçant l’idée que la Gen Z est une génération globalisée, consciente de ses droits et capable de mobiliser l’opinion publique à grande échelle.
Dans plusieurs pays, de Madagascar au Népal, en passant par les Philippines ou l’Indonésie, les jeunes brandissent maintenant le drapeau pirate de One Piece, ce mythique pavillon noir avec une tête de mort coiffée d’un chapeau de paille, comme drapeau de révolte.
Pourquoi ce choix insolite ? Parce que One Piece c’est l’histoire d’une lutte contre l’injustice et de solidarité. Luffy, le héros, incarne ce combat. Pour beaucoup de Gen Z qui ont grandi avec le manga, ce personnage est devenu un modèle : si lui peut défier des gouvernements, pourquoi pas nous ?
Les réseaux sociaux font circuler ce symbole très vite. Un post, une story, un drapeau brandi dans la rue, tout se propage en quelques heures. Le compte Instagram « Gen Z Madagascar » est un bon exemple, il catalyse la colère, l’espoir, le besoin de justice.
Ce qui est vraiment nouveau, c’est que ce symbole est « dépolitisé » dans le sens qu’il ne renvoie pas à une étiquette politique traditionnelle, pas de parti, pas de chef, juste un sentiment partagé.
Dossier - Des piétons qui traversent d’un trottoir à l’autre, des voitures qui zigzaguent… À croire que les Casablancais vivent dans un jeu vidéo, sans bouton pause.