CAN 2025 : le modèle économique derrière le spectacle
À Rabat, les drapeaux ont poussé comme des champignons. Vert, rouge, jaune, parfois bleu avec une pointe de noir, ils se hissent près des lampadaires, planent au-dessus des trottoirs, se suspendent aux façades administratives. Le tramway a fait peau neuve aussi. Plus beau que jamais sur ses rames, des slogans à la gloire de la CAN rappellent aux voyageurs que le compte à rebours est lancé. À chaque station, on comprend que l’Afrique et le monde auront les yeux rivés sur le Maroc.
Même son de cloche à Casablanca. Devant la gare Casa Voyageurs, les taxis rouges sont décorés d’autocollants aux couleurs de la CAN. Certains chauffeurs ont mis un petit drapeau sur le tableau de bord. Du marketing et du nationalisme, le tout en un ! Dans les cafés du centre-ville, les écrans repassent déjà des images d’anciennes éditions, les discussions vont bon train entre pronostics sportifs et préoccupations plus prosaïques entre les billets, déplacements, prix des hôtels… On s’insurge face à la hausse des prix, comme si les Casablancais allaient louer une chambre d’hôtel dans leur propre ville.
À Marrakech, l’agitation arrive autour des grands axes, les banderoles officielles se mêlent aux affiches touristiques. La ville ocre n’en est pas à son premier coup d’essai. Après la COP 22, le FMI, les très nombreux congrès, Marrakech a l’habitude de se plier en quatre pour ses invités. Les hôtels se préparent, les compagnies de transport révisent leurs horaires, les guides touristiques attendent les touristes de tout le continent. On sent qu’il se passe quelque chose !
Et pour en arriver là, des mois de préparation, de coordination entre ministères, collectivités locales, établissements publics et organisateurs sportifs. Et dire qu’il y a encore quelques jours, l’on se demandait s’il se passait réellement quelque chose. La CAN mobilise des villes entières, redessine provisoirement l’espace public, impose un rythme spécifique aux transports, à la sécurité, aux services urbains… Le pays hôte vit quelques semaines au rythme d’un événement continental.
C’est beau toutes ces couleurs, vraiment. Mais comment faisons-nous pour payer tout ça ? Organiser une CAN, et encore plus à l’échelle prévue pour 2025, implique des investissements massifs pour les rénovations et constructions de stades, les infrastructures urbaines, les dispositifs de sécurité, la logistique, la communication… et on passe. Autant de postes qui, additionnés, forment une enveloppe globale difficile à appréhender dans son ensemble.
À l’inverse d’un événement ponctuel financé par une seule ligne budgétaire, la CAN s’insère dans un réseau de projets préexistants, accélérés ou remodelés pour les besoins de la compétition. Un stade rénové par-ci, une voirie réhabilitée par-là, un équipement de transport modernisé… Officiellement, tout n’est pas lié à la CAN. Officieusement, l’événement sert de catalyseur, débloquant des chantiers parfois en suspens depuis des années. Un grand bonjour à la gare de Rabat Ville au passage !
Les montants annoncés publiquement donnent des ordres de grandeur mais ne rendent pas compte de toutes les dépenses directes et indirectes. S’ajoute à cela la difficulté de séparer ce qui relève de l’événement sportif de ce qui relève de politiques publiques plus générales (infrastructures, développement urbain). L’on peut donc avancer qu’il s’agit d’un modèle de financement hybride, entre fonds publics, partenariats privés et revenus propres (droits de diffusion, billetterie…). Un modèle qui marche à l’échelle continentale, sous la houlette de la Confédération africaine de football.
À l’approche de la date, ces questions prennent de l’ampleur. Non pas pour contester l’événement en lui-même, non il s’agit d’une véritable vitrine sportive et diplomatique, mais pour essayer d’en décrypter les enjeux économiques. À quoi sert une CAN, au-delà du spectacle ? Quels résultats espérer, à court et à long terme ? Et comment mesurer, a posteriori, un événement dont les retombées, positives ou négatives, se répandent bien au-delà du coup de sifflet final ?
C’est ce match-là que nous avons envie de décrypter.
