Croire en Dieu au XXIe siècle
« Croire en Dieu au XXIe siècle ». C’était le thème d’une conférence animée par Abderrahmane Lahlou, penseur et expert en éducation, le samedi 15 mars, à la médiathèque de la mosquée Hassan II à Casablanca. Une conférence un peu particulière a réuni un public curieux autour de cette vieille question qu’est la foi en Dieu. D’emblée le conférencier a été apostrophé, « évidemment que nous croyons en Dieu, c’est une évidence ! », et pourtant, n’a d’évidence que le terme.
Note : Comme précisé par Abderrahmane Lahlou lors de sa conférence, sera utilisé le terme Dieu et non Allah, car il s’agit-là d’une problématique abordant la foi dans le monde, à travers plusieurs religions et plusieurs époques.
La première question à se poser est évidemment de se demander si le monde vit vraiment une crise de la foi ou si, au contraire, il y a un genre de renouveau spirituel, mais qui prend d’autres formes. La montée du rationalisme et du matérialisme a-t-elle balayé la croyance pour toujours, ou bien découvre-t-on une nouvelle manière de ressentir le spirituel ? Lahlou explique que « même si la sécularisation a chamboulé nos vieilles institutions religieuses, le besoin de se connecter à quelque chose de plus grand reste là ». Dans les sociétés musulmanes, où la religion est souvent un repère, cette tension entre raison et foi, modernité et spiritualité, se fait d’autant plus sentir.
La seconde question, et même si celle-ci semble évidente pour beaucoup, est la conception que se font les gens de Dieu. Lahlou rappelle que « l’humanisme a voulu prendre la place de la divinité, mais le vide laissé derrière pousse chacun à chercher un autre sens ».
On l’aura compris, la foi n’est pas figée, elle se module, au fil du temps et des cultures : la foi VS la modernité, la foi Vs la colonisation, la foi Vs l’immigration, la foi Vs science et matérialisme…
Rien ne se perd, tout se transforme
Tout est devenu rationnel. L’être veut voir avant de croire. C’est pourtant ce même être qui est prêt à croire une vidéo entièrement montée par Intelligence artificielle. À l’ère du numérique et d’une rationalisation à outrance, la foi ne retrouve pas toujours son chemin. Il y a d’un côté, les valeurs modernes qui semblent avoir fragilisé les certitudes religieuses à travers le monde, semant le doute. Et de l’autre, ce besoin constant de sens qui pousse certains à redécouvrir la spiritualité, même sous des formes dites à la mode (nous y reviendrons). Abderrahmane Lahlou le dit clairement « nous vivons une époque où, face à l’immensité de l’univers, on oscille entre doute et certitude ».
Chaque bouleversement, qu’il soit social, économique, technologique, personnel… change le rapport au sacré. Que ce soit à cause des crises sanitaires, climatiques ou économiques, l’homme se rend compte de sa vulnérabilité et cherche alors un repère, une sorte de boussole spirituelle. Pourtant, ce renouveau ne se retrouve pas toujours dans les formes religieuses classiques. La méfiance envers les institutions religieuses s’est accentuée avec le temps : scandales de pédophilie, politisation de la foi, rigidité des dogmes… ont éloigné des millions de croyants. Lahlou remarque que « les jeunes ne rejettent pas forcément Dieu, mais remettent en cause les modèles traditionnels ». C’est donc une foi plus personnelle qui apparaît, moins formelle, parfois influencée par les réseaux sociaux qui, eux, contrairement à la plupart des institutions religieuses, redéfinissent les pratiques spirituelles en s’adaptant aux codes du XXIᵉ siècle.
Dieu est amour… et modernité
Il y a donc les périodes de crises, qu’elles soient récentes ou ancestrales, qui ont vu l’apogée des grandes religions monothéistes, puis il y a eu l’avancée radicale de la raison. « Le triomphe du rationalisme a mis la raison sur un piédestal, au détriment de la transcendance », explique Lahlou. Cette évolution ne date pas d’hier. Elle a été inspirée notamment par les Lumières et des penseurs comme Diderot, Voltaire ou encore Rousseau. Ces auteurs prônaient, par exemple, une religion dite naturelle, déconnectée des dogmes institutionnels. N’est-ce pas Voltaire lui-même qui a posé les jalons du doute par des pensées novatrices pour l’époque ? L’écrivain du satirique Candide a refusé de l’être, mettant la raison au cœur de toutes ses pensées. Il se disait déiste, mais il critiquait les dogmes et les abus de l’Église organisée. Des écrits tels que « Traité sur la tolérance », appuyait sa volonté de défendre la liberté d’expression et d’encourager une approche plus rationnelle et humaniste de la spiritualité, plutôt qu’une adhésion aveugle aux traditions religieuses établies.
