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Souveraineté alimentaire : le Maroc loin du compte

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L’économie marocaine est prise en tenaille entre des facteurs exogènes, comme la flambée des prix des matières premières à cause de la guerre en Ukraine, et d’autres endogènes, notamment la faible pluviométrie. Un scénario qui rappelle celui de l’année 1973 et de son choc pétrolier mais aussi la sécheresse du début des années 1980 et le Programme d’ajustement structurel imposé à notre pays par le Fonds monétaire international (FMI). Mais aujourd’hui, au-delà des aspects liés à la pression exercée sur le budget de l’État, le plus urgent est d’assurer la souveraineté alimentaire du Maroc qui est passée de 80% en 2008 à 60% à peine aujourd’hui.

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À écouter le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, lors de l’habituel point de presse qui suit la réunion hebdomadaire du Conseil de gouvernement, on croirait que tout va bien dans le meilleur des mondes. Selon le ministre Baitas, la crise russo-ukrainienne n’aura aucun impact sur l’approvisionnement du Maroc en certains produits issus deses échanges commerciaux avec ces deux pays même si une hausse des prix est observée.

Baitas faisait référence aux céréales en particulier. La Russie et l’Ukraine sont les deuxième et troisième fournisseurs de blé tendre du Maroc après la France avec respectivement 25% et 11% des importations. L’importation potentielle de blé tendre d’Ukraine a été fixée à 8,7 millions de quintaux (qx), dont 5,6 millions qx ont déjà été importés, alors que la quantité restante (3 millions qx) peut être importée de n’importe quelle autre région, a relevé Baitas. Pour ce qui est de la Russie, ce n’est pas la guerre qui a freiné les exportations de céréales de ce pays mais la faiblesse de la production de cette année. Ainsi, le gouvernement estime que l’importation de blé tendre russe sera réduite alors que la quantité potentielle d’orge importée de Russie a été fixée à 0,6 million qx, dont 0,5 million qx ont été acquis, alors que la quantité restante (0,17 million qx) pourrait être importée de l’Union européenne ou de la France. Ce qui est clair, c’est que pour répondre au besoin alimentaire de sa population, le Maroc doit acheter les céréales de l’étranger au prix fort, ce qui aura indéniablement un impact sur le pouvoir d’achat de la population.

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Sécurité alimentaireVs souveraineté alimentaire

C’est dans les années 1970 que ce concept s’est inscrit sous le prisme de l’économie et de la géopolitique. On parle de sécurité alimentaire quand tous les citoyens ont, à tout moment, un accès physique, social et économique à une nourriture suffisante. La sécheresse que connaît le Maroc actuellement, les impacts de la pandémie de Covid-19, les chocs exogènes liés à la guerre en Ukraine sont autant de facteurs qui causent une incertitude dans les comportements humains et qui ont un impact sur la sécurité alimentaire. Souvenez-vous des achats frénétiques observés lors de la décision de confinement général annoncée par le gouvernement. Les citoyens s’étaient rués dans les commerces de proximité et les grandes surfaces pour faire des stocks. Heureusement, les produits alimentaires étaient disponibles avec des quantités largement suffisantes et les stocks étaient à des niveaux très confortables. Cependant, les perturbations des chaînes d’approvisionnement au niveau mondial ont entraîné quelques désagréments et poussé les décideurs à réfléchir à la vulnérabilité du pays par rapport à ce levier d’influence dans le cadre de l’interdépendance des États et l’aspect dévastateur que pourrait avoir sa déstabilisation.

Le concept de souveraineté alimentaire remonte aux années 1990. Ilconsiste à produire ce dont ont besoin les citoyens d’un pays ou d’une région géographique donnée. C’est la production suffisante de denrées constituant l’alimentation de base de la population. Au Maroc, le blé est le produit numéro 1 puisque le pain est la base de l’alimentation des Marocains. Pour arriver à une production suffisante, l’État doit opter pour la diversification des cultures pour préserver l’environnement tout en augmentant la productivité agricole. Il s’agit aussi de «de remettre l’être humain au centre des préoccupations, de renverser l’ordre des valeurs dans la définition même de l’économie, de réorienter le rapport à la nature, le faisant passer de l’exploitation au respect», selon les défenseurs de ce concept.

De l’autosuffisance du Maroc

Le Royaume réalise un taux d’autosuffisance de 65% pour les céréales, 47% pour le sucre, 100% pour les fruits et légumes, les viandes rouges et blanches et les œufs, et de99% pourle lait et dérivés.

F&L

Ces chiffres avancés par Aziz Akhannouch l’année dernière sous la Coupole, alors qu’il occupait encore le poste de ministre de l’Agriculture, avaient soulevé moult interrogations de la part des parlementaires. Se montrant rassurant sur les besoins en produits de forte consommation, Akhannouch avait été interpellé sur l’autosuffisance en céréales et légumineuses. Comment concevoir que le Maroc, pays agricole, soit dépendant du blé français ou des lentilles canadiennes? L’actuel chef du gouvernement avait alors expliqué que «pour atteindre cet objectif, nous devons transférer les deux tiers de la surface irriguée et les allouer à cetteculture, sachant qu’elle ne génère pas de revenus élevés. Dans le meilleur des cas, la culture des céréales peutgénérer un bénéfice annuel de 3.500 DHpar hectare (au détriment d’autres cultures qui peuvent générerentre 6.000 DH et 10.000 DH)».

