Pas de pétrole, mais de l’hydrogène. Ah ça oui ! Le Maroc veut devenir la centrale énergétique de l’Afrique. A Dakhla, tout le monde parle le langage de l’hydrogène vert, de la transition énergétique, de hub du futur… Ça avance vite dans les provinces du Sud. Très vite. Trop vite ? Ce rêve vert repose-t-il sur une stratégie solide ou sur des promesses gonflées à l’air chaud ?

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Dans la salle de conférence climatisée du Forum Maroc-France, le mot hydrogène revient toutes les deux phrases. Ici, dans le Sud du Maroc, se joue une partie géante, où écologie et diplomatie ne font qu’une. Sur scène, Tarik Moufaddal, PDG de Masen, déroule les chiffres pour preuve. Sept projets déjà sélectionnés, 200.000 hectares mobilisés, trois sites à Dakhla, un premier contrat signé avec un consortium européen. Tout semble carré. Malgré quelques applaudissements, nous ne sommes pas sans savoir que le marché de l’hydrogène vert est encore un flou artistique. Quels prix, pour quels débouchés ?

Pour faire simple, le Maroc veut transformer ses vents et son soleil en molécules exportables, faire du Sahara un centre de production propre, rentable et stratégique. Dakhla, Laâyoune, Guelmim sont les trois régions choisies pour porter cette ambition. Un million d’hectares promis, une offre nationale d’hydrogène vert présentée comme « l’opportunité du siècle ».

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A Dakhla, on n’entend pas encore bourdonner les usines. Côté français, on répond avec politesse. Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d’administration d’ENGIE, salue l’ambition marocaine et « les conditions exceptionnelles de production d’électricité renouvelable ». Il reconnaît aussi, à demi-mot, que la réglementation européenne est « trop lente, trop complexe ». En gros, l’Europe veut bien investir, mais pas sans garanties.

Pour ENGIE, le Maroc reste un terrain sûr avec du vent, du soleil et une stabilité politique. L’entreprise mise déjà gros à Tarfaya, à Safi et maintenant à Dakhla, où elle exploite avec Nareva un parc éolien couplé à une unité de dessalement d’eau de mer.

Provinces du Sud : nouvelle économie en marche ?

Depuis le lancement, en 2015, du modèle de développement des provinces du Sud par le roi Mohammed VI, ces territoires concentrent 17% des investissements publics nationaux. Routes express, parcs industriels, zones logistiques, plateformes énergétiques, port de Dakhla Atlantique… Le sud du Royaume est devenu un chantier à ciel ouvert et un test grandeur nature pour le « nouveau Maroc productif ».

« Ces régions incarnent aujourd’hui un levier durable et inclusif au service du développement national », a déclaré la présidente de la CGEM Dakhla-Oued Eddahab, Amyra Hormatollah, lors du Forum Maroc-France.

Selon les discours récités durant les panels, le modèle reposerait sur trois piliers, à savoir l’énergie, l’agriculture et la logistique. Dakhla joue la carte du vent et du soleil pour attirer les industriels du vert, Laâyoune mise sur la transformation halieutique et l’industrie légère, Guelmim, elle, veut devenir un hub agro-pastoral et logistique vers le Sahel.

Vidéo © Ayoub Jouadi / LeBrief

Le futur de l’énergie verte passera aussi par l’eau salée

Produire de l’hydrogène, c’est aussi consommer de l’eau. Beaucoup d’eau. Et dans le Sud marocain, l’eau n’est pas une ressource massive. Veolia, à travers Sébastien Daziano, directeur de la stratégie, de l’innovation et du développement, en profite pour rappeler que 30% de la population mondiale vit déjà sous stress hydrique. D’ici à 2050, ce sera la moitié.

Alors, oui, on peut produire de l’hydrogène vert à partir d’énergies propres. Mais à quel prix réel écologique ?
Même Veolia, entreprise dans la gestion de l’eau, reconnaît que le Maroc joue sur un fil. « Le dessalement est la seule option viable dans le Sud, mais il ne faut pas sous-estimer son coût énergétique », avertit Daziano.