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Alors, suite à cette culture, que de nombreux Marocains ont, d’ailleurs, étudiée, qu’en est-il de l’Islam ? Contrairement aux anciens penseurs musulmans, qui voyaient la science comme un prolongement de la foi, aujourd’hui, les avancées scientifiques sont souvent utilisées pour appuyer un matérialisme tyrannique. Despotique même, puisque celui qui ne possède pas, n’est pas forcément considéré par la société. Cela dit, modernité ne rime pas automatiquement avec disparition de la croyance.
Colonialisme à l’épreuve de la foi
Mais le monde ne s’est pas arrêté aux penseurs musulmans, ou aux Lumières. Il a continué à changer et à apporter son lot de surprises. On arrive alors dans une époque compliquée, marquée par l’héritage du colonialisme et les transformations sociales que cette période a engendré. Historiquement, l’impact du colonialisme a bousculé les sociétés, en imposant de nouvelles formes de pouvoir qui ont modifié l’âme des peuples. Il ne s’agit aucunement d’un superlatif. L’âme a été modifiée, un petit pourcentage pour la première génération de colonisés, qui a grandi de décennie en décennie. L’exemple d’Ibn Khaldoun, qui analysait l’évolution des civilisations dans son ouvrage « Muqaddima », aide à comprendre comment la déstructuration des sociétés musulmanes porte encore les traces d’une colonisation qui avait pour but de conquérir des territoires ET des esprits. Cet ouvrage a, certes, été édité en 1377, mais le concept est universel et intemporel. Pour preuve, depuis 1956, les missions françaises n’ont cessé de pulluler sur le marché de l’éducation marocaine.
Le développement économique conduit à la destruction des dynasties au pouvoir et le pouvoir politique dure trois générations et connaît une évolution faite d’essor, d’apogée et de déclin.Ibn Khaldoun, Muqaddima
Les sociétés musulmanes, très connues pour une foi inébranlable et pour un savoir ancestral, ont été confrontées, dès le XVIᵉ siècle, à un regard nouveau venu d’une Europe en pleine expansion coloniale. Ce choc entre traditions millénaires et modernité imposée d’un coup rappelle les idées de Montesquieu ou même les critiques d’Edward Said sur l’orientalisme. La décolonisation n’a pas été une libération automatique : d’un côté, il y avait une certaine élite lettrée qui voulait adopter les codes occidentaux, et de l’autre, une population profondément attachée à ses traditions.
Encore faudrait-il revoir la notion de modernité. Il y a des moments historiques, qui peuvent être inclus dans cette modernité, à savoir la découverte du Nouveau Monde, la chute de l’Empire byzantin ou encore les révolutions française et industrielle. La modernité, en s’appuyant sur des institutions comme l’État-nation, le capitalisme ou la science, a progressivement remplacé la foi mystique par un univers dominé par les chiffres et les lois naturelles. Autrefois, la transmission se faisait par la parole et la tradition orale, aujourd’hui, un paradigme scientifique et rationnel s’est imposé.
Rationalisme… Humanisme… Connaissance
Aujourd’hui, plus une personne est raisonnée, plus elle est perçue comme détenant la vérité. Ils sont, à l’instar de Descartes et Kant, considérés comme la source ultime de vérités. Ces philosophes ont souvent mis l’accent sur l’observation et l’expérimentation pour comprendre le monde. Cela rappelle comparativement les idées de Platon ou d’Aristote qui pensaient que la recherche du vrai ne se limitait pas à des calculs froids.
Le rationalisme a permis de grandes avancées scientifiques, petite pensée à Galilée ou Copernic qui ont bravé l’obscurantisme, mais il a aussi parfois créé un excès de certitude, un nouveau dogmatisme qui refuse d’accepter le mystère de l’invisible. Ici, l’humanisme se présente comme une alternative nuancée. Il invite à voir l’homme comme un être rationnel, mais aussi comme une personne sensible, capable de ressentir et de croire. La foi, loin d’être un simple reliquat du passé, apparaît comme une quête existentielle, un besoin viscéral de transcender le visible.
