Une descente des autorités pendant le mois de Ramadan, à Casablanca, et la toile s’anime à nouveau. Entrepôts clandestins, denrées avariées, produits douteux… Oui, le mois de Ramadan, c’est aussi une aubaine pour ces marchands de l’ombre. Entre ceux qui spéculent en créant de fausses pénuries et ceux qui remplacement les dates de péremption, nous sommes loin des comportements religieux et exemplaires ! Immersion dans le business juteux de l’informel.

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Comme dans un mauvais polar, une descente a révélé de bien mauvaises surprises à Casablanca. Une machine servant à falsifier les dates de péremption a même été saisie ! Preuve d’un système bien rodé pour écouler des produits impropres à la consommation !

Pendant le mois sacré de Ramadan, la demande explose, les prix s’envolent et dans ce brouhaha, nombreux sont ceux qui n’hésitent pas une seconde à jouer avec la santé des consommateurs. Des étiquettes soigneusement trafiquées cachant des aliments dont la fraîcheur est aussi incertaine qu’une promesse électorale ? Dans des arrière-boutiques et des hangars clandestins, des cargaisons entières de produits douteux trouvent preneurs, alimentant un circuit parallèle qui prospère loin des radars officiels.

Faut-il se résigner à voir ce marché noir prospérer année après année ou se décider à se rabattre sur des produits plus chers ? Si les autorités multiplient les descentes et promettent des sanctions, le jeu du chat et de la souris est loin d’être fini. Immersion dans ces pratiques clandestines.

Ramadan aux saveurs aigres-douces

Quelle douce odeur que celle de Ramadan. En plein mois de jeûne, les sens sont multipliés et l’odorat ne cesse d’être interpelé. Dans les ruelles animées des médinas, les étals débordent de bonnes dattes sucrées de différentes origines, de pâtisseries dorées et de jus d’orange tout juste pressés. Panier en main, les Marocains naviguent avec expertise entre les stands, sélectionnant les meilleurs ingrédients pour le ftour. Selon les chiffres 2022/2023 du Haut-Commissariat au Plan, les Marocains ont des dépenses de plus de 18% par rapport au reste de l’année.

17% des dépenses vont, évidemment, à l’alimentation. Dans le détail, le lait et ses dérivés passent de 23,7 litres à 35,8 litres par ménage. Les œufs voient leur consommation bondir de 39,4 à 52,2 unités. Mais cette année sonne aussi le glas des beaux jours. Les œufs, qui ont vu leur prix grimper et leur taille diminuer vont-ils toujours avoir une place centrale sur les tables marocaines ? Quant aux sardines, qui dansaient fièrement lors du mois de Ramadan, elles ne sauront ravir les papilles au vu des spéculations actuelles.

Sardine : décryptage d’une fausse crise économique

Et pourtant, rien ne freine cette effervescence ramadanesque. Quitte à ne pas manger de protéines, ces sardines sont remplacées par d’autres produits moins coûteux. Mais advienne que pourra, à coup de harira, msemen, briouates… la table sera pleine.

Toutes les catégories sociales participent à cette fête de la consommation. Les 20% des ménages les moins aisés voient leurs dépenses augmenter de 8,4%, les ménages intermédiaires de 9,7% et les 20% les plus aisés de 8,9%. Car, oui, la consommation n’est pas uniforme à travers le pays et les CSP.

Cependant, tout n’est pas en hausse. Les dépenses liées à l’habillement diminuent de 11,5%, probablement en raison de la focalisation sur les repas et les rassemblements familiaux. De même, les repas pris à l’extérieur voient leurs dépenses chuter de 30,6%, les familles privilégiant les repas préparés à la maison.

Un mois de surconsommation

Ramadan : marché noir ou souk en or ?

Marché de proximité à Casablanca, le 07 mars 2025 © LeBrief – Ayoub Jouadi

Et puis, on a beau parler, inflation ne rime pas avec arrêt d’achats ! Au lieu d’en acheter deux, le citoyen en achètera un. Il se rabattra sur des solutions moins coûteuses, de la vaisselle importée, des djellabahs turques prêtes à l’emploi, au lieu de les faire coudre, et des souks qui révèlent l’essence même de la culture marocaine.

