Pharmaciens marocains : entre colère et survie, un cri pour la réforme

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Importation des médicaments : aux grands maux, les grands remèdes ?Une pharmacie © DR

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Le secteur pharmaceutique marocain traverse l’une des crises les plus marquantes de son histoire récente. Depuis plusieurs années, les professionnels alertent sur l’essoufflement d’un modèle économique devenu intenable, sur des lois jugées obsolètes et sur l’absence de réelle concertation avec les pouvoirs publics. En août 2025, cette grogne a pris une nouvelle ampleur : toutes les officines du pays arborent désormais un brassard noir, signe visible d’un malaise profond. Ce geste symbolique n’est qu’un prélude à une mobilisation nationale annoncée pour le 9 septembre, avec un sit-in prévu devant le ministère de la Santé et de la Protection sociale, à Rabat.

Derrière cette contestation se joue bien plus qu’une simple bataille corporatiste. Les pharmaciens affirment défendre à la fois leur survie professionnelle et la sécurité médicamenteuse des citoyens. Ils dénoncent une gouvernance qualifiée de « bloquée », une dérégulation croissante du marché, la persistance des circuits parallèles et des prix de médicaments jugés inaccessibles pour une partie de la population. Face à ce faisceau de tensions, la Confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc (CSPM) tire la sonnette d’alarme et appelle à une mobilisation générale, tant en ville que dans les zones rurales.

Une mobilisation inédite annoncée

Un climat de tension gagne les officines du Royaume. Depuis le 18 août 2025, les pharmaciens marocains portent un brassard noir en signe de protestation. Ce geste symbolique s’inscrit dans la montée en puissance d’un mouvement de contestation qui culminera le 9 septembre prochain par un sit-in national devant le ministère de la Santé et de la Protection sociale, à Rabat.

La Confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc (CSPM), à l’origine de l’appel, dénonce ce qu’elle qualifie de « gestion unilatérale » de la part de la tutelle. Ses membres affirment entrer dans une phase de résistance, motivée par un « cri de dignité blessée » et une volonté ferme de défendre l’avenir d’une profession fragilisée. Pour eux, il ne s’agit pas seulement de préserver des acquis, mais surtout de garantir aux citoyens un accès équitable et sécurisé aux médicaments.

Selon Mohammed Lahbabi, président de la CSPM, cette mobilisation est l’aboutissement d’un « long processus d’épuisement ». Les pharmaciens reprochent au ministère de la Santé de ne pas avoir pris en compte des revendications qu’ils jugent légitimes et cruciales.

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Au cœur de ce conflit se trouve le projet de décret sur la fixation des prix des médicaments. Préparé sans réelle concertation, ce texte devait être présenté au Conseil du gouvernement sans l’aval des pharmaciens. Pour la profession, il représente une rupture du dialogue et constitue une menace directe pour la viabilité économique des officines.

Les syndicats réclament une réforme urgente du système de tarification, qu’ils jugent inadapté aux réalités actuelles. Ils insistent sur la nécessité de garantir la disponibilité de médicaments à prix abordables et de faciliter l’accès aux traitements coûteux en réduisant les tarifs. Selon eux, le modèle actuel fondé sur des marges rigides doit céder la place à une rémunération plus équitable des services pharmaceutiques.

Gouvernance professionnelle en panne

Au-delà des questions économiques, les pharmaciens dénoncent une crise de gouvernance. La loi instituant l’Ordre national des pharmaciens, promulguée en juin 2023, reste en suspens faute de décrets d’application. Les élections promises n’ont pas eu lieu, laissant un conseil élu il y a dix ans gérer les affaires courantes.

Pour les professionnels, cette vacance fragilise l’ensemble de la profession. L’absence de renouvellement institutionnel nourrit un sentiment de blocage et d’injustice. C’est pourquoi les syndicats exigent l’organisation immédiate des élections, considérée comme une condition indispensable pour une représentation légitime et crédible.

Autre point de discorde : la prolifération des circuits parallèles. La CSPM alerte sur la multiplication des ventes illégales de médicaments, que ce soit dans certaines cliniques ou sur les réseaux sociaux. Ces pratiques alimentent le marché des contrefaçons et fragilisent le monopole légal des officines.

