Le Maroc se dote d’un cadre légal pour encadrer les crypto-actifs

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Le Maroc se dote d’un cadre légal pour encadrer les crypto-actifsImage d’illustration. © DR

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Le Royaume du Maroc s’apprête à franchir une étape décisive dans la régulation des monnaies numériques et de la finance décentralisée. Le ministère de l’Économie et des Finances, dirigé par Nadia Fettah, a présenté un avant projet de loi relatif aux crypto-actifs, visant à encadrer cette activité émergente et à protéger le système financier national des risques qu’elle comporte.

Depuis leur apparition au début des années 2010, les crypto-actifs, représentations numériques de valeurs ou de droits transférables via la technologie des registres distribués (blockchain), se sont multipliés et diversifiés à une vitesse vertigineuse. Cette expansion, souvent en dehors des circuits financiers traditionnels, a mis à l’épreuve les autorités de régulation du monde entier.

Face à ces défis, des institutions internationales telles que le Fonds monétaire international (FMI), la Banque des règlements internationaux (BRI) et le Groupe d’action financière (GAFI) appellent les États à se doter de cadres juridiques capables de canaliser ces innovations tout en luttant contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Un cadre attendu pour un secteur en pleine expansion

Dans cette dynamique, le Maroc a mis en place en 2022 un groupe de travail interministériel chargé de définir les contours d’un usage légal et sécurisé des crypto-actifs. Ce travail de concertation, mené en coordination avec Bank Al-Maghrib et l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), a abouti à un texte ambitieux.

L’avant-projet de loi, ouvert à commentaire public, vise à instaurer un cadre clair, agile et cohérent, conciliant innovation numérique et stabilité financière. Il fixe les règles d’agrément, de gouvernance et de supervision des établissements prestataires de services sur crypto-actifs (EPSC), tels que les plateformes de négociation, les sociétés de conservation ou les conseillers en crypto-actifs.

Le texte repose sur quatre piliers fondamentaux : protéger les investisseurs et les consommateurs, souvent exposés à des pertes liées à la volatilité ou à la fraude ; préserver l’intégrité des marchés face aux manipulations, aux opérations d’initiés et à la diffusion d’informations trompeuses ; soutenir l’innovation technologique et encourager la digitalisation des services financiers ; enfin, maintenir la stabilité du système financier national en limitant les interconnexions risquées entre crypto-actifs et économie réelle.

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Un champ d’application large mais ciblé

L’avant projet encadre les principales activités liées aux crypto-actifs : émission, offre publique, négociation et conservation. Il distingue notamment deux types de jetons : les jetons utilitaires, qui donnent accès à un service ou à un bien, et les jetons adossés à des actifs — plus connus sous le nom de stablecoins — dont la valeur est indexée sur une monnaie ou sur un panier d’actifs.

Sont en revanche exclus du champ d’application de la loi les monnaies numériques des banques centrales, les NFT (jetons non fongibles) ainsi que l’activité de minage, c’est-à-dire la validation technique des transactions sur la blockchain.

Le texte définit une répartition claire des compétences. L’AMMC sera chargée de l’encadrement des émissions, de l’agrément et du contrôle des établissements prestataires de services ainsi que des plateformes de négociation.

De son côté, Bank Al-Maghrib supervisera les émetteurs de stablecoins ainsi que les opérations d’émission et d’offre publique de ces jetons, en veillant à ce que les fonds collectés soient adossés à des actifs sûrs et liquides.

Les prestataires agréés devront répondre à des exigences strictes : capital minimum, contrôle interne, dispositifs de lutte contre le blanchiment, gestion des risques et respect des règles prudentielles fixées par les autorités. Ils seront également tenus à une transparence accrue envers leurs clients, notamment à travers une information claire sur les frais, la publication d’un livre blanc pour chaque émission de jetons et la mise en place de mécanismes de réclamation.

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En cas d’infractions, l’avant projet prévoit un régime de sanctions disciplinaires, pécuniaires et pénales, destiné à dissuader toute manipulation de marché ou tout usage abusif d’informations privilégiées.

Lutte contre le blanchiment, le financement du terrorisme et les abus de marché

Le volet relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme occupe une place centrale. Les acteurs du secteur devront identifier et évaluer les risques liés à leurs activités, conserver les données des transactions pendant dix ans et coopérer avec l’Autorité nationale du renseignement financier (ANRF).

Les transferts de crypto-actifs, qu’ils soient nationaux ou transfrontaliers, devront être accompagnés d’informations précises sur les donneurs d’ordre et les bénéficiaires, conformément aux exigences du GAFI.

L’avant projet de loi introduit des dispositions inédites pour prévenir les abus de marché. Les opérations d’initiés, la manipulation des cours et la diffusion de rumeurs seront strictement interdites et sanctionnées. Toute transaction suspecte devra être signalée à l’AMMC ou à Bank Al-Maghrib.

