Au Maroc, il suffit de cligner des yeux une fois pour que tout change. Il suffit de ne pas se rendre dans une ville un mois, pour ne plus la reconnaître. Ça va vite ici. Le pays investit en masse, partout, tout est en travaux parce que la régionalisation ne se fera pas seule. Mais quelle région en profite vraiment ?

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Les chantiers, c’est un peu devenu la langue maternelle du Maroc. Des ports, des autoroutes, des barrages, des stades, des agropoles, des villes nouvelles… ça donne un peu le tournis, quitte à parfois oublier un projet en plein développement. Les projecteurs sont souvent braqués sur Rabat, Casablanca, Tanger ou encore Marrakech (celles qui ramènent le plus d’argent) et on fait semblant d’oublier le « reste ». Fès, Meknès, Oujda, Béni Mellal, Safi, Tétouan… Autant de territoires qui ne veulent plus être « le reste du Maroc ».

C’est donc à l’occasion de ce Projet de loi de finances 2026, qu’une nouvelle couche a été remise sur ce rééquilibrage territorial, cette régionalisation avancée… Ce Maroc à UNE SEULE vitesse.

Il n’y a pas aujourd’hui ni demain de place pour un Maroc à deux vitesses

Le roi Mohammed VI dans son discours du Trône du 29 juillet 2025.

L’investissement public, c’est pour l’équité ou pour la vitrine ?

Régions : qui profite vraiment du Maroc des grands chantiers ?
PIB par habitant et contribution régionale au PIB sur la période 2015-2023 © Présentations des régions, PLF 2026

Le Projet de Loi de Finances 2026 en fait une promesse solennelle, ce ne sont pas moins de 380 milliards de dirhams d’investissements publics qui ont été mis de côté pour ces grands chantiers. Un vrai record.

De Tanger à Dakhla, la carte budgétaire ressemble à un patchwork d’ambitions. Des hôpitaux flambant neufs, des lycées, des barrages, des routes. Chaque région a droit à sa part de rêve. Mais n’oublions pas, même dans les rêves certains semblent plus cotés que d’autres.

Si les grues travaillent non-stop sur l’axe Tanger, Casa, Rabat, ailleurs ce n’est pas forcément le même rythme. Pourtant chaque région de ce pays a une spécialité (pas gastronomique svp) à offrir.

Oujda mise sur la logistique et la formation. Meknès sur la culture et l’agroalimentaire. Béni Mellal sur l’agriculture intelligente. Safi sur l’industrie bleue… Un éveil territorial se fait, doucement… mais sûrement ? À voir !

Le Maroc à deux vitesses : la carte inégale de l’investissement public

Le Maroc n’a jamais autant investi dans lui-même. 380 milliards de dirhams d’investissement public prévus pour 2026. Une déferlante budgétaire qui promet d’« assurer une répartition équitable de la richesse » et de « renforcer la résilience des territoires ».

Dans le texte officiel, tout est là, mais alors qu’est-ce qui ne va pas ?

Le cœur du pays bat toujours au Nord-Ouest, Tanger-Tétouan-Al Hoceima

Le carrefour Afrique-Europe, le détroit, le port, la fierté nationale. C’est la vitrine d’un Maroc conquérant. Une région de 4,03 millions d’habitants, soit 2,43% du territoire national. Elle pèse lourd, près de 10,5% du PIB national, avec un PIB par habitant de 34.168 dirhams, presque au niveau de la moyenne nationale (34.346 dirhams).

L’industrie y tient tête aux services avec 38,2% de la valeur ajoutée vient du secondaire, 51,5% du tertiaire. C’est un territoire d’usines, de zones franches, de ports et de très grandes ambitions.

Pour preuve, la liste des projets est interminable. Des barrages (Dar Maimoune, Ali Thilate Aval), des tribunaux flambant neufs, une Cité des Métiers et des Compétences, des hôpitaux régionaux, des complexes portuaires et surtout, la galaxie Tanger Med, monstre logistique de plus de 30.800 millions de dirhams d’investissement cumulé.

