Rentrée universitaire sur fond de chaos organisé
Et l’année universitaire débute sur les chapeaux de roues ! L’Université Hassan Ier de Settat s’apprête à passer au crible ses propres pratiques de gestion. La présidence de l’université a lancé un appel d’offres national pour auditer 12 marchés publics supérieurs à 3 millions de dirhams.
Parallèlement, la Cour d’appel d’Agadir a rendu, lundi 13 octobre 2025, son verdict définitif dans l’affaire de harcèlement connue sous le nom de « l’affaire Khadija Madi et Ahmed Qlich », au terme d’une procédure judiciaire entamée le 18 décembre 2023. La Cour a finalement reconnu Ahmed Glish coupable des accusations portées contre lui. Il a été condamné à 6 mois de prison ferme et à une amende de 10.000 dirhams. Il devra également verser à la plaignante une indemnité civile fixée à 100.000 dirhams, en plus des frais de justice.
Et ça ne s’arrête pas là. Même Professeur, autre affaire. Ahmed Qlich demeure toujours en détention dans le cadre d’un autre dossier, plus complexe, lié à ce qu’on a appelé « l’affaire de la vente de diplômes universitaires » au sein de l’Université Ibn Zohr d’Agadir. Une affaire qui a suscité une vive controverse dans les milieux universitaires et étudiants.
L’affaire a coûté son poste au président de l’université, limogé pour son manque de réactivité face aux plaintes visant un enseignant aujourd’hui en détention. Ce dernier est soupçonné d’avoir monnayé l’obtention de Masters et de manipuler les diplômes universitaires. Le ministre de l’Enseignement supérieur, Azzedine El Midaoui, a ainsi décidé de mettre fin à ses fonctions et de confier la présidence par intérim à Abderrahmane Amsidder, en attendant la nomination officielle d’un nouveau responsable. Le scandale éclate alors même que l’ancien président espérait un second mandat à la tête de l’établissement.
Et El Midaoui, puisqu’on en parle, il est loin de faire l’unanimité. La coordination nationale des professeurs d’enseignement supérieur, lésés par le calcul de l’ancienneté générale, a organisé, jeudi 16 octobre 2025, un nouveau sit-in devant le ministère de l’Enseignement supérieur à Rabat. Ce mouvement dénonce l’inaction du ministère face à un dossier en suspens depuis 2018, malgré les engagements pris dans le cadre du système statutaire de 2023 et de l’accord du 24 juillet 2025.
Cette rentrée universitaire ne sera clairement pas comme les autres. Les professeurs en grève boudent les tableaux, les étudiants crient à l’injustice, la Gen Z 212 réclame des comptes et les Masters se distribuent comme des billes (comme des cartes Pokémon, pour les plus jeunes). Il semblerait que l’université traverse la plus belle crise de confiance de son histoire.
Après l’épisode Miraoui (pas El Midaoui, attention) décrit par certains comme « l’année la plus chaotique de la décennie », l’on a connu le système de Master réformé à la hâte, les dossiers de « Masters achetés » qui ternissent la crédibilité du diplôme, les étudiants en médecine menacés d’année blanche… Mais l’option 2025, qui s’ajoute à tout cela, vient faire déborder le vase. A présent, ce sont aussi des campus qui débordent d’étudiants sans place, une assurance maladie obligatoire mal digérée et des bourses qui peinent à suivre l’inflation.
Enseigner ou s’épuiser ?
Dans les amphis, les étudiants attendent un prof’ qui ne viendra peut-être pas. Ce métier ne fait plus autant rêver, il faut croire. Les professeurs ont repris leur mouvement avant même le retour des étudiants. Fatigués de promesses non tenues, ils réclament un statut clair, une revalorisation et surtout un peu de respect pour le métier d’enseignant-chercheur. Le SNESup et d’autres syndicats brandissent la menace d’un blocage prolongé.
Le mouvement actuel s’est rapidement étendu à toutes les universités publiques. Les syndicats réclament l’abrogation pure et simple du décret 2.22.44, qui redéfinit la grille des enseignants sans les consulter. En gros, ils refusent d’être « reclassés » dans un système qui, selon eux, rabaisse leur statut et bloque leurs perspectives de carrière.
Le problème du supérieur, c’est le professeur.Professeur Nabil Adel.