Le pays a certes réduit de moitié la consommation d’énergie de ses usines en quinze ans, mais la demande explose. Il faut de l’eau pour tout, pour l’agriculture, l’industrie, l’énergie. On ne peut pas faire de l’hydrogène vert avec de l’eau que nous n’avons pas. Un projet phare est déjà lancé près de Rabat avec la plus grande usine de dessalement d’Afrique, deuxième au monde par sa capacité journalière, prévue à l’horizon 2030. L’entreprise mise sur les nouvelles technologies d’osmose inverse, qui ont permis de réduire de 50% la consommation énergétique en quinze ans.

Sécurité alimentaire : Dakhla, nouveau grenier du Royaume ?

Dakhla, c’est le vent, la mer et désormais les tomates cerises. Le groupe Azura, pionnier du secteur agricole dans la région, emploie 7.000 personnes et produit à lui seul la moitié de sa production nationale ici. Et c’est rentable, à en croire Abir Lemseffer, directrice générale adjointe de l’entreprise. Dans les provinces du Sud, nul besoin de chauffer les serres, le climat est tempéré toute l’année. C’est tout l’intérêt du modèle d’ailleurs, puisqu’il s’agit de produire en continu, à moindre coût et exporter directement vers l’Europe.

Par ailleurs, le groupe Roullier, via sa filiale Timac Agro Maroc, active depuis 26 ans, se présente comme un partenaire au service des agriculteurs marocains. « Nous avons 130 techniciens agronomes qui visitent 1.300 fermes par jour », explique Jorge Boukas, président du conseil d’administration du groupe. « Nous adaptons les plans de fertilisation aux conditions du sol et du climat ».

Il reconnaît, toutefois, que la région reste confrontée à des stress hydriques et salins importants. L’entreprise collabore d’ailleurs étroitement avec l’OCP pour développer des engrais phosphatés décarbonés, produits à partir d’ammoniac vert.

Les Français reviennent prudemment… et pour l’hydrogène

Vidéo © Ayoub Jouadi / LeBrief

La coopération franco-marocaine dans le domaine énergétique, après des années de tension, reprend des couleurs. ENGIE, partenaire historique du Royaume, veut consolider sa présence. Jean-Pierre Clamadieu, son PDG, ne s’en cache pas « pour ce qui est du Maroc, le choix, c’est d’y être. Nous y croyons, parce qu’il y a une ambition politique claire et un cadre réglementaire solide ». ENGIE multiplie donc les projets avec son parc éolien de Tarfaya, son unité de dessalement à Dakhla, ainsi que le nouveau partenariat avec l’OCP autour de la production d’ammoniac vert, dont nous parlions plus tôt.

Toutefois, la question de fond reste politique. Le Maroc mise sur l’hydrogène vert pour asseoir sa souveraineté énergétique et renforcer son influence dans la région. Mais cette ambition repose largement sur la demande européenne et sur les technologies étrangères. Autrement dit, le Maroc produit, l’Europe achète, la France équipe. Un triangle gagnant, tant que chacun y trouve son compte.

Dakhla Atlantique, nouveau Tanger Med du Sud ?

Former les talents du Sud

Ports, fermes, hôtels, usines… tout pousse vite, parfois plus vite que les compétences locales. Dans ce cadre, le campus de compétences de Dakhla, un partenariat public-privé censé devenir la « Cité des métiers et des compétences » du Sud, se présente comme un projet phare pour la région. Cela englobera la formation aux métiers de la mer, du tourisme, de l’agriculture et de l’énergie.

D’autant plus, que de grands groupes français sont déjà présents à Dakhla (ENGIE, Accor, Veolia, Azura…). Il faut donc former localement pour éviter d’importer du personnel depuis Casablanca ou Tanger. Par ailleurs, il faut aussi former pour éviter la fuite de cerveaux et main d’œuvre locale vers d’autres villes du Nord, vidant ainsi le Sud et ses régions.

Le rêve vert, version Sahara

Le Maroc a prouvé qu’il pouvait anticiper. Il lui reste à prouver qu’il peut concrétiser. Produire, stocker, transporter et vendre de l’hydrogène vert. Le Maroc peut devenir un hub énergétique, mais seulement s’il transforme cette ruée vers l’hydrogène en moteur de développement réel.