Can 2025 : un budget global difficile à définir
Il n’y a pas encore de bilan conducteur avec un budget consolidé et final de la CAN 2025 au Maroc. Aucun document ne rassemble, dans une seule enveloppe, toutes les dépenses réalisées pour l’événement. Les chiffres annoncés sont plutôt des estimations globales, agrégées à partir de projets séparés, menés par différents acteurs publics.
Les chiffres qui circulent dans l’espace public tournent autour de 20 milliards de dirhams, un ordre de grandeur souvent repris par les médias. Ce montant comprend essentiellement les dépenses d’infrastructures sportives (rénovation de stades existants et construction de nouveaux stades) et d’aménagements connexes nécessaires à l’accueil de la compétition.
Cette non consolidation est due à la nature de l’événement, évidemment. Une CAN ne se finance pas comme un seul projet isolé. Elle intègre plusieurs politiques publiques déjà mises en œuvre (équipements sportifs, urbanisme, mobilité). Plusieurs chantiers engagés ou accélérés à l’occasion de la compétition étaient initialement prévus dans des programmations détachées du calendrier sportif.
La plupart des dépenses de la CAN 2025 s’étale sur plusieurs exercices budgétaires. Les chantiers de rénovation de stades, par exemple, ont été lancés avant même l’annonce de l’attribution de la compétition, puis adaptés aux normes de la Confédération africaine de football. Ces modifications ont parfois conduit à des révisions de coûts, sans que celles-ci soient toujours justifiées comme étant dues à la CAN elle-même.
Les projets d’infrastructures de transport obéissent à la même logique. L’amélioration de certaines routes, la modernisation d’axes urbains ou l’adaptation de réseaux de transport public sont officiellement motivées par des objectifs de mobilité à long terme. Leur lien avec l’événement sportif est bien présent, mais pas toujours quantifié séparément.
A cela s’ajoute la variété des maîtres d’ouvrage. Les ministères, les collectivités territoriales, les établissements publics, certaines sociétés d’aménagement agissent chacun dans leur champ, avec leurs budgets, leurs calendriers. Cette division rend difficile toute addition exacte.
Le cas des stades
Les infrastructures sportives sont le poste le plus visible et le plus documenté des dépenses de la CAN 2025. Le Maroc a choisi un modèle basé à la fois sur la rénovation de stades existants et sur la construction de nouveaux stades, dont le futur Grand Stade de Casablanca, nommé officiellement Stade Hassan II, présenté comme un équipement à vocation nationale et internationale.
Les chiffres annoncés portent souvent sur le gros œuvre, sans toujours inclure les dépenses annexes telles que les installations provisoires, les dispositifs d’accueil, les aménagements extérieurs ou les mises aux normes. Ces derniers sont financés par des enveloppes distinctes, parfois locales.
Des dépenses hors infrastructures
Au-delà des chantiers visibles, l’organisation d’une CAN engendre des dépenses moins palpables, mais tout aussi indispensables. La logistique, la coordination opérationnelle, la communication institutionnelle, la mobilisation des services publics induisent des coûts qui ne sont pas toujours identifiés comme tels dans les documents budgétaires.
Les dispositifs de sécurité, par exemple, sont en grande partie des missions de l’État. Leur renforcement lors d’un événement continental se fait dans le cadre de budgets existants, temporairement modifiés.
De même, les coûts de la mobilisation administrative (heures supplémentaires, redéploiement de personnels, coordination interservices) ne sont que rarement comptabilisés comme un poste à part entière. Elles contribuent pourtant à l’effort général de l’État et des collectivités.
Ce que l’on sait, ce que l’on ignore
À ce stade, plusieurs observations peuvent être faites sans extrapolation. Oui, la CAN 2025 engage des sommes importantes, plusieurs dizaines de milliards de dirhams si on cumule tous les projets. Oui, ces sommes sont partagées entre plusieurs acteurs publics et échelonnées dans le temps. Non, il n’y a pas de budget unique pour affecter exactement chaque dépense à l’événement.
Ce que l’on ignore encore, c’est le coût final consolidé de la compétition, une fois les chantiers terminés et les installations temporaires démontées. Cette appréciation ne pourra se faire qu’a posteriori, une fois que toutes les dépenses auront été consolidées et que les usages post-CAN des infrastructures seront connus.
Dans l’intervalle, toute analyse budgétaire repose sur des ordres de grandeur, des données partielles et des périmètres fluctuants. En bref, des spéculations.
