En 1880, une conférence internationale scelle, sans le dire bien sûr, le sort d’un Royaume encore libre. Le Maroc, alors sous le règne du sultan Hassan Ier, cherche à résister aux prédations européennes. Mais à Madrid, les dés sont évidemment pipés. Ces faits étaient annonciateurs de ce qui se passerait bien des années plus tard.

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Madrid, 3 juillet 1880. Malgré la chaleur d’un mois d’été, la température était glaciale. Les représentants de treize puissances (la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, les Etats-Unis et d’autres nations européennes) se réunissent autour d’une même table. Officiellement, il s’agit de mettre fin aux abus liés aux protections consulaires au Maroc. Ca c’est vite dit. En réalité, il s’agissait des premières lignes d’un encerclement diplomatique du Royaume chérifien.

A la fin du XIXe siècle, le Maroc est ce que l’on pourrait appeler un « empire résilient ». Il a échappé à la vague de colonisation qui a englouti l’Algérie dès 1830. Il conserve son trône, ses tribus, ses marchés, ses ports… Mais il est sous pression. Les puissances européennes, à commencer par la France et l’Espagne, louchent sur ses terres, ses ressources et surtout sur sa position géostratégique entre l’Atlantique et la Méditerranée.

Le système des protections consulaires devient rapidement une arme à double tranchant. Créé à l’origine pour protéger les étrangers installés au Maroc, il se transforme en un système clientéliste où des milliers de Marocains comme des commerçants, des notables, voire parfois des criminels, se font attribuer la nationalité de complaisance d’une puissance européenne pour échapper à l’impôt, à la justice ou aux lois locales. Certains consuls vendent littéralement leur protection. Rien de pire pour semer la zizanie dans un système.

La conférence de Madrid

C’est donc dans ce contexte que le sultan Hassan Ier, soucieux de reprendre la main sur tout cela, accepte la tenue d’une conférence internationale. L’Espagne, ancienne puissance coloniale dans le nord du Maroc, se propose de l’accueillir à Madrid. L’objectif officiellement simple étant d’encadrer le système des protections et réaffirmer la souveraineté du Maroc. Mais à y regarder de plus près, c’est une pièce en plusieurs actes qui se jouera sous leurs yeux.

Dès les premières séances, les dés sont jetés. Le Maroc, représenté par des diplomates d’expérience mais isolé, fait face à une coalition de puissances qui ont chacune leur agenda. La France souhaite sanctuariser ses intérêts à l’est, en prévision d’une future expansion. L’Espagne protège ses positions dans le Rif. Le Royaume-Uni veille à ce qu’aucune puissance continentale ne prenne trop d’avance sur la route de Gibraltar. Et l’Allemagne, encore jeune empire sous Bismarck, joue aux équilibristes.

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Le traité, signé le 3 juillet 1880, compte une trentaine d’articles, dont la majorité concerne les modalités de la protection, les droits des étrangers, les conditions d’acquisition de terres et surtout… la légitimité du Sultan à réguler ces questions.

Le texte est habilement rédigé. Sur le papier, il réaffirme la souveraineté pleine et entière du Sultan sur ses sujets. Il précise que les agents protégés ne pourront plus occuper certains postes sans l’autorisation du Makhzen. Il limite le nombre de personnes que chaque consulat peut protéger, encadrant les abus.

Mais à lire entre les lignes, les failles apparaissent. Le traité officialise la présence juridique étrangère sur le territoire marocain. Il autorise l’achat de terres agricoles par des ressortissants. Il ne remet pas fondamentalement en cause le système de protection et ne donne au Maroc aucun moyen réel de sanctionner les abus. En gros, il maquille une perte d’autonomie sous un vernis diplomatique.

Convention de Madrid du 27 novembre 1912 : partage d’un Royaume, naissance d’un paradoxe

Le traité de Madrid est parfois présenté comme une victoire d’étape pour feu le sultan Hassan Ier, qui aurait obtenu des garanties sur sa souveraineté. Mais l’histoire, cruelle, en donne une autre lecture. A peine une génération plus tard, en 1912, le traité de Fès instaure le protectorat français au Maroc. Madrid 1880 apparaît alors comme un prologue, un signal donné aux puissances que le Maroc est « traitable », négociable, partageable !

Pire encore, ce traité devient un outil juridique pour justifier l’ingérence étrangère. Les puissances invoquent leur signature pour exiger des privilèges, réclamer des comptes, imposer des réformes. Le Royaume est alors pris au piège.

La conférence de Madrid du 3 juillet 1880 ne fait pas souvent les gros titres. Elle ne figure d’ailleurs pas en bonne place dans les livres scolaires. Et pourtant !

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