Mais peut-on parler de revenus quand il s’agit d’une question aussi vitale que celle de l’alimentation des Marocains? Dans son argumentaire, Akhannouch avait fait une simulation d’une reconversion des terres cultivées. «Parvenir à cette autosuffisance signifie l’ajout de 900.000 hectares de terres irriguées aux 300.000 actuelleset une perte de20 milliards de DH (MMDH) de la valeur totale des cultures enirrigué, qui représentent aujourd’hui plus du double des importations de céréales et de légumineuses, sans compter les matièresdont la production s’arrêtera et qu’on devra importer», avait-il expliqué.

Sauf que Aziz Akhannouch ne prend pas en considération une conjoncture très difficile comme celle que nous vivons aujourd’hui avec le blé qui devient une denrée rare à acquérir sur le marché international avec un cours record de 485 dollars la tonne. Si le Maroc importe 8 millions de tonnes de blé à ce prix, il lui faudra débourser 38 MMDH! Une étude réalisée par l’Association Attac Maroc et dont les résultats ont été dévoilés en décembre 2019, pointe du doigt la politique agricole du Royaume et démontre comment la dépendance alimentaire du pays s’est accentuée. «Parallèlement, la culture des céréales (5 millions d’hectares) et celle des légumineuses (325 000 hectares), se trouvent marginalisées, soit 61 % de la superficie agricole globale, où vivent plus d’un million de paysans», révèle l’étude. Pis encore, au bout de 10 ans (2008-2017) de l’application du Plan Maroc vert, la moyenne des importations alimentaires a enregistré 42 MMDH par an (dont 34,5 % pour les céréales), tandis que la moyenne des exportations alimentaires n’a atteint que 19,7 milliards de dirhams par an. Les tomates fraîches et les agrumes en représentent 32%. Ceci torpille littéralement le discours gouvernemental. Les céréales étant la base de l’alimentation locale, «ce modèle agricole, financier, commercial, industriel et d’exportation se concentre uniquement sur la réalisation des bénéfices au profit d’une minorité d’exportateurs et d’importateurs qui spéculent sur les céréales et les autres produits alimentaires», peut-on lire sur le document élaboré sous la coordination de Omar Aziki, membre du secrétariat national d’Attac CADTM Maroc.

L’exécutif semble aussi faire fausse route en misant sur la stratégie « Génération Green »qui a succédé au Plan Maroc vert pour assurer à la fois la sécurité et la souveraineté alimentaires du Royaume. En témoigne cette déclaration du ministre de l’Agriculture, Mohamed Saddiki, en marge de sa présence au Salon international de l’agriculture de Paris fin février: «la souveraineté alimentaire est au cœur de la stratégie agricole du gouvernement marocain (…)». Dans un entretien accordé à l’agenceMAP, Saddiki assure que le Maroc continue de bâtir cette souveraineté alimentaire par rapport à la production nationale. «Aujourd’hui, en termes de production, on a optimisé les choses. Le travail et l’effort va maintenant être concentré sur l’aval des filières en termes de valorisation et de transformation agroalimentaire pour pouvoir réguler le stockage et les stocks stratégiques», a dit le ministre.

Le combat de ‘‘La Via Campesina’’

Attac CADTM Maroc consacre le 6e chapitre de son étude au mouvement international des paysans, marins pêcheurs et ouvriers agricoles ‘’La Via Campesina’’ (LVC). Cette voix de ceux et celles qui nourrissent le monde est une alternative populaire fondée en 1993. Ce mouvement international rassemble des millions de paysans, de travailleurs sans terre, d’éleveurs, de pêcheurs, de travailleurs agricoles migrants, de petits et moyens agriculteurs, de femmes rurales et de jeunes du monde entier. Le cheval de bataille de LVC est la souveraineté alimentaire. Au nom de la souveraineté alimentaire, LVC réclame le droit des peuples à «une alimentation saine et culturellement appropriée, produite par des méthodes écologiquement respectueuses et durables, et leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles». LVC insiste sur le fait que des modes de production agroécologiques diversifiés, gérés par les paysans et basés sur des siècles d’expérience et de preuves accumulées, sont essentiels pour garantir une alimentation saine à chacun, tout en restant en harmonie avec la nature.

Le Maroc reste à la merci des fournisseurs étrangers pour une partie des produits alimentaires. Heureusement, les réserves de change sont à leur plus historique. En effet, les avoirs officiels s’établissaient à 332 MMDH au mois de février dernier, soit l’équivalent de plus de 7 mois d’importations de biens et services. Mais cela ne doit pas encourager le gouvernement à négliger ce qui garantira la force et la stabilité du Royaume dans l’avenir: sa souveraineté alimentaire.

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