En chiffres, cette région respire la puissance avec plus de 2.100 millions de dirhams de nouveaux projets pour 2026-2028, sans compter les budgets portés par les établissements publics (ONCF, ONDA, MASEN, RADEEL…). Même l’extension du petit aéroport de Tétouan est intéressante avec ses 4.000 emplois attendus pour une capacité portée à 7 millions de passagers.

Mais pendant que le Nord s’électrise, l’Oriental regarde, lui, son avenir avec un œil fatigué.

L’Oriental : grande par la carte, fragile par les chiffres

Une superficie de 88.681 km², soit 12,5% du territoire national. Mais seulement 2,29 millions d’habitants. Et c’est surtout la seule région où la population a diminué entre 2014 et 2024. Moins 0,09% de croissance annuelle.

Son taux d’activité ? 40,4%, stable mais bas.
Son chômage ? 21,1%, presque le triple de Tanger.
Et son PIB par habitant plafonne à 25.650 dirhams, loin derrière la moyenne nationale. Elle contribue à 5,1% du PIB du Maroc, soit le huitième rang seulement.

Pourtant, l’Oriental n’est pas oublié. L’État y a programmé des autoroutes, des barrages (Targa Oumadi, la surélévation du barrage Mohammed V), un hôpital régional à Oujda, des centres hospitaliers à Figuig et Talsint, un complexe religieux à Jerada, un Institut hôtelier, et surtout, le port Nador West Med, la grande promesse de l’Est. Un projet titanesque de 7.800 millions de dirhams, une digue de 4.300 mètres, une zone logistique de 760 hectares… Autour, tout un réseau d’infrastructures se trame entre liaison ferroviaire, routes dédoublées et connectivité avec Guercif et Nador.

Fès-Meknès : centre symbolique, périphérie économique

Fès-Meknès est ce qu’on pourrait appeler le cœur historique du pays. Une région charnière entre le Rif et le Moyen Atlas, une population dense de 4,46 millions d’habitants, un tissu social fort, mais une économie qui patine. Son PIB par habitant est de 23.334 dirhams, presque un tiers en dessous de la moyenne nationale. Et pourtant, elle contribue à 8,4% du PIB marocain, ce qui en fait la cinquième région du Royaume. Mais les chiffres ne mentent pas, la pauvreté y est plus visible, le chômage monte à 16,2%, en hausse de près de trois points en un an.

Les investissements publics sont pourtant là. Des barrages (M’Dez, Ribat Al Kheir, Ratba) pour sauver les nappes et irriguer la plaine du Saïss. Un pôle culturel à Fès, une Ecole nationale de commerce et de gestion, un centre hospitalier provincial à Moulay Yaacoub, un autre à Taounate. Le projet de la voie express Fès-Taounate (73 km), des zones industrielles (Aïn Bida) et un programme de développement rural dans le pré-Rif de Taza.

Rabat-Salé-Kénitra : la capitale et ses privilèges discrets

Au milieu du pays, la région brille sans surprise. C’est le centre politique, administratif et universitaire. 5,13 millions d’habitants, une croissance démographique soutenue (+1,14% par an) et surtout une part énorme du PIB national de 16%, la deuxième après Casablanca-Settat. Son PIB par habitant est de 40.720 dirhams, bien au-dessus de la moyenne. Le chômage baisse à 12,4%, le taux d’activité reste correct à 43,2%.

Et côté investissements, la liste ressemble à un inventaire d’épicerie ! L’extension du Centre Hospitalier Universitaire Ibn Sina de Rabat, un monstre de 7.450 millions de dirhams. Le Musée national de l’archéologie et des sciences de la Terre : 1.400 millions de dirhams. La Grande salle omnisports de Rabat, un futur symbole architectural. Le Barrage Koudiat Borna, la mise en valeur du littoral de Salé, la Cité des métiers de l’Oulja, la Foire de Rabat, les zones logistiques de Kénitra et Rabat (plus de 120 hectares) et même un projet de stockage de Gazoduc africain atlantique.

