Pourquoi le test de vitesse pour les motos suscite la colère des Marocains ?

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Pourquoi le test de vitesse pour les motos suscite la colère des marocains ?Une moto qui passe le test du speedomètre © Safisud

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La circulaire récente de la NARSA sur le contrôle de la vitesse des motos a déclenché un vif débat au Maroc. Entre sécurité routière, contestation des professionnels et questions de légalité, la mesure imposant un test de vitesse via speedomètre soulève autant d’inquiétudes que d’espoirs pour réduire les accidents.

Face à la hausse des accidents impliquant des motos, le ministère du Transport et de la Logistique, par le biais de l’Agence nationale de la sécurité routière (NARSA), a publié une circulaire visant à encadrer la vitesse des deux-roues motorisés. Selon les statistiques 2024, 43% des décès sur les routes concernent les utilisateurs de motos, un chiffre alarmant qui a motivé la mise en place de contrôles plus stricts.

L’initiative prévoit que les conducteurs participent à un test de vitesse via speedomètre, afin de vérifier la conformité des véhicules aux limites légales. Toutefois, cette mesure, si elle répond à un objectif de sécurité, suscite également des interrogations sur le plan juridique et économique, ainsi que des réactions mitigées des professionnels du secteur.

Une mesure de sécurité nécessaire mais controversée

Les autorités rappellent que le dispositif s’inscrit dans un programme plus large de sécurité routière. L’application du programme estival de surveillance a permis, au mois de juillet 2025, une réduction des décès liés aux accidents de 5,2% en zone urbaine et de 25% en zone non urbaine par rapport à 2024. L’usage du speedomètre permet de vérifier que les motos respectent la vitesse maximale autorisée et de détecter celles modifiées illégalement.

Lire aussi : Code de la route : amendes, forfaits… qu’est-ce qui va changer ?

Cependant, l’obligation pour le conducteur de monter sur sa moto pour le test a déclenché un débat juridique et social. Des experts alertent sur les risques de sécurité et sur la légitimité du texte, qui reste une circulaire interne sans force de loi contraignante.

La polémique juridique autour du speedomètre

Le cœur du débat est l’absence de base légale solide. La circulaire est un outil interne pour guider les agents de la NARSA, mais elle n’a pas la valeur d’un décret ou d’un arrêté publié au Bulletin officiel. Juristes et spécialistes soulignent que le refus d’un conducteur de se soumettre au test ne constitue pas une infraction selon l’article 94 du Code de la route et que tout contrôle ou rétention basé sur ce refus pourrait être considéré comme abus de pouvoir.

Le principe « pas de crime ni de peine sans texte » inscrit dans le Code pénal renforce cette interprétation. En conséquence, forcer un conducteur à monter sur sa moto pour un test de vitesse pose également un problème de responsabilité en cas d’accident, soulevant la question de la couverture assurantielle et de la responsabilité de l’État.

Sécurité routière : le Maroc reporte l’usage du speedomètre pour les motos

Réactions des professionnels et contexte économique

Les importateurs et distributeurs de motos ont vivement réagi aux accusations selon lesquelles ils introduiraient des motos modifiées sur le marché marocain. Khilal Andalous El Wartassi, président de l’Association nationale des importateurs et distributeurs de motos, a affirmé à Hespress : « Aucun professionnel ne souhaite enfreindre la loi ou prendre le risque de sanctions pénales. La responsabilité des modifications incombe aux conducteurs ».

Les professionnels dénoncent également le manque de consultation avec le secteur avant l’application de la circulaire. Selon eux, les conditions de circulation varient fortement selon les régions : une moto roulant à 40 km/h à Marrakech n’a pas les mêmes contraintes qu’une moto dans les villes du nord, aux routes plus accidentées.

L’association propose de relever la vitesse maximale légale pour les motos à 70 km/h, en tenant compte du poids des conducteurs et des conditions locales, et de lier cette mesure à une formation obligatoire en sécurité routière.

L’impact économique de la mise en œuvre de la circulaire est également pointé du doigt. Le secteur redoute une chute des ventes pouvant atteindre 70% si la mesure s’applique sans ajustement, en raison de l’obligation de se conformer aux normes européennes sur le bruit, les émissions et les équipements lumineux.

Importations, vitesse et adaptation au contexte marocain

La question de l’importation de motos depuis la Chine est au centre du débat. Ces véhicules, souvent utilisés dans d’autres pays africains à des vitesses supérieures à celles autorisées au Maroc, doivent respecter les normes européennes, parfois jugées inadaptées au contexte local. Les professionnels estiment que les restrictions actuelles ne reflètent pas la réalité du marché et augmentent le risque de modifications illégales par les conducteurs.

En réponse à ces inquiétudes, le ministère du Transport et de la Logistique a annoncé le report de la mise en œuvre de la circulaire du 6 août 2025. Cette décision permet de réévaluer la procédure, d’intégrer les propositions du secteur et de préparer des campagnes de sensibilisation à la sécurité routière, afin d’assurer la conformité des motos tout en limitant les risques pour les citoyens et l’économie du secteur.

Accidents de la circulation : une semaine noire avec 48 morts en périmètre urbain

La circulaire de la NARSA sur le contrôle de la vitesse des motos illustre la tension entre sécurité routière et cadre légal, tout en mettant en lumière les préoccupations économiques et pratiques des professionnels du secteur. Si elle répond à un besoin réel de protection des usagers et de réduction des accidents, sa mise en œuvre nécessite désormais une clarification juridique et un dialogue avec les acteurs concernés pour éviter des conflits et garantir l’efficacité de la mesure.

Nous reviendrons prochainement avec plus de précisions de la part de Benacer Boulaajoul, directeur général de la NARSA, afin d’apporter l’éclairage officiel sur cette controverse.

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