Retraite : le Maroc face à l’urgence d’une réforme structurante

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Indemnités CNSS 2025 : nouveaux plafonds et conditions d’exonérationLes sièges de la CNSS, la CMR et le RCAR © DR

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Le Maroc se trouve face à un grand défi : réformer en urgence son système de retraite, menacé par des déséquilibres financiers et démographiques alarmants. Alors que les réserves de la CMR s’approchent de l’épuisement, le gouvernement multiplie les mesures sociales, dont l’exonération progressive de l’IR sur les pensions de base. Mais cela ne suffit pas à résoudre les problèmes structurels. État des lieux.

Selon le dernier document d’état des lieux, élaboré par l’ACAPS (Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale), tout retard dans la réforme de retraite pourrait avoir un impact considérable sur la viabilité financière du système, avec des déficits et un épuisement des réserves accentués, menaçant à terme la sécurité des retraités et l’équilibre du modèle de solidarité intergénérationnelle.

Lire aussi : Réforme des retraites : le temps presse pour l’exécutif

Pensions de retraite : vers une exonération totale de l’IR à partir de 2026

La ministre de l’Économie et des finances, Nadia Fettah Alaoui, a annoncé cette semaine une mesure majeure en faveur des retraités marocains. Dans le cadre du projet de loi de finances 2025, elle a précisé que l’impôt sur le revenu (IR) serait progressivement exonéré pour les pensions de base : 50% dès janvier 2025, puis exonération totale à partir de janvier 2026. Cette initiative concernera plus de 750.000 retraités, pour un coût estimé à 1,2 milliard de DH (MMDH) pour le Trésor public. Toutefois, cette exonération ne s’applique pas aux pensions des régimes complémentaires, comme celles de la CIMR, même si ces dernières bénéficient déjà d’une actualisation pouvant aller jusqu’à 70% avant calcul de l’impôt.

La ministre a également rappelé que le gouvernement avait augmenté de 5% les pensions versées par la CNSS en 2022, avec un minimum de 100 DH, et a mis en place un décret permettant aux personnes ayant pris leur retraite entre janvier 2023 et janvier 2025, justifiant d’un certain nombre de jours de couverture, de bénéficier de la pension de vieillesse. Des mesures qui témoignent de l’attention particulière accordée aux retraités, mais elles ne suffisent pas à résoudre les déséquilibres structurels du système marocain de retraite, dont la réforme est aujourd’hui une nécessité absolue.

Un système sous pression

Le système de retraite repose sur une structure plurielle et complexe, combinant le secteur public et le secteur privé. Dans la fonction publique, la Caisse marocaine des retraites (CMR) assure la gestion des pensions des fonctionnaires civils et militaires, tandis que le Régime collectif d’allocation de retraite (RCAR) couvre certains personnels non titulaires et les établissements publics. Dans le privé, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) gère le régime obligatoire des salariés, et la CIMR propose un régime complémentaire facultatif, ouvert également aux indépendants et professions libérales. À cela s’ajoute une série de régimes spécifiques pour certaines professions, ce qui rend le système difficile à comprendre pour les assurés et crée des inégalités importantes entre cotisants et bénéficiaires.

Les chiffres sont éloquents. Le ratio cotisants/retraités du RPC de la CMR est passé de 6,48 actifs pour un retraité en 2004 à seulement 2,13 en 2024, tandis que celui du RCAR est passé de 7,6 à 1,29, en grande partie à cause de l’intégration de caisses internes de retraite. La dégradation se poursuit inexorablement, les réserves financières s’épuisant rapidement : la CMR ne pourra plus honorer ses engagements dès 2031, la CNSS en 2036, et le RCAR en 2052. Par ailleurs, plus de 60% des actifs marocains n’ont aucune couverture sociale, laissant indépendants, saisonniers et travailleurs informels sans ressources à l’âge de la retraite.

Cette situation est aggravée par le vieillissement de la population. Avec une espérance de vie dépassant 76 ans, les pensions doivent être versées sur plusieurs décennies, alourdissant le poids des dépenses publiques et accentuant la pression sur les régimes. Les disparités entre secteurs public et privé sont également préoccupantes : les pensions moyennes dans le public atteignent 8.394 DH, contre seulement 2.163 DH pour le privé. Ces différences, combinées à la complexité administrative, génèrent un fort sentiment d’injustice et fragilisent la confiance des assurés.

Lire aussi : Les déséquilibres persistent dans les régimes de retraite en 2024 

Pourquoi une réforme est indispensable ?

L’urgence d’une réforme découle de plusieurs facteurs convergents. D’abord, l’épuisement imminent des réserves financières des caisses publiques menace la continuité des prestations. Ensuite, le vieillissement démographique transforme le système : le modèle de solidarité intergénérationnelle, fondé sur le nombre de cotisants par retraité, devient de plus en plus fragile. Enfin, la couverture sociale qui reste insuffisante, laissant une part importante de la population sans protection pour la vieillesse.

L’impact social et économique de l’inaction serait considérable. Les caisses de retraite injectent actuellement plus de 331 MMDH dans l’économie et versent 85 MMDH de prestations, soutenant la consommation et contribuant à la stabilité financière. Un effondrement des régimes entraînerait des conséquences macroéconomiques graves et pourrait peser sur la croissance, en particulier pour les PME qui supportent déjà la charge des cotisations.

Vers un système plus juste et pérenne

Pour garantir la viabilité et l’équité du système, les autorités explorent une réforme systémique, notamment à travers le concept du « Carré Solidaire », qui repose sur quatre piliers : homogénéiser les régimes pour simplifier et unifier les règles de calcul et la portabilité des droits ; réduire les écarts entre pensions publiques et privées ; assurer la pérennité financière en maîtrisant les déficits et en anticipant le vieillissement démographique ; et renforcer la solidarité intergénérationnelle en élargissant la couverture aux actifs non protégés.

Les discussions portent sur des paramètres concrets tels que l’âge de départ à la retraite, les taux de cotisation et les plafonds des pensions, afin de concilier durabilité financière, protection des retraités et compétitivité économique. L’approche privilégiée doit être progressive et concertée, garantissant une transition en douceur et évitant une crise brutale. Objectif : construire un système solidaire, équitable et durable, capable de répondre aux besoins des générations présentes et futures.

Lire aussi : Fonction publique : plus de 65.000 départs à la retraite prévus avant 2028 

Le regard des instances indépendantes

Les institutions nationales confirment l’urgence d’agir. La Cour des comptes alerte sur l’épuisement des réserves et la croissance des déficits, appelant à des mesures structurelles. Pour sa part, Bank Al-Maghrib insiste sur la fragilité financière des caisses et la nécessité d’une réforme rapide.

Le CESE souligne, de son côté, la fragmentation des régimes, les disparités et la faible couverture sociale, préconisant l’unification progressive et l’élargissement de l’accès à la retraite. Le HCP rappelle le vieillissement rapide de la population, avec un déséquilibre croissant entre actifs et retraités, tandis que l’ACAPS met en garde contre le risque de dégradation financière et l’importance d’actions structurelles pour garantir l’équité et la soutenabilité.

Toutes ces analyses convergent vers un constat clair : l’inaction n’est plus une option. Le Maroc doit agir rapidement pour garantir un système de retraite qui assure sécurité, dignité et équité aux générations actuelles et futures.

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