Impératifs sportifs et usages futurs incertains
La CAN 2025 s’appuie sur un dispositif de neuf stades répartis dans différentes villes marocaines. Ce choix satisfait à la fois aux exigences de la Confédération africaine de football (CAF) et au souhait des autorités marocaines de disséminer l’événement sur le territoire, plutôt que de le concentrer dans une seule métropole. Le schéma choisi associe rénovation d’enceintes existantes et construction de nouveaux équipements.
Les stades concernés doivent abriter les matchs de la CAN, mais aussi les entraînements, les cérémonies et tous les flux de l’organisation sportive. À ce titre, ils sont soumis à un cahier des charges rigoureux, en matière de capacité, de sécurité, d’installations techniques, d’espaces médias et d’accueil du public.
Plusieurs stades retenus pour la CAN 2025 ont été rénovés de fond en comble, bien au-delà d’un simple coup de peinture, contrairement aux rumeurs. Les améliorations ont porté sur les tribunes, les vestiaires, l’éclairage, la pelouse, la sécurité, les accès…
Parfois, ces rénovations ont consisté en une reprise presque totale de l’ouvrage existant. Les mises aux normes internationales (sécurité, retransmission télévisée) ont exigé des travaux techniques importants, avec des répercussions immédiates sur les délais et les coûts. Ces normes sont habituelles pour les tournois continentaux, mais elles peuvent être très contraignantes pour des équipements conçus à l’origine pour un usage local ou national.
Les autorités ont vendu ces rénovations comme des investissements à long terme, pour moderniser le parc sportif national. Et en effet, cela resservira dans très peu de temps, avec la Coupe du monde 2030.
Le Grand Stade de Casablanca : un projet à part
Parmi les infrastructures phares, le Grand Stade de Casablanca, un équipement de nouvelle génération, promis à devenir l’une des plus grandes arènes sportives d’Afrique. Annoncé à plus de 100.000 places, ce stade va bien au-delà des besoins stricts d’une CAN, tant en jauge qu’en fonctionnalités.
Mais, à ce niveau, peu d’éléments publics permettent de jauger le modèle économique envisagé pour cette enceinte. Reste à savoir si son utilisation hors grands événements sera possible, à quelle fréquence, avec quels partenaires et à quel coût d’entretien.
L’après-CAN
L’un des problèmes récurrents des infrastructures sportives construites ou rénovées pour les grands événements est évidemment leur utilisation post-compétition. Cette question se pose différemment selon les villes et les stades.
Dans certaines villes dotées de clubs habitués aux compétitions nationales ou continentales, l’insertion des stades rénovés dans le calendrier sportif semble se faire naturellement. Dans d’autres cas, en revanche, la régularité des événements capables de remplir des grandes salles est plus aléatoire.
Les documents publics ne présentent pas, pour chaque stade, un plan d’exploitation après la CAN bien défini. Cette absence ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de réflexion, mais elle empêche de juger dès aujourd’hui de la pertinence des investissements réalisés au regard des usages futurs.
Une configuration aux normes continentales
Sur le plan purement organisationnel, le dispositif des stades retenu pour la CAN 2025 est dans les normes des précédentes éditions. Plusieurs villes hôtes, mélange de rénovations et de constructions neuves, montée en gamme des équipements, tout cela suit une logique désormais bien rodée à l’échelle continentale.
Cette configuration est conforme aux exigences de la CAF en termes de qualité d’accueil, de sécurité et de diffusion. Elle permet aussi de disperser les flux de supporters et d’éviter la concentration des équipements dans un seul territoire.
Mais cette dispersion signifie aussi une multiplication des sites à entretenir, avec des besoins logistiques et financiers plus importants. Là encore, l’équilibre entre ambition sportive et capacité d’exploitation pérenne est un enjeu fort, qui ne pourra être jugé qu’à moyen terme.
Droits TV : un pilier essentiel, mais opaque, du modèle économique de la CAN
Les droits de retransmission télévisée sont l’un des principaux leviers financiers de la CAN. A la différence des infrastructures ou des moyens logistiques, ils ne dépendent pas du pays hôte. Leur vente, leur distribution et leur valorisation sont gérées par la CAF, qui en possède les droits commerciaux continentaux.