Lahlou souligne la tension entre cette foi intuitive – celle des anciens mystiques – et une approche purement rationnelle qui, en décortiquant le divin, finit par en réduire la richesse à de simples abstractions. On se souvient ici de Pascal et de son idée que « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ». En d’autres termes, connaître Dieu ne se limite pas à accumuler des preuves logiques, mais demande aussi une dimension sensible et intuitive.
La discussion entre rationalisme et foi ne doit pas être vue comme une opposition irréconciliable, mais plutôt comme une tension créative. En mettant la raison au service d’un humanisme qui intègre la beauté de l’invisible, on peut trouver une voie vers une connaissance plus complète de ce qui nous dépasse.
Quête de l’Imperceptible
Trop de matériel, tue le matériel… Non, c’est faux ! Trop de matériel tue le portefeuille et le psychique. Pression financière, en pleine période d’inflation, pression familiale, pression professionnelle… Le besoin de matériel n’existe pas, sauf dans le cas de réel gain de temps ou d’espace. Le matériel est un désir avant tout, et les marques chinoises de prêt-à-porter, les Suédois et leurs meubles prêts à l’emploi, ainsi que les hards discounters et leurs promotions hebdomadaires, n’aident pas à lutter contre ce matérialisme. Face aux diktats de cette époque, nombreux sont ceux qui se tournent vers l’invisible pour trouver du sens. Lahlou nous invite à un véritable voyage au-delà des apparences, là où la foi se mêle à une poésie de l’invocation. Répéter le Nom divin, ce n’est pas juste faire des gestes mécaniques : c’est une méditation vivante, un moyen de se connecter au sacré dans un monde hyperconnecté.
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Il nous rappelle que se souvenir de Dieu à chaque instant – penser « Bismillah » avant chaque action, par exemple – est une façon de résister au matérialisme ambiant. On retrouve ici l’esprit de Rumi, qui voyait dans l’amour et l’union avec l’absolu une source inépuisable de force incroyable. Au-delà du rituel individuel, il existe aussi une dimension collective dans ces invocations, notamment dans les confréries et les milieux spirituels. Qu’il s’agisse de répéter le Nom divin des milliers de fois ou de pratiquer ces rites en groupe, tout cela vise à retrouver cette connexion avec l’immatériel qui transcende le quotidien.
Howard Gardner nous parle, par exemple, de l’intelligence logico-mathématique, de l’intelligence linguistique (celle qui anime les poètes, les auteurs, les conférenciers…) de l’intelligence spatiale, de l’intelligence musicale, de l’intelligence kinesthésique et même de l’intelligence naturaliste. Sans oublier, bien sûr, les intelligences interpersonnelle et intrapersonnelle, qui nous permettent de comprendre les autres et de nous comprendre nous-mêmes.
Ce qui a été particulièrement intéressant, c’est lorsque ce même auteur évoqua, dix ans après ses premières thèses, l’existence d’une neuvième intelligence : l’intelligence existentialiste spirituelle. Pour lui, cette intelligence représentait une véritable révélation, une capacité à se poser, à s’interroger sur le sens profond de la vie, sur notre rapport au Divin. Malheureusement, Gardner fut sous la pression des milieux universitaires, temple du rationalisme à l’américaine et de la science économique, notamment Harvard, et cette intelligence spirituelle a tout bonnement été supprimée. Elle a été reléguée au rang de « demi-intelligence ».
En d’autres termes, malgré son potentiel pour enrichir notre compréhension de l’être humain, l’intelligence spirituelle a été, aux yeux de certains, jugée comme incomplète, voire secondaire.
