Côte d’Ivoire : Tidjane Thiam face à un avenir incertain

Quarante-huit heures après avoir présenté sa démission de la présidence du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Tidjane Thiam a été reconduit à la tête du parti avec 99,77 % des voix, à l’issue d’un congrès décentralisé où il était le seul candidat. Malgré cette élection, il demeure au cœur d’une équation politique irrésolue. Si sa légitimité à la tête du principal parti d’opposition semble désormais acquise en interne, sa candidature à la présidentielle d’octobre 2025 reste juridiquement compromise.
Cette reconduction au poste de président du PDCI, est destinée à désamorcer un recours judiciaire, cristallise en réalité les contradictions d’un système politique où le droit, le rapport de force partisan et les perspectives démocratiques s’entrechoquent.
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Le principal obstacle auquel se heurte l’ancien patron du Crédit Suisse est juridique. Radié de la liste électorale pour avoir été de nationalité française au moment de son inscription en 2022, il est frappé par l’article 48 du code de la nationalité ivoirienne, qui prévoit la perte de la nationalité en cas d’acquisition volontaire d’une autre. Même s’il a renoncé à sa nationalité française en mars 2025 et a été reconnu comme « 100% ivoirien » par les autorités, la radiation reste, pour l’heure, effective. Cette exclusion électorale l’empêche de briguer la magistrature suprême, sauf à bénéficier d’un éventuel revirement judiciaire ou d’un compromis politique.
La situation n’en serait pas aussi complexe si le PDCI lui-même n’avait fait le choix de s’aligner sans réserve derrière son leader. Lors du congrès extraordinaire du 14 mai, Tidjane Thiam était le seul candidat en lice. Aucun de ses potentiels concurrents internes, comme Jean-Louis Billon, ne s’est présenté. Le scrutin, organisé sur 45 sites à travers le pays, a été l’occasion d’un rassemblement militant autour de sa figure.
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Pour ses partisans, cette candidature unique était le signe d’une unité retrouvée. Quant à ses détracteurs, elle témoigne plutôt d’un verrouillage stratégique du parti. En interne, plusieurs voix évoquent, sous couvert d’anonymat, une mise à l’écart délibérée des alternatives, alors même qu’un recours judiciaire initié par la militante Valérie Yapo conteste la validité de son élection de décembre 2023.
Vers une présidentielle sans réel opposant
Loin de pacifier les tensions internes, cette réélection pourrait bien mettre en lumière les fractures existantes. Le PDCI, affaibli par une longue traversée du désert depuis la mort d’Henri Konan Bédié, semble aujourd’hui entièrement misé sur le leadership de Tidjane Thiam. Mais ce pari reste risqué, l’homme providentiel pourrait ne pas être éligible, et le parti se retrouver sans plan B à quelques mois d’un scrutin décisif. Si certains militants affirment qu’il n’y a « pas de plan B », d’autres figures du parti comme Jean-Louis Billon ont déjà pris leurs distances et se préparent à entrer dans la course présidentielle en indépendants.
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Au-delà du cas Tidjane Thiam, c’est l’ensemble de l’opposition ivoirienne qui semble progressivement écarté de l’échéance électorale. Outre le président du PDCI, d’autres candidats déclarés comme l’ancien président Laurent Gbagbo, son ancien bras droit Charles Blé Goudé et l’ancien Premier ministre et président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro sont, eux aussi, absents de la liste électorale, pour des raisons judiciaires diverses. Ce phénomène dessine en creux une présidentielle à faible concurrence, marquée par l’affaiblissement du pluralisme. Le président sortant Alassane Ouattara, bien qu’il n’ait pas encore annoncé s’il briguerait un nouveau mandat, pourrait se retrouver sans rival de poids.
Face à cette situation, le vice-président du PDCI, Georges Ezaley, a lancé un nouvel appel à un « dialogue politique » pour garantir une élection « paisible, inclusive et crédible ». Mais du côté du gouvernement, la réponse est restée ferme. Ce dialogue est considéré comme clos depuis mars 2022.
Le cas de Tidjane Thiam est donc symptomatique d’un système où la compétition électorale se joue autant dans les tribunaux que dans les urnes. Chef d’un parti historique, il est porté par une base militante active et par un discours de rupture, ce dernier se retrouve aujourd’hui prisonnier d’un cadre légal qui l’exclut du suffrage universel. En l’absence d’évolution institutionnelle, le scrutin du 25 octobre pourrait bien avoir lieu sans lui.