C’est le cas de toutes les grandes compétitions internationales. Il signifie que le pays hôte n’est pas détenteur des droits TV de l’événement qu’il accueille, mais au mieux un bénéficiaire indirect, à travers la visibilité et certaines retombées économiques espérées.
Les droits de diffusion de la CAN sont vendus par zone géographique. La CAF négocie des contrats avec des diffuseurs pour des zones entières (Afrique subsaharienne, Afrique du Nord, Moyen-Orient, Europe) et non avec chaque pays. Cette stratégie consiste à optimiser la valeur totale du produit « CAN », grâce à des marchés audiovisuels organisés et solvables.
Dans ce cas, les chaînes nationales des pays hôtes ne traitent pas avec la CAF en tant qu’organisatrice de la compétition. Elles sont des diffuseurs parmi d’autres, soumis aux règles commerciales fixées en amont. La diffusion sur le territoire national fait donc l’objet de contrats particuliers, indépendants de l’effort d’organisation de l’État.
La CAF communique de temps à autre sur les montants globaux des droits de diffusion, par exemple lors de l’annonce de partenariats importants. En revanche, les contrats (durée, clauses, ventilation par zone, mécanismes de redistribution) ne sont pas publics.
Cette opacité contractuelle n’est pas l’apanage de la CAF. Elle se constate dans la plupart des organisations sportives internationales, où les contrats audiovisuels sont couverts par des clauses de confidentialité. Pour les regards extérieurs, cela restreint la possibilité d’évaluer avec exactitude le poids réel des droits TV dans l’économie de la CAN.
Les chiffres qui circulent, provenant de la presse spécialisée et d’analystes, sont des ordres de grandeur, pas des chiffres définitifs. Elles permettent néanmoins de classer les droits TV comme la première source de revenus de la compétition, devant la billetterie et le merchandising.
Quand la chaîne publique du pays hôte achète les droits pour son territoire, c’est sur son budget, souvent justifié par des missions de service public. Elle ne se considère pas comme un retour sur investissement de l’organisation de la compétition, mais comme un surcoût de diffusion d’un événement important.
C’est un point qui est souvent mal compris dans le débat public. L’organisation de la CAN n’assure pas un gain financier audiovisuel. Le pays d’accueil n’est qu’un acteur parmi d’autres dans un marché organisé à l’échelle continentale.
Les recettes des droits de diffusion sont redistribuées selon des clefs internes à la CAF. Une partie sert à financer l’organisation de la compétition, une autre est reversée aux fédérations membres sous forme de dotations ou de primes de participation.
Il est important de préciser que cette redistribution concerne toutes les fédérations africaines et pas seulement celles des pays hôtes. Le modèle est basé sur une solidarité continentale, en théorie du moins, car les conséquences de cette redistribution sont régulièrement contestées dans le football africain.
Pour la CAF, les droits de diffusion déterminent largement sa capacité à financer ses compétitions, à soutenir ses fédérations membres et à investir dans le développement du football africain. Cette dépendance justifie l’intérêt de la valorisation du produit CAN sur les marchés internationaux.
L’amélioration de la qualité de la production audiovisuelle, la modernisation des stades, le respect des normes internationales vont dans cette logique. Ainsi, les investissements du pays hôte participent indirectement à l’attractivité du produit télévisuel sans pour autant se traduire par un partage direct des revenus.
Cette tension entre efforts locaux et profits centralisés est constitutive du modèle actuel des grands événements sportifs internationaux.
Tourisme : de grands espoirs, des impacts difficiles à cerner
L’effet touristique d’une CAN est l’un des arguments les plus fréquemment mis en avant pour justifier l’organisation de la compétition. La CAN 2025 ne déroge pas à la règle. Les prévisions officielles font état d’une augmentation des arrivées, d’une animation des villes hôtes et d’un impact positif sur l’activité économique pendant la durée de l’événement. Mais la quantification exacte de ces effets demeure difficile, méthodologiquement et statistiquement.
À ce sujet, Zouhir Bouhoute, expert en tourisme, nous avance des projections élevées, évoquant « entre 500.000 et 1 million de visiteurs étrangers supplémentaires attendus durant la CAN 2025, avec des retombées économiques estimées entre 4,5 et 12 milliards de dirhams », tout en précisant qu’il s’agit d’estimations fondées sur des hypothèses de fréquentation et de dépenses moyennes.
