Le Maroc parle aujourd’hui « mobilité verte » avec une telle ambition et si peu de suivi. Dans les salons, on promet des bornes, des gigafactories, des exonérations fiscales… Au sein des ménages, le conducteur qui met de l’essence dans son réservoir pense au porte-monnaie, à l’autoroute et à la place pour garer la voiture. En raréfaction de Diesel, l’hybride se vend, l’électrique fait rêver, mais pas assez.

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Un point d’histoire pour débuter. Pourquoi les pays étrangers ont initié l’hybride et l’électrique à la base ? Dans les années 1990-2000, le Japon (avec Toyota Prius en 1997), puis les États-Unis et l’Europe, ont poussé les hybrides et ensuite les électriques pour trois grandes raisons. Tout d’abord la pression environnementale et réglementaire avec, aux États-Unis, la California Air Resources Board (CARB) qui a imposé des normes très strictes sur les émissions polluantes.

Les constructeurs n’avaient donc pas le choix, il fallait sortir des véhicules plus propres pour continuer à vendre. En Europe, la directive européenne 2009/33/CE et ensuite les normes CO₂ pour flottes (95 g/km à partir de 2020) ont obligé les marques à électrifier leur offre sous peine d’amendes colossales.

Musée automobile de Bouskoura

Vient ensuite le sujet épineux de la dépendance énergétique et le prix du pétrole. Après les chocs pétroliers et la volatilité des prix du baril, plusieurs pays (notamment au Japon et en Europe) ont cherché à réduire leur dépendance aux importations. Les véhicules hybrides, consommant moins de carburant, devenaient une réponse plausible. Les gouvernements occidentaux ont mis des milliards sur la table pour stimuler la demande avec des primes à l’achat, des bonus-malus écologiques, des exonérations fiscales, des accès gratuits aux centres-villes, des stationnements gratuits… Vous l’aurez compris, ils ont tout mis en œuvre pour que leurs citoyens passent le cap.

pour l’usager moyen ça n’a pas de sens
Hicham Smyej, spécialiste de l’automobile

Avant de se lancer carcasse et moteur dans de longues explications, la première question à poser est celle que tout le monde évite. Mais pourquoi veut-on de l’électrique au Maroc ? Pour des raisons industrielles (exporter propre), pour des raisons politiques (faire joli sur un bilan), pour des raisons individuelles (statut social) ou pour de vraies économies sur la facture énergétique nationale ? Si, si, les réponses changeront la stratégie. « Nous en parlons comme si c’était un mouvement de fond auquel nous devons nous associer, mais pour l’usager moyen ça n’a pas de sens », déclare Hicham Smyej, spécialiste de l’automobile à LeBrief. « Si l’électrique signifie aujourd’hui voiture chère + dépendance à un réseau parcellaire + risque batterie, alors c’est un produit de niche ».

Le Maroc n’a pas les mêmes priorités ni les mêmes contraintes que les autres pays. La pollution automobile reste marginale puisqu’elle est plus liée aux vieilles industries, au chauffage domestique et à la qualité du carburant, qu’à la masse des voitures particulières. Le pouvoir d’achat est limité et la voiture électrique ou hybride reste un luxe. Même avec une exonération douanière, les prix dépassent largement la capacité de la classe moyenne marocaine. Les besoins du marché sont d’abord des voitures abordables, fiables et faciles à réparer.

Aussi, le réseau de bornes est quasi inexistant, contrairement à l’Europe, donc rouler en électrique hors Casablanca-Rabat-Tanger reste une aventure digne de Jumanji !

Dans ce sillage, le Maroc n’a évidemment pas de législation contraignante. Le pays veut devenir exportateur d’énergie verte (solaire, éolien, hydrogène), mais n’a pas forcément comme priorité nationale de verdir le parc automobile domestique.

Le Maroc avance, mais pas de révolution immédiate

Le Maroc a tenté de poser le décor pierre après pierre ces dernières années. La loi n°82-21 relative à l’autoproduction d’électricité ouvre la porte à l’autoconsommation et encadre la revente des surplus. Un point important si l’on veut que des parkings, hôtels ou stations deviennent des lieux de recharge.