C’est comme une immense fourmilière économique. Dès l’annonce officielle de la nouvelle lune, tout s’enclenche d’un coup, comme si la nourriture allait disparaître : les marchés se remplissent, les commerces prolongent leurs horaires et une véritable fièvre acheteuse s’empare des ménages. Mais le plus intéressant est évidemment de constater qu’un Marocain se transforme durant cette période en James Bond des bonnes affaires ! Ne demandez pas, c’est culturel !

Si le Ramadan est un mois de privation, il est aussi, ironiquement, un mois d’excès. Dès la rupture du jeûne, les tables débordent, au point où souvent de petites tables d’appoint sont nécessaires pour le thé et les jus. Les familles se ruent sur les dattes, le lait, les œufs, la farine et surtout les pâtisseries traditionnelles comme la chebakia et le sellou.

Les supermarchés et souks pris d’assaut

C’est dit, c’est un fait, de plus en plus de Marocains font attention aux fins de mois difficiles. À défaut de se ruer dans les grandes surfaces dont les prix sont parfois plus élevés, les Marocains ont pour habitude de se rendre dans les souks les plus proches, faire des emplettes au jour le jour, car c’est bien cela le plaisir ramadanesque.

« Le Ramadan est une période très intense pour nous. Les clients arrivent presque tous en même temps et veulent des pâtisseries spécifiques. Nous devons augmenter nos stocks pour répondre à la demande », nous raconte le gérant d’une pâtisserie traditionnelle ayant pignon sur rue à Benjdia.

Il faut dire que les marchés traditionnels, ou souks, sont LE grand personnage de ce mois de Ramadan. Toujours à Benjdia, marché connu de la capitale économique, les marchands ayant pour habitude de vendre fruits et légumes, peuvent transformer leurs étals afin de proposer des pâtisseries, des fonds de tartes, des feuilles de pastilla pour les briouates… Le mot d’ordre est adaptabilité ! Tout citoyen peut trouver de tout et même de l’inattendu dans un souk !

Parallèlement, il y a aussi les grandes surfaces et supermarchés pour ceux qui ont un peu plus de moyens ou moins de temps à octroyer aux courses. Quoique… moins de moyens ? Pas toujours ! La bonne affaire peut se trouver en grandes surfaces grâce aux promotions spéciales sur les produits phares du Ramadan. Selon un responsable d’une grande surface, cité par le journal arabophone Assabah (édition du 27 février), le chiffre d’affaires peut augmenter de 20 à 30% pendant cette période.

Certaines enseignes adoptent des stratégies bien rodées pour séduire les consommateurs. Promotions ciblées avec des packs « Ramadan » contenant dattes, farine, sucre et huile à prix « cassés ». Soyons clairs, plus rien ne vaut cette expression dans ce contexte économique, mais disons à prix inférieurs. Il y a aussi des animations commerciales, avec dégustations de produits, stands de pâtisseries traditionnelles, avant le mois de Ramadan. Et pendant le mois de jeûne, certains hypermarchés de proximité, de hard-discount, tels que BIM, restent ouverts plus longtemps après le ftour.

Hard-discount toujours plus bas, mais à quel prix ?

Profiling des As du business informel

Marché de proximité opérant en toute légalité à Casablanca, le 07 mars 2025 © LeBrief – Ayoub Jouadi

L’économie informelle du Ramadan n’est pas un grand bazar sans visage. Derrière les étals improvisés et les ventes sur WhatsApp, on retrouve une diversité de joueurs bien rodés, chacun avec son créneau et ses stratégies. Certains sont des saisonniers, d’autres de véritables professionnels de l’ombre qui préparent leur coup des mois à l’avance.

La maman touche à tout

Avec la tendance du « fait maison » et le besoin de plats rapides pour le ftour, de nombreux particuliers se lancent dans la cuisine à domicile. Harira, msemen, briouates, pastillas… Ces cuisiniers improvisés se font un nom sur WhatsApp ou Instagram et assurent même des livraisons à domicile.