Le tourisme marocain s’appuie sur une dynamique déjà existante. C’est un secteur structurant de l’économie nationale, avec une contribution au PIB et une fréquentation annuelle importante, hors grands événements sportifs. Dans ce cadre, identifier l’effet propre de la CAN revient à séparer ce qui est de l’ordre de la tendance générale de ce qui est imputable à la compétition.
« L’effet événementiel ne doit pas être confondu avec la trajectoire structurelle du tourisme marocain, déjà portée par une dynamique de croissance indépendante des grandes compétitions sportives », nous explique Zouhir Bouhoute.
Les prévisions faites avant la CAN se basent sur des hypothèses de fréquentation des supporters, des délégations sportives, des équipes techniques, des médias et des partenaires de l’événement. S’y ajoutent les spectateurs attirés par la médiatisation mondiale de la compétition, susceptibles d’étendre ou de coupler leur séjour avec du tourisme classique. Nous ne faisons donc pas la différence entre les visiteurs venus spécialement pour la CAN et ceux qui seraient venus au Maroc de toute façon à la même période.
Selon l’expert, ces hypothèses reposent notamment sur un ratio de 5 à 10 supporters pour 10.000 habitants dans les pays qualifiés, ce qui conduit à une estimation comprise entre 517.000 et 1.034.000 spectateurs étrangers potentiels, sans distinction claire entre visiteurs événementiels et touristes classiques.
De plus, les séjours liés aux événements sportifs sont courts. Les supporters se déplacent pour peu de matchs, parfois sur quelques jours, ce qui restreint les retombées en hébergement et consommation touristique élargie.
L’expert souligne ainsi que la durée moyenne de séjour des supporters est souvent concentrée autour des matchs, même si certaines projections tablent sur une moyenne théorique d’environ dix nuitées pour une partie des visiteurs, hypothèse qui reste difficile à généraliser.
Une distribution géographique inégale
La CAN 2025 se joue dans plusieurs villes, mais toutes n’ont pas le même potentiel touristique et le même nombre de visiteurs étrangers. Les grandes villes et les lieux déjà touristiques concentrent l’essentiel de l’offre hôtelière et des services.
Les retombées « dépendent fortement de la localisation des matchs et du poids démographique des pays concernés », explique Bouhoute, soulignant par exemple que certaines villes hôtes accueilleront des sélections représentant plusieurs centaines de millions d’habitants cumulés, quand d’autres bénéficieront de flux beaucoup plus limités.
Dans ces villes, la compétition s’intègre dans une activité touristique déjà intense. L’effet supplémentaire est donc plus difficile à identifier, d’autant que la période de la CAN correspond à des flux saisonniers normaux. A l’inverse, des villes hôtes moins touristiques peuvent vivre une animation ponctuelle plus marquée, sans que cela se traduise par un impact pérenne.
Les chiffres post CAN des éditions précédentes révèlent que les retombées touristiques sont rarement uniformes. Elles sont très liées à la localisation des matchs, à l’attractivité propre des villes et à la capacité locale à capter et prolonger les séjours.
Zouhir Bouhoute souligne également que « les retombées ne sont ni automatiques ni homogènes, et restent conditionnées à la capacité des territoires à transformer un afflux ponctuel en consommation touristique réelle et mesurable ».
Le problème, aussi, c’est qu’à l’approche de la CAN, certains hôtels modifient leurs prix et leurs politiques de réservation, prévoyant une augmentation de la demande sur une période donnée.
Ces modifications suivent une logique de marché normale, mais peuvent aussi jouer sur le type de visiteurs. Des prix plus élevés sur les segments hôteliers formels peuvent inciter certains supporters à se tourner vers des hébergements alternatifs (locations de courte durée, hébergement chez des proches, déplacements sans nuitée).
Une présence visible de supporters n’implique donc pas automatiquement une augmentation proportionnelle des revenus touristiques formels. À ce titre, l’expert rappelle que les dépenses quotidiennes moyennes sont souvent estimées entre 600 et 800 dirhams par visiteur, mais que ces montants peuvent varier fortement selon le type d’hébergement et de consommation choisi.