L’Autorité nationale de régulation de l’électricité (ANRE) a fixé en février 2025 le tarif d’utilisation des réseaux de moyenne tension (TURD) à 5,92 centimes de dirham par kWh pour la période 2025-2027. De quoi calculer le coût réel de bornes rapides raccordées en moyenne tension (nous y reviendrons plus tard).
Parallèlement, les tarifs résidentiels (au sein des garages d’appartements ou de villas) sont structurés en tranches, à savoir 0-100 kWh, 101-150 kWh…, avec des paliers connus (exemple 0,9010 dirhams/kWh puis 1,0732 dirhams/kWh pour la tranche suivante), ce qui indique que la recharge à domicile pour un usager modéré bénéficie d’un coût très compétitif par rapport à la pompe. Encore faut-il avoir l’installation de bornes dans son immeuble.

Aussi, sur la fiscalité et l’importation, le gouvernement a assoupli la donne puisque les véhicules 100% électriques bénéficient, en 2025, d’exonérations de droits de douane et d’une TVA très allégée voire nulle, tandis que les hybrides voient leurs droits réduits en fonction de la catégorie, avec une option de vignette gratuite.

Tout cela veut dire que l’Etat a posé quelques incitations. Cela ne veut pas dire, pour autant, que le consommateur marocain lambda pourra, demain matin, remplacer sa vieille voiture par une électrique sans complexité.

La charge, les bornes et les détours

Peut-on vraiment rouler électrique au Maroc ?
Les chiffres du secteur de l'électrique au Maroc et en France © LeBrief

Si vous voulez mesurer la réalité, allez voir les bornes et demandez-vous où elles sont. Réda Ammagui, key account manager chez Evccat, décrit l’implantation comme assez inégale. Selon lui, la majorité des points de charge se trouve sur la « partie ouest » du pays, Casablanca, Tanger, Rabat, Agadir et très peu ailleurs. Pour qui roule tous les jours entre petites villes ou sur des axes secondaires, la ferme d’icônes « borne » n’existe pas. Outre ce point, la revente directe d’électricité au consommateur final n’est pas, jusqu’ici, une activité parfaitement cadrée. L’on voit donc des solutions palliatives telle que la facturation du temps de stationnement, forfaits, arrangements commerciaux… plutôt qu’un marché de kWh clair et homogène.

France-Maroc : deux mondes, deux vitesses

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En France, on compte à fin 2024 près de 155.000 points de recharge ouverts au public, répartis sur plus de 48.000 stations. Le pays compte atteindre les 400.000 points d’ici à 2030, dont 50.000 bornes rapides. Autrement dit, chaque autoroute, chaque aire de service et bientôt chaque centre commercial sera équipé. La recharge fait partie intégrante du paysage urbain et routier. Donc pour un conducteur français, rouler électrique est possible et même banal.

Au Maroc, c’est différent. Electromaps recense à peine une quarantaine de stations accessibles au public, visibles et vérifiées. Les estimations sectorielles, plus généreuses, parlent d’environ 1.500 bornes AC (lente ou semi-rapide) et moins de 100 bornes rapides DC. Déjà, il n’y a pas d’inventaire national clair, alors comment persuader un consommateur de s’engager dans cette voix quand il ne sait pas où il met les roues ? Rien de plus décourageant que d’arriver devant une borne hors service ou inaccessible. « Les bornes sont rares et beaucoup ne fonctionnent pas, il faut donc attendre indéfiniment pour recharger sa voiture », nous déclare en off un commercial automobile lors du salon Auto Expo de Casablanca.

Tant que le Maroc n’investira pas massivement dans un réseau fiable, le passage à l’électrique ne se fera tout simplement pas. Ce n’est pas une question de volonté individuelle, mais d’écosystème. Pour l’instant, cela relève plus du lifestyle qu’autre chose.

De plus, le temps de charge varie selon la puissance. Les bornes AC « lentes » (11-22 kW) demandent des heures pour remplir une batterie, les stations DC rapides (50-350 kW) peuvent, pour certains véhicules et conditions, passer de 20 à 80% en 25-45 minutes, mais ces stations rapides coûtent cher à installer et à exploiter.