Pour les pharmaciens, cette dérégulation représente un risque sanitaire majeur. Elle érode la confiance des patients et met en danger la santé publique. Ils réclament donc un renforcement des contrôles et un respect strict du monopole légal, considéré comme une barrière essentielle contre la fraude et les dérives commerciales.

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Le cadre juridique actuel représente une autre source de préoccupation. Le Dahir de 1922 sur les substances vénéneuses, jugé obsolète, expose les pharmaciens à de lourdes conséquences pénales. Confrontés à des ordonnances falsifiées, notamment pour les psychotropes, certains professionnels se sont déjà retrouvés derrière les barreaux.

Les syndicats réclament une réforme en profondeur de ce texte centenaire, afin de l’adapter aux réalités contemporaines et de protéger les praticiens contre les abus.

Les pharmaciens réclament également l’instauration du droit de substitution, qui leur permettrait de délivrer un médicament générique en cas de rupture de stock d’un produit de référence. Reconnu dans plusieurs pays, comme la France, l’Algérie ou la Tunisie, ce droit contribuerait, selon eux, à atténuer les pénuries chroniques qui affectent le marché marocain.

En juin dernier, la Fédération marocaine des droits du consommateur a signalé une rupture de plus de 600 références, touchant des traitements essentiels contre le diabète, l’hypertension, les maladies cardiovasculaires, neurologiques ou certains cancers. Pour les syndicats, refuser ce droit revient à condamner les patients à subir directement les conséquences d’une gestion défaillante.

Un cahier de revendications large et structuré

Dans leurs communiqués, les organisations syndicales présentent un cahier de revendications qui dépasse la seule question du prix des médicaments. Parmi les points saillants figurent la révision du modèle économique, en passant d’un système de marges fixes à une rémunération des services pharmaceutiques ; la réintégration dans le monopole du pharmacien de produits vétérinaires, de matériels médicaux stérilisés et de compléments alimentaires à visée thérapeutique ; ainsi que la reconnaissance du rôle central du pharmacien comme acteur clé du système de santé. Ces mesures, affirment-ils, ne visent pas des « privilèges », mais bien la survie de la profession et la sécurisation de l’accès des citoyens aux traitements.

À travers leurs appels, les syndicats insistent sur la nécessité d’une mobilisation large et unie. « Plus la présence est forte et nombreuse, plus la voix sera haute et puissante », martèlent-ils. La journée du 9 septembre pourrait ainsi devenir un moment charnière dans le bras de fer entre les pharmaciens et le gouvernement.

La CSPM avertit : sans un sursaut de la tutelle, ce sit-in ne sera qu’une première étape dans une confrontation appelée à durer. L’objectif affiché est de contraindre les autorités à ouvrir un dialogue sincère et à engager des réformes capables de restaurer la confiance et de sauver un secteur jugé vital pour la santé des Marocains.

Entre pression économique, insécurité juridique et menace des circuits parallèles, les pharmaciens marocains estiment être arrivés à un point de non-retour. Leur mobilisation s’inscrit à la fois dans une logique de survie et dans la défense de la sécurité médicamenteuse, un enjeu crucial pour l’ensemble de la société.

L’issue de ce conflit dépendra de la capacité du gouvernement à répondre aux revendications et à rétablir un climat de dialogue. En attendant, les officines, à travers leurs brassards noirs, rappellent chaque jour à leurs clients qu’une bataille essentielle se joue derrière le comptoir : celle de la dignité de la profession et du droit des citoyens à un accès juste et sécurisé aux médicaments.

À l’heure où la santé publique traverse de multiples défis, la voix des pharmaciens résonne comme un avertissement : sans réformes structurelles et sans écoute réelle de leurs revendications, c’est tout un pan du système sanitaire qui risque de vaciller. Le sit-in annoncé le 9 septembre pourrait n’être que le début d’un bras de fer prolongé. Entre l’urgence de moderniser les textes juridiques, de réguler le marché et de protéger le rôle central des officines, le gouvernement se retrouve face à une équation décisive : répondre aux attentes d’une profession en crise ou prendre le risque d’un conflit durable aux conséquences sanitaires et sociales majeures.

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