Chèques-vacances : des années de promesses, 0 départ
Les vacances, au Maroc, restent un privilège à crédit… ça, c’est dit et établi ! Les familles entassées dans les trains d’été, les voitures surchargées direction la maison des cousins, ou mieux encore, celles qui restent à la maison en scrollant des plages sur Instagram. C’est un fait, les Marocains ont des congés, mais pas de vacances.
Donc c’est pour casser ce cercle vicieux vacances = dettes que les chèques‑vacances ont été inventés… ailleurs. En France, on en distribue à des millions de salariés. Une épargne volontaire doublée par l’employeur, exonérée d’impôts, qui permet de s’offrir enfin un hôtel, une chambre d’hôtes, ou même un camping, sans se ruiner ni s’endetter ! Au Maroc, l’idée a germé il y a plus de dix ans. Fouzi Zemrani, ex‑président du Conseil régional du Tourisme de Marrakech, et auteur du blog Blogtrotter, en a fait son cheval de bataille dès 2012. Il voulait alors transformer la fourmi marocaine en vacancier heureux, sans passer par la case « banque rapace ».
Dans les dossiers administratifs, il y avait tout, l’idée, le plan d’action, la mise en place… Le salarié dépose chaque mois un peu d’argent, l’employeur abonde à hauteur équivalente et le tout est dépensé dans des hôtels, riads ou agences de voyage formelles. Un dispositif dit vertueux qui oblige l’informel à se déclarer et qui fait rentrer la TVA à l’Etat sans lui coûter une fortune. Les allocations familiales, misérables au quotidien, pouvaient même s’y ajouter pour former un pécule annuel. Mieux encore, la loi de finances rectificative de 2020 avait prévu une exonération fiscale pour ces chèques. Tout semblait prêt pour que la machine démarre.
Mais la machine n’a jamais quitté le hangar. Les décrets d’application n’ont jamais été publiés. En 2023, Fatim‑Zahra Ammor annonçait un lancement dès 2024… Silence radio depuis. Les salariés attendent et les hôteliers continuent de compter sur les touristes étrangers pour survivre.
La promesse envolée
Laissez-nous vous raconter un petit chef-d’œuvre d’auto-sabotage. L’idée est simple, populaire, rentable pour tout le monde et elle fait une longue sieste depuis plus de dix ans. On aime les décrets bien reposés chez nous. Ailleurs, la France fait partir ses ouvriers à la mer depuis 1982, l’Espagne a décliné le concept, même la Suisse s’y est attablée. Au Maroc, on préfère bricoler des plateformes comme « Kounouz Biladi », où l’on propose des promotions introuvables sur le terrain, pendant que l’épargne‑vacances attend son décret comme un prisonnier son jugement.
Chaque été, c’est la même histoire. Les Marocains s’entassent dans les plages déjà saturées, rognent sur leur budget alimentation, ou renoncent carrément à bouger ! La boucle est bouclée, un pays touristique qui n’arrive pas à faire partir ses propres habitants en vacances. Les chèques‑vacances étaient censés casser cette logique, redonner souffle au tourisme interne et faire de la famille marocaine autre chose qu’un spectateur de son propre pays.
Fouzi Zemrani nous explique qu’il porta le premier le concept à l’attention des pouvoirs publics, inspiré du modèle français et suisse, en 2012. Il proposa une formule tripartite intégrant salarié, employeur et État, alimentant une cagnotte vacances annuelle de 3.000 dirhams minimum selon les charges familiales.
L’idée était très simple. Il s’agissait en fait d’une épargne salariale volontaire, associée à un abondement patronal (entre 50 et 80%), éventuellement soutenue par l’Etat. Ces fonds ne seraient utilisables qu’auprès d’hébergeurs déclarés, réorientant la dépense touristique vers le formel tout en augmentant le pouvoir d’achat des travailleurs modestes.