Et puis il y a le côté technique qui n’aide pas vraiment à l’adoption. La compatibilité des connecteurs, puissances supportées par la voiture, état de maintenance des bornes… « pour une full électrique, voyager hors des grandes villes est compliqué, pour l’hybride, on peut s’en sortir », nous explique Hicham Smyej.

Le lexique du futurologue

Le mot « hybride » englobe plusieurs concepts que les concessionnaires aiment embrouiller. Concrètement, il y a le micro-hybride (mild hybrid), full hybrid, hybride rechargeable (PHEV) et plein électrique (BEV).

Micro-hybride = assistance très limitée, mainly stop-start,

Mild hybrid = assistance pour diminuer les pointes de consommation,

Full hybrid = capacité réelle à rouler en électrique sur des sections courtes,

PHEV = batterie rechargeable sur prise, autonomie électrique limitée si on la recharge régulièrement,

BEV = tout électrique, autonomie variable mais exige réseau.

Comme l’avance le spécialiste de l’auto « l’hybride, est la solution de transition la plus réaliste pour le Maroc aujourd’hui ». Pour faire court, en ville, un full hybrid ou un PHEV rechargé matin et soir réduit beaucoup la facture carburant. Sur autoroute, l’effet électrique diminue et le thermique reprend la main. Beaucoup de « gains annoncés » tombent dans l’oubli si l’utilisateur ne change pas ses habitudes (recharger souvent, ne pas systématiquement faire des trajets longs sans point de recharge). La « fausse bonne idée » serait d’encourager massivement des PHEV sans créer un réseau de recharge domestique/collectif, cela reviendrait à subventionner des véhicules lourds qui roulent en thermique 90% du temps !

Combien ça coûte vraiment l’électrique ?

Bon, il faut tout de même aborder le sujet qui, in fine, intéresse réellement le consommateur marocain. Parlons-en ! Le coût au kilomètre électrique, même en prenant des bornes publiques rapides, reste souvent inférieur à celui d’un thermique, mais le calcul complet, qui inclue achat, assurance, entretien, remplacement éventuel de batterie et valeur de revente, change la donne. Prenons un exemple simple avec une BEV moyenne qui consomme environ 15 kWh/100 km, avec pertes réelles on retombe vers 16,5 kWh/100 km. Si vous rechargez à domicile (tranche résidentielle inférieure), le kWh peut coûter autour de 0,90-1,07 dirhams selon la tranche, ce qui donne un coût/km très bas comparé à l’essence (prix carburant observé en 2025 d’environ 12-13 dirams/L selon période).

Lire aussi : Auto Expo 2025 : Casablanca accueille le salon des véhicules verts

Sur la pompe, un véhicule thermique consommant 7 L/100 km à 12,77 dirhams/L coûte environ 89,4 dirhams/100 km, tandis qu’un BEV en recharge domestique peut coûter 17-27 dirhams/100 km en fonction de l’endroit où on recharge. En simple, le kWh vend un avantage, mais l’achat d’un BEV reste aujourd’hui plus cher et c’est là que l’échiquier politique intervient avec des exonérations de droits d’importation et une TVA réduite.

Cela ne veut pas dire que le calcul est alléchant, puisque la batterie pèse 25-40% du coût de la voiture sur certains modèles et en cas d’accident son remplacement pèse sur le portefeuille, « on gagne sur le kWh, on perd sur la batterie et le prix d’entrée. Le Marocain regarde d’abord son portefeuille », déclare Hicham Smyej.

Quelques assureurs au Maroc communiquent déjà des offres adaptées VE/hybrides, certaines mentionnent des garanties batterie, des extensions d’assistance en cas de panne « électrique », d’autres gèrent encore le risque comme pour une thermique classique. « Pour l’électrique, il faut intégrer les risques spécifiques aux batteries et former les agents qui manipulent ces véhicules. Même logique pour les remorqueurs, garagistes ou pompiers », nous explique Abdessadek Maafa, directeur du pôle communication, éducation et prévention routière de la Narsa, lors de l’Auto Expo 2025. Aussi, les principaux sites de compagnies d’assurance affichent des produits auto standards.