Dakhla Atlantique, nouveau Tanger Med du Sud ?

La région concentre tout, la santé, la culture, la logistique, l’énergie, les infrastructures sportives, les réseaux de bus (BHNS), la ligne à grande vitesse… TOUT on vous dit.

Mais pendant que Rabat se modernise, les villes moyennes rêvent de suivre la cadence. La régionalisation avancée, on n’y est pas encore. Le document officiel parle pourtant d’« une nouvelle génération de programmes de développement territorial intégré ».

Des milliards à la pelle, mais quelle équité ?

Ce que révèle la carte budgétaire, ce n’est pas une inégalité d’attention, mais une inégalité d’impact.
L’argent circule, mais les effets ne suivent pas partout. A Tanger, 1 dirham investi rapporte de la croissance. A Figuig ou Taounate, il rapporte de l’attente. C’est un fait.

Les villes moyennes sont les nouvelles capitales de l’espoir. Elles s’appellent Oujda, Fès, Meknès, Tétouan, Béni Mellal, Safi, Errachidia, Laâyoune. Elles ne brillent pas autant que Casablanca, n’attirent pas les multinationales comme Tanger et n’abritent pas les ministères comme Rabat. Mais dans le Maroc du PLF 2026, ce sont elles les nouvelles stars de la transformation territoriale.

Des villes moyennes, parfois marginalisées, mais désormais regardées comme les points d’appui du futur. Leur arme ? L’investissement public. Car elles peuvent exister autrement qu’à travers la nostalgie ou la géographie.

Une nouvelle génération de programmes territoriaux vise à « promouvoir l’emploi à partir des vocations économiques dominantes et des spécificités de chaque territoire ».

En gros, cela veut dire que chaque région doit se reconstruire à partir de ce qu’elle est, pas à partir d’un modèle imposé. Dans les années 2000, on construisait pour montrer. Dans les années 2020, on construit pour ancrer. Les villes moyennes n’ont plus besoin de gratte-ciel, elles demandent des hôpitaux, des routes, des centres de formation, des stations d’épuration…

Et les résultats commencent à se voir. Les taux de scolarisation ont grimpé à 83% au préscolaire, 100% au primaire, 80% au collège. L’électrification est quasi totale. La pauvreté multidimensionnelle a reculé de 11,9% en 2014 à 6,8% en 2024. Les villes moyennes en sont les témoins directs.

L’un des passages les plus révélateurs de la Note est celui qui évoque « la logique ascendante de proximité depuis les territoires ». C’est révolutionnaire dans la logique administrative marocaine. Car pour la première fois, les programmes régionaux sont censés venir du terrain, avant d’être validés par le centre.
Ça se voit d’ailleurs à travers les chiffres avec les taux d’exécution physique (TEPC) des projets qui dépassent 80% dans plusieurs régions, notamment Tanger et Fès-Meknès. Les Taux d’exécution financière (TEFC) oscillent entre 50 et 90%.

Les veilles des régions : réparer, relier, réveiller

Drâa-Tafilalet, c’est la région qu’on cite rarement, mais qu’on traverse toujours avec respect. Le document officiel en parle comme d’un espace clef pour « la gestion proactive et durable des ressources en eau ». Et pour cause, ici, tout part de l’eau, tout dépend de l’eau. La région vit sous le stress hydrique le plus intense du pays.

Le PLF 2026 prévoit la construction et la réhabilitation de plusieurs ouvrages hydrauliques, dont des barrages collinaires et des systèmes d’irrigation à énergie solaire. Des investissements qui ne dépassent pas quelques centaines de millions de dirhams par projet, mais qui valent de l’or dans un territoire où un millimètre de pluie change le destin d’une année.