Lahlou insiste aussi sur l’idée d’une spiritualité « sans délire ». Autrement dit, il s’agit de revenir à l’essence du sacré sans tomber dans l’excès mystique. Dans un monde où tout est régi par l’information et les algorithmes, se rappeler constamment la présence du Divin est une manière de garder l’esprit ouvert et critique. En évoquant les intelligences multiples, Gardner nous invite à revoir notre conception même de ce que signifie être intelligent. L’expérience mystique, la capacité à percevoir ce qui est imperceptible, sont des formes de savoir tout aussi essentielles que la logique ou les mathématiques…
Les nouveaux « guides » spirituels
Qu’ils se fassent nommer coachs, accompagnateur, thérapeute (non-reconnu), ou autres, le XXIe siècle est aussi celui des « guides » spirituels. Il suffit d’ouvrir les réseaux sociaux pour s’en apercevoir. Le bien-être et l’amour de soi sont au cœur de milliers de formations en ligne. Pour y accéder gratuitement, rien de plus simple, il suffit de se connecter au profil de « l’influenceur guide » et de recevoir une réduction sur sa formation ! Et comme, avant eux, les sectes, ces faux guides du bien-être mettent en avant leur foi, sans doute, pour plus de crédibilité. Ô combien de sectes ont fait de la religion un business juteux !
Aujourd’hui, il peut s’agir de confréries modernes ou de religions qui semblent parfois se passer de Dieu tel qu’on le connaît, le fait de croire en autre chose ou prier d’autres « dieux ». Ils sont de plus en plus nombreux aux quatre coins de la terre, on ne les compte même plus. Ces mouvements, qui se présentent comme des solutions libératrices face aux « rigueurs des vieux dogmes », cachent souvent des dérives autoritaires et sectaires liées à un suivi aveugle d’un leader charismatique.
L’attrait d’un renouveau spirituel qui promet une réalisation personnelle immédiate est fort, mais de nombreux penseurs ont alerté sur ce type de regroupements. Hannah Arendt évoque, dans « Les Origines du totalitarisme », le danger d’une soumission sans critique aux figures d’autorité. John Stuart Mill, dans « De la liberté », insiste sur l’importance du questionnement constant et de la liberté de pensée pour éviter la tyrannie de l’opinion dominante ou l’adhésion aveugle aux autorités. Michel Foucault critique aussi les mécanismes de pouvoir et l’autorité incontestée dans ses travaux sur la biopolitique et la discipline.
Le vrai danger, c’est que quand on cesse de remettre en question ses fondements, on se laisse entraîner dans une dépendance où le guide devient le seul arbitre de la vérité. Voilà pourquoi il ne faut pas se fier à n’importe qui.
À retenir en 8 points : comment reconnaître une secte ?
Certaines entités pullulent sur les réseaux sociaux, sous forme de coaching, de groupe de retraites spirituelles… Il faut savoir déceler les dérives sectaires afin de les éviter.
- Un gourou ou chef infaillible, présenté comme une figure exceptionnelle, inattaquable, ayant des pouvoirs ou un savoir unique.
- Un endoctrinement et un contrôle de la pensée avec des discours manichéens. Le groupe est perçu comme étant la seule voie vers la vérité ou le salut. Interprétation unique des événements et rejet des critiques ou des avis divergents. Manipulation mentale pour faire adhérer aux croyances du groupe.
- Un isolement progressif des membres. Rupture avec la famille, les amis ou toute personne qui critique le groupe.
- Un contrôle de la vie quotidienne avec l’obligation de suivre des règles strictes sur l’alimentation, l’habillement, les finances… Surveillance constante des membres et dénonciation des écarts de conduite.
- Une emprise financière avec l’exigence de dons, contributions financières ou travail gratuit pour le groupe. Dépossession progressive des biens ou engagement à léguer son héritage au mouvement.
- Exploitation physique et psychologique. Travail excessif ou privation de sommeil. Humiliations, punitions, pressions morales pour renforcer l’obéissance. Dans certains cas, abus sexuels déguisés sous des prétextes spirituels ou rituels.
- Un discours apocalyptique ou messianique. Conviction que le monde court à sa perte et que seul le groupe détient la solution.
- Un rejet de la médecine traditionnelle. Incitation à refuser les traitements médicaux, la vaccination ou les soins psychologiques.
L’auteur avec sa conclusion pour les sectes aurai dû la généraliser pour tous les guides religieux !
Actuellement avec les crises mondiales les jeunes du 21ème siècles sont facilement influencés pzr la religion et dans les pays musulmans ce retour en force est dû à une peure de l’avenir incertain des sociétés qui vivent des tensions montantes!
En fin la religion doit rester entre l’individu et Dieu et n’a pas besoin d’intermédiaire pour éviter toute manipulation ou dérive dangereuse !!