Il en va de même pour l’emploi. L’organisation d’une CAN génère effectivement une demande de main-d’œuvre dans les domaines de l’accueil, de la sécurité, de la restauration, du transport, de l’événementiel. Mais ces emplois sont par définition essentiellement précaires. Ils répondent à des besoins ponctuels, autour de la compétition. Les expériences similaires indiquent que ces créations d’emplois ont rarement un effet durable au-delà de l’événement, sauf si elles s’intègrent dans des projets plus vastes sur le long terme.
Pour les acteurs économiques locaux (restaurateurs, commerçants, prestataires de services), l’effet dépend de leur capacité à capter les flux de la CAN. Cette capacité dépend du lieu, des partenariats et des dispositifs d’organisation choisis.
Ce qui est sûr, c’est que la CAN crée un surcroît d’activité touristique sur une courte période, autour des villes hôtes et des dates de la compétition. Ce qu’on ne peut pas mesurer, en revanche, c’est l’effet net de cette activité.
Billetterie et supporters : accès au stade et réalités de terrain
La billetterie est l’un des rares points de contact direct de la CAN avec le public. A quelques heures du coup d’envoi de la CAN 2025, les données disponibles permettent de faire un état des lieux partiel du fonctionnement attendu, sans préjuger des comportements réels une fois la compétition lancée.
Les prix des billets pour les matchs de la CAN varient en fonction des étapes de la compétition, des catégories de places et des stades. Cette distinction est dans la continuité des éditions précédentes. Elle consiste à adapter les prix à la demande prévue, plus forte pour les grandes affiches et les matchs importants.
La grille est basée sur une segmentation classique, à savoir matchs de poules, quarts de finale, demi-finales et finale. A cette sectorisation s’ajoutent différentes catégories de places, selon la visibilité, le confort et l’emplacement dans le stade. C’est le modèle habituel des compétitions internationales.
Pour la CAN 2025, les prix annoncés font de l’événement un spectacle sportif de niveau continental, avec des tarifs plus élevés que ceux pratiqués pour les compétitions nationales. Mais ces prix ne sont pas forcément accessibles pour une partie de la population locale.
La billetterie de la CAN se fait généralement par des plateformes centralisées, gérées par la CAF et ses prestataires. Cette option permet de sécuriser les ventes, de lutter contre la fraude et de mieux maîtriser la distribution des billets entre les différents publics des supporters des équipes au grand public, en passant par les partenaires, institutions et médias.
Cette forme de distribution, bien que pratique pour des raisons logistiques, peut être un frein pour une partie de la population moins à l’aise avec le numérique ou ayant un accès limité aux moyens de paiement en ligne. L’histoire nous enseigne que ces restrictions peuvent modifier la sociologie des spectateurs dans les stades.
Les compléments (boutiques physiques, quotas réservés, opérations spéciales) sont annoncés à l’approche de l’événement. Pour l’heure, leur effet concret est TRES imprévisible.
Le profil des supporters attendus
Les supporters d’une CAN sont un public hétérogène. Ils incluent des publics locaux, des MRE, des fans des diasporas africaines et des touristes des pays participants. Ces profils n’ont pas les mêmes capacités de dépenses, les mêmes habitudes de déplacement et d’hébergement.
Les chiffres des éditions précédentes révèlent que les mobilités transfrontalières africaines s’appuient sur plusieurs réseaux comme les voyages collectifs, covoiturage, hébergement chez des proches ou solutions à bas prix. Ces habitudes favorisent une mobilité régionale intense, sans pour autant créer des flux importants dans les circuits touristiques traditionnels.
La répartition géographique des villes hôtes suppose une organisation particulière des déplacements des supporters. Les connexions inter-villes, les réseaux ferroviaires et routiers sont essentiels à cette mobilité, surtout pour les fans suivant plusieurs matchs dans différentes villes.
L’expérience d’autres compétitions révèle que ces déplacements sont majoritairement de courte durée, souvent aller-retour, sans séjour prolongé. Cette disposition restreint l’influence sur certains secteurs de l’économie locale, tout en intensifiant la pression sur les infrastructures de transport les jours de match. Les autorités et les transporteurs ont annoncé des adaptations de l’offre pour absorber ces pics.