Drâa-Tafilalet, c’est aussi une région de routes. Les programmes visent à désenclaver les zones montagneuses, relier les oasis entre elles, sécuriser les accès aux villages. Pas de TGV ici, mais des routes en bitume neuf, des ponts réparés, des pistes rurales consolidées.

Et puis, il y a le soleil. Le document cite les projets de MASEN, l’Agence marocaine de l’énergie solaire, qui investit dans des stations régionales.
Du côté de Souss-Massa on imagine directement Agadir, ses plages, ses stations balnéaires. Mais dans le PLF 2026, ce n’est pas le tourisme qu’on lit en priorité, c’est l’eau, l’agriculture et les services sociaux. Les projets d’investissement y sont répartis entre routes, éducation et hôpitaux.

A Guelmim-Oued Noun, la porte du Sud, entre le Maroc intérieur et les provinces sahariennes, une mise à niveau territoriale intégrée est prévue.

Concrètement cela se compose de routes régionales et provinciales, avec des programmes d’entretien et de renforcement. L’accès à l’eau potable pour les douars et communes isolées. Les établissements scolaires et sanitaires, pour combler les déficits en services sociaux. Et la formation professionnelle, avec la création de centres sectoriels.

Du côté de Laâyoune-Sakia El Hamra, ce n’est plus de la réparation, c’est de la consolidation. Le PLF 2026 cite des projets, souvent portés par les établissements publics (ONDA, ONEE, MASEN), pour accompagner la croissance rapide de la région.

Les priorités :
Développement des infrastructures routières,
Renforcement de l’accès à l’eau et à l’électricité,
Amélioration des services de santé et d’éducation,
Promotion de la pêche et de l’agriculture du désert.

Non loin de là, Dakhla-Oued Ed-Dahab est un projet national à part entière. Une région de moins de 200.000 habitants, mais une ambition digne d’un continent.

Les projets listés dans la note sont impressionnants, comme la poursuite du développement portuaire, avec des infrastructures d’accueil pour la pêche et le commerce maritime. Les zones industrielles et zones logistiques, appuyées par la dynamique du port et des liaisons routières. Le renforcement des équipements de base : santé, éducation, routes.

Ou encore les investissements agricoles ciblés autour de la pêche et de la valorisation des produits de la mer.
Chaque chantier a deux visages, local et géopolitique. L’État y investit pour fixer les populations, créer de la valeur, mais aussi pour montrer que le développement du Sud est une promesse tenue.

Le document officiel le dit sans détour, il s’agit de « renforcer la résilience des territoires face aux chocs endogènes et exogènes ».

La régionalisation avancée à l’épreuve du réel

La promesse, c’est de donner du pouvoir aux territoires. L’idée est belle.
Elle figure dès l’introduction de la Note : l’État veut « adopter une approche de proximité et d’efficacité dans l’exécution de ses politiques publiques ». On y parle « d’impulsion locale », de « convergence des programmes », de « logique ascendante ».

Chaque région se voit dotée d’une stratégie de développement censée traduire ses priorités économiques, sociales et environnementales.

On veut donner du pouvoir aux régions, mais les crédits d’investissement sont encore négociés à Rabat. Le PLF 2026 prévoit 380 milliards de dirhams d’investissements publics, mais moins de 5% sont directement inscrits dans les budgets régionaux. Le reste est porté par l’État, les entreprises publiques et les agences nationales. C’est la régionalisation de l’exécution, pas encore celle de l’initiative.

La régionalisation avancée s’appuie sur trois piliers :

Un Etat qui conserve le pilotage macroéconomique.
Des régions exécutantes, qui adaptent et coordonnent les politiques publiques.
Des établissements publics opérateurs, qui assurent l’exécution technique et la continuité.

Cette architecture a ses limites, mais aussi ses avantages, elle permet d’éviter le chaos administratif tout en diffusant la responsabilité. Un genre de Maroc hybride, encore centralisé, mais déjà polycentrique. Un pays où les décisions naissent à Rabat mais s’enracinent dans Béni Mellal, Oujda, Laâyoune ou Fès.

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