« Le vrai problème, ce sont les enseignants. Beaucoup ne se remettent plus en question, ne se forment plus, ne publient plus. Et comme ils sont fonctionnaires, ils n’ont rien à craindre, il faut vraiment commettre une faute très grave pour être inquiété. Ils sont donc protégés, parfois même par leurs pairs, dans une logique de corporatisme tranquille. On se couvre entre collègues et le système tourne en rond. Il y a aussi une certaine culture de laisser-aller qui impacte les étudiants en premier lieu », nous explique Professeur Nabil Adel, enseignant-chercheur en géopolitique et géoéconomie.
Les étudiants sont un peu comme de la chair à canon au milieu de tout ça. Certains soutiennent leurs profs, convaincus que la défense de l’université publique passe aussi par de meilleures conditions pour ceux qui y enseignent. D’autres, surtout en dernière année, sont à bout de nerfs.
Et dire qu’avant, devenir professeur d’université était un signe de réussite, une profession noble. Aujourd’hui, c’est autre chose, les jeunes chercheurs, au lieu d’espérer un poste, rêvent surtout de s’enfuir vers la France, le Canada, ou n’importe quel endroit où enseigner ne rime pas avec galérer.
Les causes sont connues, rabâchées ET ignorées. Salaires bas, bureaucratie tentaculaire, locaux délabrés, manque de matériel, absence de reconnaissance… et on en passe des vertes et des pas mûres. Les jeunes docteurs attendent depuis des années une titularisation qui ne vient pas et se retrouvent parfois à donner des cours particuliers aux enfants des écoles privées ou des cours vacataires à longueur de temps. Parallèlement, vu que le système est complètement bancal, d’autres ont la chance de pouvoir soutenir et sont même soutenus par l’État, à hauteur de 15 à 30.000 dirhams pour leur travail d’enseignant-chercheur, qu’ils ne prennent pas toujours au sérieux.
Toujours selon le Professeur Nabil Adel, avec quelques heures de cours hebdomadaires qu’ils peuvent boucler en une journée, les enseignants chercheurs sont censés consacrer le reste du temps à la recherche. Sauf que nombre d’entre eux préfèrent utiliser ce temps pour faire autre chose, comme du consulting, des affaires parallèles, parfois des activités sans rapport avec l’université.
Il ne faut pas s’étonner, ensuite, que la fuite des cerveaux s’accélère. Le plus ironique, c’est que le pays n’a jamais autant eu besoin d’enseignants !
Et cette rentrée coïncide avec les mouvements Gen Z. Eux, n’ont pas connu les sit-in poussiéreux ni les assemblées étudiantes d’antan. Petit clin d’œil à la génération 80’. La Gen Z organise un mouvement national sur Discord, sans se cacher. Cette nouvelle génération d’étudiants s’invite bruyamment dans la rentrée universitaire.
Le Master nouvelle formule
Adieu concours, bonjour sélection. Le ministère a décidé de supprimer le concours d’accès au Master, au profit d’une sélection « sur dossier ». L’idée de base étant d’alléger les procédures, rendre le processus plus équitable et accessoirement redorer un peu l’image d’un système sali par les scandales à répétition.
Fini donc les épreuves écrites et orales, souvent critiquées pour leur opacité.
Place désormais à l’étude des notes et moyennes obtenues durant le parcours universitaire. Le tout encadré par un nouveau cahier national des normes pédagogiques du cycle Master, publié au Bulletin officiel le 14 août 2025, en application de l’arrêté ministériel n°1891.25 du 25 juillet 2025. Les doyens, ou leurs représentants, présideront les commissions de sélection, pour, selon eux, plus de transparence.
Le ministère promet aussi plus de places disponibles et le maintien de la gratuité pour les étudiants. Les fonctionnaires, eux, continueront à payer pour le fameux « temps aménagé ». Parmi les nouveautés, l’on retrouve aussi la « licence d’excellence » pour accéder directement au Master. Les étudiants devront réaliser un mémoire en lien avec leur environnement socio-économique ou une structure de recherche. L’entrepreneuriat entre officiellement dans les programmes, tout comme l’alternance linguistique et l’enseignement à distance.
Si certains étudiants se réjouissent de ne plus affronter l’épreuve du concours, d’autres découvrent qu’ils ne figurent sur aucune liste, ni principale, ni d’attente, sans explication. Les commissions de sélection ne publient pas toujours leurs critères, et la fameuse « transparence » reste donc très relative.
