Hôpital public : Agadir, miroir d’un système en souffrance

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Hôpital public : Agadir, miroir d’un système en souffranceL'hôpital régional Hassan II à Agadir © DR

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À Agadir, la colère des citoyens a éclaté au grand jour. Des centaines de manifestants se sont rassemblés devant l’Hôpital régional Hassan II pour dénoncer la dégradation du service public de santé, une situation révélatrice des failles du système, non seulement dans la capitale du Souss, mais au-delà. Plongée au cœur de cette crise, avec des éléments de réponse.

La situation sanitaire à Agadir interpelle. Des signaux de tension et de mécontentement montrent que le système hospitalier, longtemps critiqué, reste fragile et sous pression. Cette crise locale illustre des enjeux qui dépassent la région et pose la question de l’efficacité des politiques de santé à l’échelle nationale. Face à des attentes croissantes, il devient nécessaire d’analyser les défis structurels et d’envisager des mesures durables pour garantir la qualité des soins, la disponibilité des ressources et la confiance des citoyens envers le service public.

Lire aussi : «À bas la prévarication»

Comment cela a commencé ?

La crise sanitaire qui secoue Agadir trouve son origine dans une série de drames ayant profondément marqué l’opinion publique. Plusieurs décès de femmes enceintes à l’Hôpital régional Hassan II ont suscité une vive inquiétude et mis en lumière les défaillances du système de santé dans la région. Ces tragédies ont agi comme un déclencheur, révélant une colère longtemps contenue chez les habitants.

Dans le même temps, les vidéos du Dr Ahmed Farissi, largement relayées sur les réseaux sociaux, ont amplifié cette indignation. Le médecin y dénonce la dégradation des services hospitaliers, le manque de blocs opératoires et les conditions difficiles dans lesquelles exercent les professionnels de santé. Ses témoignages, issus de l’intérieur même de l’établissement, ont donné un écho national à la mobilisation citoyenne.

Cette accumulation de frustrations et de révélations a conduit à l’organisation d’une manifestation massive devant l’Hôpital régional Hassan II. Des centaines de citoyens, venus d’Agadir et d’autres provinces du sud, ont brandi des pancartes et scandé des slogans dénonçant l’état alarmant du secteur de la santé. Ce rassemblement, qualifié de « mouvement populaire » par des défenseurs des droits humains, traduisait une exaspération généralisée face à l’absence de solutions durables.

Face à cette contestation inédite, le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Amine Tehraoui, s’est rendu sur place pour constater la situation. Sa visite a confirmé l’ampleur des défaillances signalées par les citoyens et relevées dans des rapports d’inspection. L’hôpital Hassan II, unique recours pour de nombreux habitants, souffre d’un manque criant en équipements, en ressources humaines et en organisation, aggravant la surcharge de patients.

À la suite de cette visite, le ministère a décidé de limoger la directrice régionale de la santé de Souss-Massa, Dr Lamia Chakiri, ainsi que le délégué provincial d’Agadir Ida-Outanane, Khalid Rifi. Dr Chakiri, qui avait occupé auparavant le même poste à Marrakech avant d’être limogée et nommée à Souss-Massa, avait fait une sortie médiatique peu avant la venue du ministre. Elle y expliquait que l’Hôpital Hassan II subissait une forte pression liée à l’absence d’un Centre hospitalier universitaire, ce qui poussait parfois les patients à effectuer leurs examens et radios à l’extérieur en raison de pannes fréquentes des machines.

Elle avait également donné des chiffres illustrant l’augmentation de l’utilisation du scanner et de l’IRM par rapport à l’année précédente, tout en reconnaissant certaines défaillances, notamment un manque de médicaments. Contactée par LeBrief après son limogeage, Dr Lamia Chakiri n’a pas souhaité faire de déclaration.

Lire aussi : Amine Tahraoui limoge plusieurs responsables de la santé à Agadir 

Limogeages : un geste symbolique ?

La décision de relever les deux responsables de leurs fonctions est perçue par beaucoup comme une mesure essentiellement symbolique, destinée à apaiser la colère populaire, sans pour autant s’attaquer aux problèmes structurels du système de santé dans la région.