Cette approche vise à garantir la transparence et la confiance sur les plateformes de négociation, à l’instar des marchés financiers classiques. En dotant le pays d’une législation adaptée, le Maroc s’aligne sur les standards internationaux tout en affirmant sa souveraineté numérique. Ce texte reconnaît officiellement les crypto-actifs comme une nouvelle classe d’actifs financiers, mais dans un cadre strictement contrôlé.

Interview avec le Pr. Ahmed Azirar, fondateur du Club d’Economie de l’Entreprise du Maroc (CEREM)

Le Brief : Pourquoi le Maroc a-t-il jugé nécessaire d’élaborer une loi spécifique sur les crypto-actifs ?

Ahmed Azirar : Cet avant projet 42.25, tel que publié par le SGG, est structuré en 6 titres détaillés en 79 articles. Il vise à réglementer un marché émergent et risqué tant pour ses acteurs que pour le système monétaire et financier national. La réglementation vise à ne pas rester à la traîne d’une révolution technico-financière internationale, à répondre aux recommandations des instances internationales de régulation financière (GAFI, FMI et FSB) et à sécuriser des opérations que de nombreux Marocains effectuent actuellement en dehors de tout cadre national.

Le Brief : Quels sont les principaux objectifs poursuivis par cet avant projet de loi ?

Ahmed Azirar : Selon le projet, il s’agit de protéger de manière appropriée les clients et les investisseurs dans cette classe d’actifs, de renforcer l’intégrité des marchés face à la fraude, à la manipulation, au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme, de soutenir l’innovation financière et numérique, et enfin de préserver la stabilité financière. Ces objectifs multidimensionnels imposent à la fois rigueur et prudence. L’avant projet sera initialement strictement encadré pour tester son fonctionnement, avec la possibilité de l’assouplir ultérieurement si nécessaire.

Le Brief : Comment la loi entend-elle concilier innovation financière et protection du système financier ?

Ahmed Azirar : Le projet encadre strictement le marché des crypto-actifs, qui n’ont aucun pouvoir de paiement, en le réservant à des opérateurs personnes morales, de taille suffisante et agréés. Il précise également des exclusions majeures, telles que les personnes physiques et certaines opérations complexes, comme le minage. L’avant projet rappelle le cadre légal national applicable, notamment la réglementation des changes, et définit les compétences des instances de suivi et de contrôle, à savoir l’Autorité Marocaine du Marché des Capitaux (AMMC) et Bank Al-Maghrib. À l’image de la réglementation prudente encadrant les fintech, ce projet de loi ouvre une voie à l’innovation, tout en restant strictement contrôlé.

Le Brief : Comment l’avant projet de loi protège-t-il les consommateurs et les investisseurs ?

Ahmed Azirar : Les opérations doivent obligatoirement passer par une plateforme de négociation agréée, assurant une traçabilité complète sur l’ensemble de la chaîne. Le projet de loi définit les conditions et modalités d’utilisation des crypto-actifs sur ces plateformes, encadrant l’émission de jetons utilitaires, destinés uniquement à donner accès à un bien ou service fourni par l’émetteur, ainsi que l’émission de jetons adossés à des actifs pour maintenir une valeur stable. Il impose également d’informer clairement le public sur les risques, les caractéristiques techniques et financières des actifs, ainsi que sur les droits (ou absence de droits) qu’ils confèrent. Toute promesse mensongère ou schéma frauduleux pourra être sanctionné, y compris par des peines pénales.

Le Brief : Quels risques économiques ou financiers la loi cherche-t-elle à prévenir ?

Ahmed Azirar : Il s’agit donc d’opérations sécurisées, visant à prévenir tout blanchiment d’argent, financement illicite ou financement du terrorisme. Le texte ne légalise pas l’usage des cryptomonnaies pour le moment, le système étant encore en phase de rodage. Il protège contre les risques spéculatifs, de change et les fraudes de toute nature, y compris fiscales. Cependant, l’interdiction des cryptomonnaies laisse subsister un marché noir actif.

Le Brief : Comment le cadre marocain se compare-t-il aux régulations adoptées dans d’autres juridictions (Union européenne, États-Unis, etc.) ?

Ahmed Azirar : Il s’agit d’un premier cadre réglementaire comme j’ai deja dit qui a ete muri par un comité national constitué par BAM depuis 2022 et qui s’est largement inspiré de la legislation europeenne MiCA de 2023 entrée en application en 2024.
L’avant projet de loi institue une plateforme nationale de suivi et de concertation sur les crypto-actifs, réunissant BAM, l’AMMC, l’ACAPS, la Direction du Trésor, la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP) et d’autres autorités compétentes. Cette instance aura pour mission d’assurer une cohérence des politiques publiques, de proposer des adaptations réglementaires et de veiller à la sécurité du système financier.
Les expériences mondiales restent encore limitées et le Maroc est parmi les précurseurs dans un marché né librement sur le net par l’utilisation de la blockchain.
Ceci dit, l’avant projet est mis à consultation, il peut évoluer. Il y a des marges possibles. Comme egalement en matiere de Fintechs.

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