Interrogé sur cette nouveauté, Pr. Salah Eddine Kartobi, vice-président de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech, explique à LeBrief qu’ « il ne s’agit pas d’une réforme, mais de modifications issues d’une réflexion menée depuis un an avec les chefs d’établissements. L’objectif est de réduire les scandales et d’assurer plus de crédibilité dans le processus de sélection ». Mais il reconnaît toutefois l’existence de disparités entre universités. « Un étudiant d’El Kelaâ des Sraghna et un autre de Marrakech peuvent avoir des notes différentes dans des conditions similaires, ce qui rend la comparaison et le classement complexes », détaille-t-il.
Mais comment garantir l’équité quand chaque faculté note à sa manière ? Le Pr. Kartobi nous parle d’instaurer des quotas pour équilibrer les chances selon les universités d’origine. Une idée qui ferait grincer des dents, mais qui aurait le mérite d’exister.
Tout ce brouhaha n’est pas sans faire plaisir au privé. Ah oui, lui, il jubile. Les écoles payantes voient affluer les candidats déçus du public. Certaines n’ont même plus besoin de publicité, l’échec du système public fait office de meilleur marketing. Le Master devient un produit, pas un diplôme. Et après le scandale des « Masters achetés » (notamment celui de l’ENCG de Kénitra, où des admissions s’échangeaient contre plusieurs dizaines de milliers de dirhams, ou encore celui de l’ENCG Settat), difficile d’accorder la moindre crédibilité à une réforme qui prétend tout nettoyer, quand même une salle de classe ne se nettoie pas en une heure !
Pour preuve, les classes prépas publiques sombrent doucement dans l’oubli pendant que le privé collectionne les succès. Même les lycées les mieux référencés du pays rament en ce moment. Il faut dire que les étudiants et les professeurs cherchent de meilleures opportunités. Structures d’excellence financées par des fondations ou un partenariat public-privé, une double diplomation étrangère… Là-bas, les salaires sont doublés, mes effectifs réduits et le matériel ferait jalouser un laboratoire de recherches.
Médecine : quand le remède devient poison
Ils étaient des centaines, puis des milliers. En blouse blanche, pancartes à la main, sous un soleil qui cognait dur. Les étudiants en médecine ont fait de 2024 une année hors normes, au sens littéral, une année blanche. C’est rare, presque inédit. Et chaque année ils se disent : « Celle-ci est la pire, on ne peut rien faire de plus. » Et chaque année, le même refrain est chanté.
Tout est parti d’une série de réformes imposées sans concertation, du moins c’est ce qu’ils affirment. Réduction de la durée des études, intégration des étudiants des écoles privées dans les mêmes concours, stages hospitaliers jugés « dégradants », conditions de travail intenables… La liste est longue.
L’impact immédiat est bien évidemment visible dans les hôpitaux déjà en manque de personnel, qui ont dû composer avec des effectifs réduits, des stages annulés, des urgences débordées…
Les anciens appellent au compromis, à la patience, à la diplomatie. Les jeunes, eux, ne veulent plus attendre. Leur mouvement, déterminé, s’inspire davantage des mobilisations étudiantes mondiales que des négociations syndicales d’autrefois.
Privé Vs public
Les frais d’inscription dans certaines écoles supérieures privées frisent l’indécence. En moyenne, 80.000 à 120.000 dirhams par an pour un cursus d’ingénierie, 60.000 (au bas mot) pour une école de commerce, souvent plus.
A cela s’ajoutent les frais annexes pour le matériel, le logement, le transport… Le tout sans aucune garantie de qualité. Car toutes les écoles privées ne se valent pas, loin de là. Certaines sont excellentes, d’autres vendent littéralement des diplômes au kilo. Le plus drôle, c’est que le gouvernement semble être en paix avec cette réalité. Les discours officiels vantent le « partenariat public-privé » et la « diversification de l’offre éducative ». En bref, on laisse le marché réguler ce que le gouvernement ne parvient plus à gérer. Mais à ce rythme, l’enseignement supérieur marocain ne sera qu’un produit de luxe.
Le privé n’est pas le diable, qu’on se le dise, il comble des manques évidents, crée de l’emploi, attire des investisseurs, modernise l’image de l’université marocaine… Mais il transforme aussi l’éducation en business.
L’argent, nerf de la rentrée
Bon, il y a ceux qui ont les moyens, on l’aura compris et ceux qui ne les ont pas. Pour cette dernière partie les demandes de bourses se font chaque année. Depuis que le gouvernement a décidé de « réorganiser » le système des aides, les bourses étudiantes sont devenues un parcours du combattant. Dans certaines régions, les étudiants n’ont toujours pas touché leur premier versement à la fin du semestre.