Billetterie secondaire et revente
Comme pour tout grand événement sportif, la revente de billets est une réalité, surtout pour les matchs les plus populaires. Les sites de revente et les filières parallèles sont un fait connu, difficile à contrôler totalement.
Les organisateurs rappellent régulièrement que seule la billetterie officielle assure la validité des billets. Mais le déséquilibre entre l’offre et la demande pour certaines rencontres alimente des marchés noirs dont l’ampleur est grandissante. Certains billets atteignent des sommets incroyables.
Au-delà de l’accès physique, la présence des supporters dans les stades détermine l’ambiance, la visibilité télévisuelle et la perception générale de la compétition. Les obligations de la CAF en matière de remplissage, de sécurité et de confort vont dans ce sens.
Les investissements dans les infrastructures ont pour objectif d’améliorer l’expérience spectateur (sièges, signalétique, accès, services annexes). Leur efficacité dépendra de la fluidité des entrées, de la gestion des flux et de la coordination entre les acteurs.
Sponsors, partenariats et économie contractuelle de la CAN
L’organisation d’une CAN repose aussi sur des partenariats commerciaux négociés par la CAF. Ces partenariats sont l’un des fondements financiers de la compétition, quel que soit le pays hôte. Le Maroc, pays hôte de la CAN 2025, entre dans un cadre contractuel préexistant, dont une grande partie des règles et des mécanismes sont fixés au niveau continental.
Les droits commerciaux de la CAN (sponsoring, marketing, droits médias) sont la propriété de la CAF. Elle traite avec des partenaires « globaux » ou « officiels » dont la présence est garantie sur tous les sites de compétition, supports de communication et retransmissions télévisées.
Le pays hôte n’est pas titulaire de ces droits. Il les reçoit dans un cadre contractuel défini, qui fixe les zones d’affichage, les obligations logistiques et les modalités d’exploitation des espaces publicitaires. Cette séparation est essentielle pour comprendre la répartition des rôles : l’État et les collectivités s’occupent de l’organisation matérielle, la CAF garde la main commerciale sur l’événement.
Les partenariats CAN se font à plusieurs niveaux. On distingue :
- les partenaires mondiaux de la CAF, actifs sur toutes les compétitions de la CAF,
- les sponsors CAN, signés pour la période de la compétition,
- les partenaires institutionnels et techniques, sur des aspects opérationnels spécifiques (transport, logistique, technologies, services).
À ces échelons s’ajoutent parfois des partenariats locaux, autorisés dans des périmètres délimités, à condition d’être compatibles avec les accords de la CAF. Ces partenariats locaux demeurent limités et ne peuvent concurrencer les droits des sponsors principaux.
La visibilité est évidemment la contrepartie pour les sponsors. Elle se décline sous différentes formes, à savoir panneaux publicitaires dans les stades, citations lors des retransmissions, présence sur les supports de communication officiels, activation dans les fan zones ou lors d’événements annexes.
Ces équipements sont standardisés et répondent à des cahiers des charges. La répartition des supports, leur taille, leur position et leur fréquence d’apparition sont prédéterminées, pour assurer une égalité d’exposition entre les partenaires de même catégorie.
Par ailleurs, les contrats de sponsoring contiennent des clauses d’exclusivité sectorielle. Un sponsor officiel a un monopole de visibilité dans son secteur d’activité sur tous les sites de la compétition. Cette exclusivité concerne les stades, les espaces officiels et les communications institutionnelles.
Pour le pays d’accueil ces clauses entraînent des adaptations. Certaines marques ou entreprises locales peuvent être privées de toute visibilité pendant la compétition, même si elles sont présentes sur les lieux habituellement.
Ces exigences font partie du modèle économique des grands événements sportifs internationaux et sont connues à l’avance par les organisateurs locaux.
Hors des stades, les sponsors peuvent mettre en place des opérations « d’activation » avec animations, stands, événements promotionnels. Ces actions sont soumises à des autorisations et doivent respecter les périmètres de l’organisation.
Les fan zones, quand il y en a, sont l’un des lieux d’activation. Leur nombre, leur implantation et leur programmation sont des choix locaux, en accord avec la CAF.
Les sponsors font partie du décor de la CAN. Elle est communément admise comme faisant partie intégrante de l’événement, bien qu’elle puisse être perçue différemment par les publics.