C’est l’histoire de Ghita, qui d’un petit business ramadanesque pour arrondir ses fins de mois, est devenue un véritable traiteur. « Avant, je cuisinais juste pour mes enfants. Mais avec la demande pendant Ramadan, j’ai commencé à vendre mes plats à mes collègues. Puis de jour en jour et avec les réseaux sociaux, j’ai pu en faire mon métier ». Grâce aux réseaux sociaux, l’économie informelle du Ramadan s’est digitalisée. Des pages entières sont dédiées à la vente de produits spécifiques. Le marché en ligne explose !

Des Markets place et boutiques en ligne Instagram se taillent une part du gâteau, notamment sur les box Ramadan (packs tout prêts avec ingrédients essentiels), les livraisons de plats cuisinés (harira, msemen, tajines), les vêtements traditionnels (djellabas, caftans, accessoires religieux) …

Les incontournables vendeurs ambulants

Ramadan : marché noir ou souk en or ?

Vendeur ambulant à Casablanca, le 07 mars 2025 © LeBrief – Ayoub Jouadi

Dès les premiers jours du mois de Ramadan, les rues se transforment en véritables marchés à ciel ouvert. On y trouve de tout ! Ces vendeurs ambulants, qui travaillent sans licence ni réglementation, sont les premiers bénéficiaires de la frénésie ramadanesque. Le secret de leur succès ? L’instantanéité ! En se positionnant aux bons endroits (à la sortie des mosquées, aux abords des marchés, ou encore dans les quartiers populaires), ils captent énormément de clients affamés et pressés.

L’une d’entre eux, rencontrée dans le quartier Mâarif de Casablanca, nous explique que le reste de l’année, elle travaille comme femme de ménage. Mais même en travaillant de nuit pour la confection des mets et de jour pour la vente, elle estime que ce travail est bien plus rentable. Une rue plus loin, une seconde vendeuse, habituée des lieux, se plaint à demi-mots « La rue appartient à tout le monde, mais je dois venir plus tôt que les autres sinon ils me prennent ma place. Moi, je suis là toute l’année, j’ai ma clientèle Hamdoullah ». La concurrence fait rage dans les rues de Casablanca.

Les faiseurs de fortune

Mais d’où viennent tous ces produits qui inondent les rues ? Derrière chaque vendeur ambulant se cache un réseau de grossistes opérant dans l’ombre. Ces « faiseurs de fortune », comme nous pourrions les nommer, possèdent des entrepôts entiers de denrées alimentaires, souvent stockées bien avant Ramadan pour être revendues à prix d’or quand la demande explose. Ils sont particulièrement actifs dans les denrées non périssables comme les dattes, les fruits secs ou la farine. Les grossistes contrôlent une grande partie du marché. C’est bien connu, en stockant des tonnes de produits, ils créent une fausse pénurie pour mieux spéculer sur les prix.

L’artisan du faux

Au-delà de l’alimentaire, le Ramadan connaît aussi un marché parallèle de vêtements traditionnels, d’accessoires religieux et de gadgets en tout genre. Certains ateliers clandestins tournent à plein régime pour produire des djellabas bon marché, des babouches en simili-cuir, des tapis de prière d’importation douteuse, ou encore des petits Tasbih électroniques made in China.

Le problème ? La qualité et la traçabilité sont souvent aux abonnés absents. Certains produits, vendus avec l’argument du « fait main » ou « artisanal », sont en réalité fabriqués à la chaîne, dans des conditions souvent précaires. Mais les Marocains, soucieux de leur budget, préfèrent souvent se tourner vers l’informel pour bénéficier de prix plus attractifs.

L’envers du décor

Les commerçants officiels, qui paient loyers, taxes et impôts, se retrouvent vite dépassés par cette économie souterraine. Comment rivaliser avec un vendeur ambulant qui ne paye ni local, ni TVA, ni charges sociales ?

Les épiciers de quartier, en particulier, sont les grandes victimes de cette concurrence sauvage. Eux qui tentent de maintenir une activité légale voient leur clientèle partir vers des circuits moins coûteux, mais bien plus opaques. Il n’est pas rare de trouver un vendeur de pain ambulant devant une boulangerie !