La bourse, censée garantir une égalité des chances, s’est transformée en réelle loterie. Les dossiers s’empilent dans les administrations et les décisions tombent souvent sans explication. A cela s’ajoutent les frais universitaires, qui grimpent très discrètement. Dans certaines facultés, les droits d’inscription ont doublé en dix ans. Rien de dramatique, mais suffisant pour décourager des familles déjà étranglées par l’inflation. L’enseignement public reste « gratuit », mais tout le monde sait que le vrai coût est ailleurs. Cela se calcule, notamment, en transport, logement, repas, matériel, et surtout… survie !
Par ailleurs, il y a aussi les problèmes de campus. Outre le financement, il faut y trouver une place. Le problème n’est pas nouveau, mais il s’aggrave chaque année. L’explosion démographique des inscrits, plus d’un million dans les établissements publics, a littéralement débordé les infrastructures. Les campus de Casablanca, Fès, Marrakech ou encore Oujda croulent sous le nombre. Les vidéos des étudiants de Rabat dormant à même le sol, dans les rues, ont fait le tour de la toile !
Le logement étudiant est un vrai cauchemar. Dans les cités universitaires, les chambres de quatre lits hébergent souvent six, parfois huit personnes. Les rares résidences privées accessibles coûtent aussi cher qu’un petit appartement à Casablanca.
Les conditions sanitaires et sécuritaires sont, quant à elles, à la limite de l’indécent. A Rabat, plusieurs cités n’ont pas été rénovées depuis les années 1990. Le souci, c’est qu’à force d’entasser les étudiants comme des cartons dans un entrepôt, on finit par étouffer leur motivation, à coup de fatigue nerveuse.
Étudiants internationaux : le rêve marocain version débrouille
Chaque année, le Maroc aime rappeler qu’il « attire de plus en plus d’étudiants étrangers ». Une success story qu’on aime afficher dans les discours officiels, preuve du « rayonnement » du pays en Afrique. En fait, c’est vrai, plus de 20.000 étudiants venus du continent posent leurs valises dans nos facultés. Sauf qu’une fois le sourire de bienvenue passé, la réalité les rattrape. Violemment.
Les places en cité universitaire ? On verra bien, les bourses… peut-être ! Logement introuvable, bourses aléatoires, amphithéâtres bondés. Sauf que pour les étudiants étrangers, tout cela s’ajoute à la solitude, au déracinement et parfois à la xénophobie.
Certains viennent grâce à des bourses de coopération. Mais les retards de versement sont légendaires. Beaucoup donnent des cours particuliers, d’autres travaillent au noir, quelques-uns abandonnent.
Les plus chanceux s’intègrent, trouvent un logement correct, des amis, un équilibre et ne vivent aucune année blanche « En tant qu’étudiants internationaux, nous n’avons pas de problèmes d’années blanches, nous poursuivons notre cursus », nous déclarent deux étudiants étrangers de la faculté Hassan II de Casablanca.
De plus, ce que personne ne dit, par honte ou par… honte ! Il n’y a pas d’autres mots, c’est que la plupart des bacheliers marocains ne maîtrisent pas correctement la langue française, langue dans laquelle sont donnés les cours scientifiques. « Le premier drame, c’est la langue. Une partie des étudiants arrive à l’université sans maîtriser la langue d’enseignement. En sciences, en économie ou en droit, beaucoup ne comprennent même pas les notions de base. Comment espérer qu’ils suivent des cours complexes dans une langue qu’ils ne possèdent pas ? On leur demande de raisonner dans un idiome qu’ils traduisent à moitié », nous déclare le Professeur Nabil Adel.
Sur les campus, la présence de ces étudiants étrangers est essentielle. Ils sont les premiers ambassadeurs d’un Maroc qui veut s’imposer comme hub éducatif continental. Le paradoxe, c’est que beaucoup de ces étudiants étrangers font le choix du Maroc pour fuir des systèmes éducatifs défaillants dans leur pays. Ils découvrent ici une version un peu mieux organisée, mais tout aussi folle !
Le vrai problème, c’est le manque de courage institutionnel. Les problèmes sont connus de tous, mais personne ne veut les affronter. Il ne manque pas de compétences dans les universités marocaines, il manque le courage de dire les choses, d’évaluer, de sanctionner et d’assumer les résultats.Professeur Nabil Adel