Sécurité : organisation, moyens et coûts de fonctionnement
Enfin, la sécurité est l’un des aspects les plus délicats de l’organisation d’une CAN. Elle ne s’arrête pas à la sécurisation des matchs ou des stades, mais concerne tous les flux de personnes, les espaces urbains mobilisés et les infrastructures utilisées pendant la compétition. Pour la CAN 2025, cette partie est assurée par l’État, en concertation avec les autorités locales, les forces de sécurité et les instances sportives.
Contrairement aux droits commerciaux ou les droits de diffusion, la sécurité n’est pas confiée à la CAF. Elle est de la compétence exclusive des autorités de l’État d’accueil. Il s’agit de la sécurité publique, de l’ordre public, de la gestion des foules, de la protection des délégations, de la prévention des risques terroristes, sanitaires et logistiques.
Ce cadre répond aux normes internationales des grandes compétitions sportives. La CAF établit des exigences générales de sécurité, mais leur application opérationnelle est laissée aux institutions nationales.
Périmètres concernés :
- les stades et leurs abords immédiats,
- les fan zones officielles lorsqu’elles sont organisées,
- les axes de transport (gares, aéroports, routes d’accès),
- les lieux d’hébergement des équipes, officiels et arbitres,
- certains espaces publics identifiés comme sensibles pendant la compétition.
La sécurisation de la CAN repose principalement sur des ressources humaines déjà existantes : police, gendarmerie, forces auxiliaires, protection civile, services de renseignement et autorités locales. Ces effectifs sont redéployés, renforcés ponctuellement ou mobilisés en heures supplémentaires selon les besoins.
Il n’existe généralement pas de recrutement massif et permanent lié à l’événement. La logique est celle d’un renforcement temporaire, concentré sur la période de la compétition et ses phases préparatoires immédiates.
Cette mobilisation a un coût opérationnel, notamment en termes de logistique, de transport, d’hébergement et d’indemnités, mais elle s’inscrit dans le fonctionnement normal de l’appareil sécuritaire de l’Etat.
Technologies et équipements
Les grandes compétitions sportives s’accompagnent systématiquement d’un renforcement des outils de surveillance. Cela peut inclure :
- des systèmes de vidéosurveillance dans et autour des stades,
- des dispositifs de contrôle d’accès et de filtrage,
- des équipements de communication et de coordination en temps réel,
- des moyens aériens ou mobiles de surveillance.
Ces équipements ne sont pas nécessairement acquis exclusivement pour la CAN. Dans de nombreux cas, ils existent déjà dans des programmes plus larges de modernisation des dispositifs de sécurité, accélérés ou concentrés à l’approche de l’événement.
La sécurité des matchs eux-mêmes repose sur une articulation précise entre les forces publiques, stewards, services de sécurité privée agréés et responsables des stades. Les rôles sont répartis de manière claire.
Les forces publiques assurent la sécurité générale et le maintien de l’ordre. Les stewards et agents privés interviennent à l’intérieur des enceintes pour la gestion des flux, le contrôle des billets et l’orientation du public. Cette répartition est encadrée par des protocoles validés en amont.
La CAN implique aussi des déplacements de supporters nationaux et étrangers, avec des profils variés et des modes de déplacement divers. Les autorités privilégient généralement une approche préventive avec anticipation des rassemblements, encadrement des déplacements, sécurisation des zones à forte affluence…
Pendant la CAN, certaines villes voient leur espace public temporairement reconfiguré. Des zones peuvent être partiellement fermées, des axes redirigés, des restrictions de circulation mises en place à proximité des sites sensibles.
Ces ajustements ont un impact direct sur la vie quotidienne des habitants et sur l’activité économique locale. Ils sont généralement annoncés à l’avance et limités dans le temps, mais ils font partie intégrante du coût organisationnel de l’événement.
Ce coût n’est pas toujours chiffré de manière distincte, car il se confond avec le fonctionnement normal des services publics.
Par ailleurs, la présence de délégations officielles, de responsables sportifs internationaux et de représentants institutionnels ajoute une dimension diplomatique au dispositif de sécurité. Des mesures spécifiques sont mises en place pour ces publics.
Cette dimension est particulièrement sensible lors des matchs à forte visibilité ou des cérémonies officielles, qui concentrent l’attention médiatique.