Gotion High-Tech au Maroc : la révolution Gigafactory

Une voiture électrique ou hybride ne devraient pourtant pas avoir le même type d’assurances. Pourquoi une garantie batterie séparée ? Parce que la batterie est une « pièce » chère, spécifique et qu’elle relève d’un risque techniquement diffèrent dans ce type de voitures (dégradation de capacité, choc électrique, incendie suite à mauvais branchement et on en passe). Une garantie batterie couvre une immense part du risque financier pour l’acheteur et pourrait rassurer le marché de l’occasion. Les acteurs du secteur de l’assurance ont du travail.

Les exonérations existent, mais le citoyen lambda doit avoir un diplôme de fiscaliste pour en bénéficier correctement.

Pour les Marocains résidant à l’étranger, un abattement spécifique est prévu, mais là encore, l’information circule mal et beaucoup se retrouvent surpris par des frais inattendus une fois la voiture arrivée au port. Les importateurs professionnels, eux, savent parfaitement manier les leviers réglementaires et tirer avantage des régimes douaniers. Les particuliers, moins.

Pourquoi le Maroc pousse (surtout) l’électrique pour l’export ?

Il n’y a pas que le consommateur là-dedans. Le Maroc joue une carte industrielle afin d’attirer des usines, des fournisseurs de batteries, des centres de R&D. Des annonces d’investissements ont fleuri (groupes chinois et autres) pour implanter des capacités de production de batteries et composants. Devenir un hub régional, près de l’Europe, est une logique économique. Le dossier industriel est moins fragile que l’usage quotidien des ménages, car on peut produire des batteries ici et les exporter pour qu’une Renault vendue en Europe soit qualifiée de « fabriquée dans un pays à faible empreinte carbone ». Si le choix de l’électrique/hybride s’impose au Maroc pour des raisons d’exportation, pour usage interne, nous n’en sommes pas encore là.

Pour rappel, l’annonce avait fait grand bruit. Celle d’une gigafactory de batteries électriques à Kénitra, portée par le géant chinois Gotion High-Tech, avec un investissement initial d’1,3 milliard de dollars et des ambitions qui flirtent avec les 6 milliards à terme. Une promesse de 100 GWh de capacité annuelle, rien que ça Dans les communiqués, le Maroc se positionne comme futur hub africain et méditerranéen des batteries, profitant de son industrie automobile déjà bien huilée et de sa proximité avec l’Europe. Sur le papier, c’est un coût de maître, mais qu’il faudra assumer, disons-le franchement.

Sur le plan géopolitique, l’Europe a tout intérêt à voir le Maroc réussir en externalisant une partie de sa production à un voisin fiable plutôt qu’à la Chine seule. Mais le pari n’est pas gagné. Les usines annoncées doivent encore sortir de terre, recruter et prouver leur compétitivité.

C’est donc très simple. Pour les affaires, le passage à l’électrique est bon. Pour les ménages, pas encore. L’écologie figure mal en tête des priorités, ce n’est pas une critique, c’est une réalité sociologique, « l’électrique doit se justifier économiquement, autrement c’est un effet de mode», déclare Smyej.

Dans les copropriétés, la recharge collective demande des accords et des investissements, beaucoup d’immeubles ne sont pas préparés. Les early adopters seront donc prioritairement ceux qui ont un garage privé, un pouvoir d’achat confortable, ou des flottes d’entreprises.

Sur le court terme (1 à 5 ans), c’est l’hybride qui connaîtra sans doute une croissance avec renforcement progressif des bornes dans les grandes agglomérations et sur les axes à fort trafic, électrification prioritaire des flottes (taxis, bus urbains), essais pilotes structurés autour des hubs logistiques. A moyen terme (5 à 15 ans), si la part des renouvelables monte nettement et si des capacités de production locales de batteries se mettent en place, on basculera vers une logique BEV plus forte. Sans ces conditions, l’électrique restera un marché de niche.

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