Dakhla a le vent pour elle. Reste à savoir si ce vent fera tourner des turbines… ou seulement les moulins à promesses. Le Maroc aime rappeler qu’il n’a pas de pétrole, mais qu’il a des idées. Et il faut reconnaître que sur l’énergie, le pays a appris à transformer le manque en levier. Il y a vingt ans, 90% de l’énergie consommée au Maroc était importée. Aujourd’hui, 27% du mix électrique national provient du renouvelable et la capacité électrique verte dépasse les 40%, selon Tarik Moufaddal. Le Maroc, dit-il, « a pris une avance nette sur les objectifs prescrits et atteint certains des coûts de kilowattheure les plus bas au monde ».
Une performance qui doit beaucoup à une topographie clémente, un vent constant, un ensoleillement généreux et des partenariats bien ficelés.

De Mazen à Noor Ouarzazate, de Tarfaya à Safi, les grands noms du solaire et de l’éolien sont venus s’installer au Maroc. Mais à Dakhla, il s’agit de transformer ces électrons verts en molécules vertes et c’est là que le dossier hydrogène entre en jeu.

Quand Reda Hamedoun, membre du COMEX de Nareva et directeur exécutif Power-to-X, parle de « downstream industriel », de « valeur ajoutée locale » et de « nouvelle étape de la transition marocaine ».

Nareva, filiale du groupe Al Mada, travaille déjà avec ENGIE sur le projet SAFIAC, qui représente 27% du mix électrique national quotidien et sur une unité de dessalement de 90.000 m³/jour alimentée par un parc éolien de 60 MW à Dakhla. « Nous avons appris à produire une énergie décarbonée, compétitive et stable. L’étape suivante, c’est de l’utiliser pour fabriquer de l’hydrogène vert », explique Hamedoun.

A terme, un million d’hectares seront réservés à cette filière. Un premier contrat a déjà été signé le 28 octobre 2024, en présence du roi Mohammed VI et du président français Emmanuel Macron, avec un consortium européen. « Nous avons finalisé la phase de préfaisabilité et lancé la deuxième étape avec ce consortium », précise Hamedoun.

Les dessous de la carte

Pour transformer cette ambition en modèle durable, il manque encore plusieurs pièces :

  • des infrastructures électriques capables de relier le Sud au Nord,
  • des partenaires industriels capables de fabriquer localement les équipements,
  • et surtout, une ingénierie nationale spécialisée dans l’hydrogène et ses dérivés.

Vidéo © Ayoub Jouadi / LeBrief

Direction Dakhla

Avant d’y atterrir, les images qui viennent en tête à tout un chacun sont celles du kitesurf et de lagune turquoise. A l’arrivée, ce n’est pas tout à fait ça. Dakhla est un chantier touristique, certes, mais pas encore une destination mature. Si l’on parle exclusivement de kitesurf et autres types d’activités, alors oui, c’est LA destination parfaite. Depuis 2015, la ville concentre 52% des arrivées et des recettes touristiques des provinces du Sud.  « Dakhla est un modèle d’équilibre entre attractivité et durabilité », assure Imad Barrakad, directeur général de la Société marocaine d’ingénierie touristique (SMIT).

La stratégie, selon lui, repose sur un tourisme qui intégrera sport, nature, bien-être, culture et inclusion sociale. Steven Daines, membre du Comex de Accor, confirme la logique « Le tourisme doit être un moteur d’intégration locale. Ce n’est pas qu’un business d’hôtels, c’est un écosystème de formation, d’artisanat et d’emploi féminin ». Et les chiffres lui donnent raison, puisque dans le tourisme marocain, plus de la moitié des salariés sont des femmes et 20% ont moins de 25 ans. Dakhla, avec ses écoles hôtelières et ses centres de formation, attire une jeunesse locale souvent exclue du marché formel.

Mais le secteur doit éviter l’erreur de certaines stations balnéaires du Nord en surconstruisant, en bétonnant, oubliant, au passage, la culture locale. Dakhla doit rester Dakhla et ne pas devenir Tanger.

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