En juillet 2020, le groupe parlementaire du Parti de l’Istiqlal déposa une proposition de loi instituant les chèques‑vacances. Le texte prévoyait l’introduction de cartes prépayées dédiées aux voyages nationaux, avec exonérations fiscales (IR, charges sociales) pour employeurs et salariés. Le financement se ferait sur base volontaire, avec l’éducation du secteur public (20-50% d’abondement) et du privé (50-80%).
Quelques semaines plus tard, la loi de finances rectificative 2020 incorpora un amendement avalisant la défiscalisation des chèques‑vacances. Jamais depuis cette date, l’administration n’a publié de dispositions concrètes.
En avril 2018, le ministre Lahcen Haddad mentionnait les chèques‑vacances comme prochaine grande mesure pour relancer le tourisme interne. Il vantait un soutien des employeurs et de l’État, vantait une mesure « à moindre coût » mais à fort impact. Il soulignait alors que le secteur touristique national stagnait autour de 25-28% de parts de marché dans les nuitées, malgré le portail gouvernemental Kounouz Biladi, jugé inefficace par certains professionnels.
En 2023, la ministre du Tourisme Fatim‑Zahra Ammor affirmait publiquement que le dispositif était dans les « toutes dernières réflexions » et prévu dans la loi de finances 2024. Mais les mois passèrent. Le Projet de loi de finances 2024 fut présenté sans aucune mention des chèques‑vacances.
La Cour des comptes, dans son rapport de décembre 2022, dégaina le verdict que le projet, adopté sur le plan légal, n’a toujours pas de cadre technique, ni d’organisme chargé, ni de décrets. Trois ans après l’amendement, et plus de dix ans après l’idée de base, rien n’a bougé !
Inspirations
Pour saisir la genèse, il faut tourner les yeux vers l’étranger. Le modèle français remonte à 1982, porté par le ministre du Temps libre André Henry. Une idée née d’un rapport syndical en 1971, inspirée de l’expérience suisse REKA des années 1939-1968. Cette dernière avait testé une épargne collective destinée aux voyages dans des régions peu fréquentées, servant de base au système français.
En France, le dispositif a pris de l’ampleur avec des millions de bénéficiaires chaque année, une institution dédiée (l’ANCV) et une logique sociale et économique cohérente. Fouzi Zemrani et certains parlementaires marocains ont voulu importer ce modèle, en l’adaptant au contexte local avec un minimum de 3.000 dirhams pour un actif marié ayant deux enfants, un contrôle CNSS/CNOPS, une gestion potentiellement en collaboration avec la CGEM ou des agences sociales formelles. Cette coalition s’est dessinée… mais n’a jamais fonctionné. D’un côté la profession (FNVAM, agences de voyages, hôteliers), de l’autre l’Etat (ministère du Tourisme, Finances) et un tiers patronal (CGEM).
Zemrani nous a confirmé que le dossier avait reçu l’aval moral du ministère du Tourisme et de la CGEM dès 2016, avec l’idée d’un partenariat public‑privé. En 2020, le groupe Istiqlal réclamait la même synergie, à savoir employeur + employé + État, avec des exonérations fiscales, pour créer un flux touristique interne très puissant.
Mais au lieu de cela, aucune structure opérationnelle n’a émergé.
Un cadre légal vide, dénoncé par la Cour des comptes
La principale problématique au projet des chèques‑vacances est une loi sans son décret. L’article 57 du Code général des impôts prévoit bien une exonération fiscale pour les chèques‑vacances, mais les textes techniques fixant les bénéficiaires, le mécanisme de contrôle ou l’opérateur chargé n’ont jamais vu le jour.
La Cour des comptes, dans son rapport couvrant 2022‑2023, a confirmé que le projet a été adopté légalement, mais qu’il stagne en l’absence de décret d’application. Elle recommande de revoir entièrement la gouvernance du tourisme interne, en créant une direction centrale dédiée à ce chantier, capable de piloter les initiatives comme celle-ci, plutôt que de laisser les ministères se renvoyer la balle. Mais… cette recommandation attend toujours d’être mise en œuvre.