Pour Dr Tayeb Hamdi, chercheur en politique et sciences de la santé, le limogeage de responsables régionaux ou même du ministre de la Santé ne saurait, à lui seul, résoudre la crise du secteur. « On limoge un responsable quand l’enquête montre qu’il a manqué à ses devoirs, ou il démissionne lorsqu’il estime ne pas avoir assumé ses responsabilités », explique-t-il. Mais, selon lui, ces décisions restent limitées dans leur portée, car elles ne s’attaquent pas aux causes profondes.

En réalité, les difficultés actuelles sont le résultat d’un cumul de défaillances étalées sur plusieurs décennies. Année après année, gouvernement après gouvernement, les carences se sont installées jusqu’à devenir un problème structurel. Qu’il s’agisse du manque de médecins, de la fuite des spécialistes vers le privé ou l’étranger, de la faiblesse des salaires, de la mauvaise gouvernance ou encore de la corruption, la crise dépasse largement la question de personnes individuelles à la tête des établissements.

Ainsi, améliorer uniquement les rémunérations ou acheter de nouveaux équipements ne suffit pas. « Si la gouvernance reste défaillante, les mêmes problèmes resurgiront », insiste Dr Hamdi. Un scanner sans radiologue, une IRM sans technicien, ou encore des machines sans entretien : autant d’exemples de ressources mal utilisées faute de gestion efficace.

« C’est pourquoi le Souverain avait parlé dès 2018 non pas d’une simple réforme, mais d’une refonte profonde du système national de santé. Cette refonte doit passer par une meilleure gouvernance, l’instauration des Groupements sanitaires territoriaux (GST), la digitalisation, la transparence et des mesures fermes contre la corruption et les gaspillages », explique l’expert.

Pour réussir, il faut selon lui aller au-delà des textes de loi. « Les réformes juridiques sont nécessaires, mais elles doivent se traduire sur le terrain », souligne-t-il. Cela suppose d’accélérer la mise en œuvre, de restaurer la confiance des citoyens et des professionnels de santé, et de placer aux postes clés des responsables crédibles, compétents et transparents. Sans cette confiance, le système restera fragile, et les financements issus de la généralisation de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) ne suffiront pas à redresser un hôpital public en crise.

Où en est le CHU de Souss-Massa et quid de la rénovation de l’hôpital Hassan II à 135 MDH ? 

Le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) d’Agadir, dont la construction avait été lancée en 2018, continue de susciter interrogations et attentes. En mars 2024, le ministère de la Santé annonçait un taux d’avancement de 96%. Aujourd’hui, l’infrastructure semble achevée mais n’a toujours pas ouvert ses portes au public, malgré la nomination dès 2020 de son directeur, Pr Mohamed Arrayhani, également secrétaire général de la Société marocaine de néphrologie (SMN).

Contactée à ce sujet, Hala Benjelloun Andaloussi, chef de division de l’information et de la communication au ministère de la Santé et de la Protection sociale, assure que le CHU se trouve dans sa « phase finale » et qu’il sera « bientôt opérationnel ». Elle ne donne toutefois aucune date précise, ce qui entretient le flou autour de l’ouverture effective de cet établissement attendu par toute la région du Souss-Massa.

Pour Dr Hamdi, l’ouverture d’un CHU dans une région ne se limite pas à l’ajout de quelques centaines de lits supplémentaires. Dans la nouvelle organisation du système national de santé, à travers les Groupements sanitaires territoriaux (GST), le CHU occupe une place centrale. Il constitue le chef de file de l’offre de soins au niveau régional.

Le CHU représente le troisième niveau de soins, avec des missions stratégiques : assurer la prise en charge spécialisée, développer la recherche médicale et garantir la formation continue. C’est aussi le lieu où se forment les futurs médecins, les spécialistes et les enseignants-chercheurs. Mais cette importance ne se traduit pleinement que si le CHU remplit effectivement ses fonctions. « On peut avoir un CHU sans réelle plus-value si ses missions ne sont pas correctement assumées », prévient Dr Hamdi. Ce type d’infrastructure doit être un centre de référence, capable d’éviter à de nombreux patients de parcourir des centaines de kilomètres pour accéder à des soins spécialisés.