Acheter des chebakias au coin d’une rue, c’est pratique et bon marché, mais c’est aussi prendre un risque sanitaire énorme. Sans contrôle d’hygiène ni de traçabilité, certains produits vendus dans l’économie informelle peuvent se révéler être de très mauvaises surprises.

Si le business informel prospère autant, c’est aussi parce qu’il échappe totalement à l’administration fiscale. Ce manque à gagner a des conséquences directes : moins de financement pour les services publics, moins d’investissements dans les infrastructures et une pression fiscale plus forte sur les entreprises légales.

Le gaspillage alimentaire

Mais cette surconsommation entraîne aussi un phénomène qui revient chaque année : le gaspillage alimentaire. Selon une étude menée par le ministère de l’Agriculture et de la Pêche Maritime, en 2024, la consommation alimentaire durant le Ramadan augmente d’environ 50% par rapport au niveau habituel.

Cette surabondance conduit souvent à des excès, avec des tables débordantes de bonnes choses, mais bien au-dessus des besoins réels d’un ménage marocain. Les restes non consommés finissent souvent à la poubelle, contribuant au gaspillage alimentaire. Selon le Centre international des hautes études agronomiques méditerranéennes (CIHEAM), 84,8% des foyers marocains jetaient de la nourriture en 2023. L’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) rapporte aussi que 91 kilos d’aliments sont annuellement jetés à la poubelle par ménage au Maroc.

« Chaque année, je constate que nous préparons trop de nourriture pendant le Ramadan. Malheureusement, une partie finit à la poubelle. Nous devons apprendre à mieux gérer nos quantités pour éviter ce gaspillage, mais cette année nous n’avons pas ce luxe ! », déclare Hanane en riant, Casablancaise, mère de deux enfants.

En effet, la hausse des prix a influencé le budget des ménages et modifié certaines habitudes alimentaires qui avaient, portant, la dent dure. Il y a moins d’un mois Le Haut-Commissariat au Plan (HCP) a publié les résultats de son enquête sur le niveau de vie des ménages marocains, menée entre mars 2022 et mars 2023.

Lire aussi : Niveau de vie : un Maroc à deux vitesses

En s’appuyant sur un échantillon de 18.000 ménages à travers le pays, l’enquête a révélé une hausse du niveau de vie qui a été freinée par la pandémie de la Covid-19. Entre 2014 et 2019, la dépense annuelle moyenne par ménage est passée de 76.317 dirhams à 83.713 dirhams, avant de connaître un ralentissement sous l’effet de la crise sanitaire.

L’enquête met également en avant un changement dans les habitudes de consommation, dicté par les crises successives. La part des dépenses alimentaires a légèrement progressé, passant de 37% en 2014 à 38% en 2022, tandis que celles consacrées au logement et à l’énergie ont grimpé de 23% à 25,4%. À l’inverse, certaines catégories de dépenses ont chuté, notamment les soins de santé, le transport et, malheureusement évidents, les loisirs et la culture, désormais réduits à 0,5% du budget des ménages.

#Khalih_3andek

khalih 3andak

Ah la flambée des prix ! Chaque année, c’est le même scénario. Mais cette année, la pilule ne passe plus. Trop c’est trop ! Sur les réseaux sociaux, un hashtag #Khalih_3andek (Garde-le chez toi) pullule sur la toile. En gros, c’est une expression marocaine qui veut dire que le client n’achètera pas si c’est trop cher.

Lancée par des internautes excédés, cette campagne de boycott cible les produits alimentaires aux prix déraisonnés : viande, poisson, œufs… tout ce qui voit son prix augmenté sans raison, sera tout simplement boycotté. Face aux nombreux intermédiaires peu scrupuleux, les consommateurs ont décidé de prendre les choses en main. Car malgré les promesses des autorités, la spéculation semble ne craindre personne.

Mais au-delà du boycott, c’est une question de confiance qui se pose. L’affaire de Moul L7out, ce poissonnier de Marrakech proposant des prix défiants toute concurrence, quitte à n’enregistrer qu’un faible bénéfice a réveillé les citoyens marocains face aux aberrations du marché. Alors, en attendant une régulation des prix du marché… #Khalih_3andek !

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