Sénégal : assistons-nous à la première crise entre le président et son Premier ministre ?

Comme à son habitude, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko n’a pas mâché ses mots. Devant ses partisans, le leader du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) a estimé que le Sénégal fait face à une crise d’autorité tout en appelant le président de la République à y remédier.
Selon lui, il est victime d’une « haine » persistante et des « attaques » multiples. Ousmane Sonko a dénoncé ce qu’il considère comme une faille au sein même du parti Pastef, qu’il a fondé et mené à la victoire. « Pourquoi cette haine contre Ousmane Sonko ? Parce que ces gens pensent que je suis le verrou qui les empêche d’atteindre leur objectif. Ne vous détrompez pas, tout ce qui les intéresse, c’est le pouvoir », a-t-il déclaré, visiblement amer. Il s’est interrogé sur le silence de son propre parti face à ces attaques, pointant du doigt certains de ses camarades accusés de fomenter des divisions internes. « Parmi les membres du parti, il y en a même qui ont déjà commencé à mettre sur pied leur propre plan, cherchant à créer des clans », a-t-il ajouté.
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Mais c’est surtout à l’endroit du président Bassirou Diomaye Faye que les reproches sont les plus directs. Ousmane Sonko affirme s’être rendu personnellement auprès du chef de l’État pour évoquer ces hostilités et laisse entendre que ce dernier aurait la capacité de les faire cesser, sans le faire. « Il peut arrêter ces attaques contre ma personne quand il le souhaite. Pourquoi ne le fait-il pas ? », a-t-il interrogé. Avant de conclure : « Si c’était moi le président, les choses ne se passeraient pas comme ça. »
Le Premier ministre a également évoqué un « problème d’autorité » au Sénégal, invitant à une reprise en main ferme de l’appareil d’État. Pour lui, le pays ne traverse pas une crise structurelle, mais plutôt un déficit d’autorité. Une sortie qui sonne comme une mise en garde autant qu’un appel à la clarification des rôles dans l’exécutif.
Bassirou Diomaye Faye calme le jeu et réaffirme l’unité du tandem
Face à cette vague médiatique qui a suivi les propos de M. Sonko, le président Bassirou Diomaye Faye a rapidement réagi pour désamorcer toute idée de rupture au sommet de l’État. Lors de la clôture du dialogue national avec la société civile, le chef de l’État a tenu à réaffirmer la solidité de sa relation avec son Premier ministre : « Certains pourraient penser que j’ai des divergences avec le Premier ministre. Non ! Comme Ousmane Sonko l’a dit lui-même, il est mon ami. On n’a aucun conflit », a-t-il déclaré devant les caméras, rapporte RFI.
Le président Faye a préféré recentrer le débat sur ses priorités : la paix et la stabilité politique, conditions selon lui indispensables à la réussite des réformes promises. « Il est certes important de réformer nos codes des investissements, des douanes, des impôts… Mais avant de parler de réforme, il faut d’abord la paix et la stabilité politique », a-t-il souligné, en réponse implicite aux appels de Ousmane Sonko à accélérer le rythme des changements, notamment en matière de justice et de reddition des comptes.
Une solidarité affichée au sein du Pastef
Alors que la presse sénégalaise s’est largement emparée de ces déclarations, plusieurs voix au sein du Pastef se sont élevées pour minimiser l’ampleur du différend et réaffirmer l’unité du parti au pouvoir. Le président de l’Assemblée nationale, El Malick Ndiaye, a publié un communiqué fort en symboles et en soutien au tandem exécutif. « Rien, absolument rien, ne saurait briser le lien indéfectible qui unit le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, et son Premier ministre, Ousmane Sonko. Ensemble, ils portent les intérêts de la nation en bandoulière avec une détermination inébranlable à réformer et à réussir », a-t-il déclaré.
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Ce message d’unité coïncidait avec l’anniversaire du Premier ministre, célébré le 15 juillet, date qui a servi de prétexte à de nombreux messages de loyauté et de reconnaissance à son endroit.
Le duo Ousmane Sonko-Diomaye Faye, qui a porté le projet de rupture jusqu’au sommet de l’État avec le slogan « Diomaye = Sonko », semble aujourd’hui soumis à l’épreuve de l’exercice du pouvoir. Si les deux hommes s’affichent toujours unis publiquement, les tensions exprimées par Ousmane Sonko traduisent des divergences réelles sur la méthode et le rythme de l’action gouvernementale. Le défi pour les mois à venir sera de réussir à canaliser ces différences sans compromettre la cohésion de l’exécutif ni la confiance des Sénégalais.