La ministre du Tourisme, Fatim‑Zahra Ammor, promettait en mai 2023 un lancement « dès 2024 ». Mais en août 2023, le gouvernement Akhannouch a dessaisi le dossier au profit des priorités sociales (éducation, santé), jugeant les chèques‑vacances. Et voilà le dispositif rangé au placard.
Il faut dire que le contexte actuel n’est pas des plus fleuris avec le déficit sur les retraites, la reconstruction post-sismique (qui dure !), les grands chantiers sportifs (CAN 2025, Mondial 2030) et les crises climatiques. Ces urgences absorbent les marges budgétaires et c’est sûr que les chèques‑vacances paraissent assez secondaires dans cet ordre de priorités.
Pourtant, le problème persiste. L’offre touristique accessible est trop chère, c’est un fait ! Le ticket moyen des hôtels classés reste hors de portée pour de nombreuses familles marocaines, surtout en période inflationniste de flambée des prix alimentaires ou de carburant.
Et même si la corruption n’est pas explicitement citée dans les dossiers du tourisme, le climat actuel est toujours celui des pratiques opaques dans les marchés publics ou la gestion des subventions. L’Instance nationale de prévention de la corruption note que 72% des citoyens et 68% des entreprises reconnaissent l’ampleur du problème selon l’enquête 2022. Dans un tel contexte, lancer un dispositif financier qui obligerait à davantage de transparence… cela pourrait expliquer pourquoi certains préfèrent laisser ce dossier dormir.
La feuille de route 2023‑2026
Rien à dire, en termes de tourisme, tout le reste est relativement bon. Les chiffres sont au vert et nombreux sont les touristes externes à se dorer la pilule sur les plages marocaines.
Pour les internes, l’unique clef pour allumer concrètement la machine est d’abord de publier les décrets d’application de l’article 57 du CGI. Ils doivent définir les bénéficiaires (sectoriels, publics/privés), les modalités d’abondement, l’organisme gestionnaire (caisse dédiée ou canal ANAPEC) ainsi que l’interface numérique de suivi. À défaut de cela, rien n’avancera.
Mais Zemrani insiste, une carte n’est utile que si les hôtels et services sont accessibles. Un rapport de la Chambre des conseillers pointe la cherté des offres et la concentration sur quelques villes, laissant le tourisme national out of office. Des projets initiés par la SMIT, ouvrant de nouvelles implantations et initiant des hébergements économiques, pourraient fournir la pièce indispensable pour que les chèques-vacances ne restent pas lettre morte. La création d’hôtels 3 étoiles, appart-hôtels ou clubs à tarifs plus bas est au centre des propositions.
Avant un déploiement massif, des projets tests pourraient être lancés dans une ou deux régions éloignées afin de constater les comportements de consommation et premiers résultats, impliquant des entreprises volontaires, des agents de voyages et des établissements hôteliers. Une phase pilote permettrait de mesurer l’impact sur la demande, d’ajuster les taux d’abondement patronal (50-80%, rappelons-le) et de rédiger un cahier des charges nationalisé à partir des expériences terrain.
Et si on arrêtait de faire partir tout le monde en vacances en même temps ? Face aux embouteillages monstres de la haute saison, aux hôtels qui affichent complet ou qui doublent leurs tarifs à la moindre accalmie, Fouzi Zemrani propose d’adapter le calendrier des vacances scolaires aux réalités régionales. En clair, décaler les périodes de congés selon les zones du pays. Un peu comme en France avec ses zones A, B et C. Pourquoi pas au Maroc ? Cela permettra de lisser la fréquentation touristique sur l’année, permettre aux Marocains de profiter de leur pays dans de meilleures conditions, désaturer les hotspots estivaux et sauver les nerfs des hôteliers qui voient les pics d’activité succéder aux longues périodes de vaches maigres. Cette régionalisation du calendrier pourrait aussi avoir des vertus économiques avec un tourisme plus constant, des emplois mieux maintenus sur l’année, des établissements qui tournent sans passer par la case « fermeture temporaire » et des prix qui, peut-être, pourraient éviter l’inflation saisonnière. Eviter les embouteillages des vacances ?