Un autre rôle crucial du CHU est celui de la formation pratique. « Il n’y a pas de faculté de médecine sans CHU », rappelle-t-il. Si les cours magistraux peuvent être suivis en amphithéâtre ou même en ligne, l’apprentissage du métier de médecin ne peut se faire qu’au chevet du patient, sous la supervision d’enseignants et de praticiens expérimentés.

Dans ce contexte, maintenir un CHU fermé représente, selon lui, une perte considérable pour la région concernée. Non seulement cela prive la population d’un accès de proximité à des soins spécialisés, mais cela freine aussi la formation de toute une génération de professionnels de santé.

En parallèle, l’autre grand chantier hospitalier de la ville, à savoir la rénovation de l’hôpital régional Hassan II (source de cette polémique), avance timidement. En mai 2023, une convention de partenariat avait été signée à Agadir, sous la présidence du chef du gouvernement Aziz Akhannouch, pour un coût global de 135 MDH. Le financement a été réparti entre le ministère de la Santé (60 MDH), la Région Souss-Massa (50 MDH) et la commune d’Agadir (25 MDH).

Interrogée sur ce dossier, la représentante du ministère explique que la rénovation ne peut se faire d’un seul bloc, l’hôpital accueillant une population nombreuse et nécessitant la continuité des services. Selon elle, les travaux sont menés « étape par étape » pour éviter toute paralysie des activités médicales.

Nos recherches montrent toutefois que, pour l’instant, les interventions concernent surtout les espaces extérieurs, comme l’indiquent les résultats de l’unique appel d’offres publiée à ce sujet.

PV DEF AO 40 25 S2A

Au-delà d’Agadir, la souffrance des hôpitaux publics

Les événements à Agadir ne constituent pas un cas isolé. Selon Dr Tayeb Hamdi, ce qui s’est produit dans la capitale du Souss-Massa illustre une crise plus large qui mine les hôpitaux publics du Maroc depuis des années.

« Tous les Marocains savent que l’hôpital public est défaillant », explique-t-il. Malgré les réformes annoncées, la structure hospitalière demeure non attractive et peine à se remettre sur les rails. Les chiffres en témoignent : moins de 10% des dépenses de l’Assurance maladie obligatoire (AMO) sont dirigées vers le public, alors que le privé capte la grande majorité des patients, y compris ceux assurés via le régime Tadamon.

Le chercheur identifie quatre causes majeures à l’exaspération populaire. D’abord, l’absence de signaux positifs : « l’hôpital public se paupérise et n’offre aucun espoir de réforme à la population ». Ensuite, une prise de conscience accrue des Marocains vis-à-vis de leur santé, notamment après la pandémie. À cela s’ajoute l’érosion du pouvoir d’achat qui rend le recours au privé de plus en plus difficile, faute de couverture suffisante de l’assurance maladie et de révision de la tarification nationale depuis 2006. Enfin, la population ne comprend pas l’écart entre les grands chantiers annoncés au niveau national et la réalité inchangée des établissements hospitaliers.

Cette situation entraîne un retour massif de la classe moyenne vers les structures publiques, désormais perçues comme dernier recours. Mais l’hôpital public, rappelle le Dr Hamdi, se vide de ses ressources humaines. Les médecins quittent massivement le service public pour le privé ou pour l’étranger, attirés par de meilleures conditions de travail et des salaires plus élevés. Quant au matériel, il est souvent mal réparti ou inutilisé faute de techniciens et de radiologues, aggravant la perception d’une gouvernance déficiente.

Enfin, pour le chercheur, il s’agit d’un problème structurel : faible financement, mauvaise gouvernance, gestion inefficace des ressources humaines et absence d’outils modernes de management. « On ne sait pas ce qui se passe dans un hôpital public, ça fonctionne tant bien que mal, jusqu’au jour où ça explose », résume-t-il. L’affaire d’Agadir n’est donc pas une exception, mais le symptôme visible d’un système hospitalier qui, faute de réforme profonde, risque de continuer à perdre la confiance des citoyens.

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