Travail des enfants en Afrique : un combat urgent face à une croissance démographique implacable

Alors que le monde célèbre les progrès accomplis dans la réduction du travail des enfants, l’Afrique subsaharienne reste confrontée à une réalité particulièrement préoccupante : près de 87 millions d’enfants y sont encore engagés dans des activités économiques, souvent au détriment de leur santé, de leur éducation et de leur avenir. Ce chiffre représente près des deux tiers des enfants en situation de travail dans le monde, selon le rapport conjoint 2024 de l’OIT et de l’UNICEF. La région affiche également le taux de prévalence le plus élevé au monde, avec 22 % des enfants âgés de 5 à 17 ans concernés, soit près de trois fois la moyenne mondiale, qui s’établit à 7,8%.
Une baisse relative, un chiffre absolu figé
Si l’Afrique subsaharienne a enregistré une baisse de 10 % du taux de prévalence depuis 2020, revenant au niveau de 2012, cette amélioration reste en trompe-l’œil. En effet, en raison de la croissance rapide de sa population infantile, le nombre absolu d’enfants travailleurs est resté stable au cours des quatre dernières années.
Ce paradoxe illustre l’un des plus grands défis de la région : le dynamisme démographique. Entre 2024 et 2050, il faudra créer environ 80 millions de places scolaires supplémentaires rien qu’au niveau primaire, afin de suivre le rythme de l’accroissement du nombre d’enfants. Sans une expansion massive de l’accès à l’éducation et aux services sociaux, le risque est grand que les progrès actuels s’enlisent.
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En Afrique subsaharienne, 70% des enfants en situation de travail œuvrent dans l’agriculture. Le plus souvent, il s’agit de tâches réalisées dans le cadre de l’économie familiale de subsistance ou sur de petites exploitations agricoles. Les autres secteurs, tels que les services ou l’industrie, sont beaucoup moins représentés, contrairement à d’autres régions du monde.
Les jeunes enfants, notamment ceux âgés de 5 à 11 ans, sont surreprésentés. En Afrique, plus des deux tiers des enfants travailleurs ont moins de 12 ans. Ce chiffre est particulièrement alarmant, car il reflète un engagement précoce dans des tâches pouvant nuire gravement au développement physique et psychologique.
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Un frein majeur à la scolarisation
Le travail des enfants va de pair avec une non-scolarisation massive. En Afrique subsaharienne, près de la moitié des enfants travailleurs ne vont pas à l’école, et ce chiffre grimpe à 61% pour ceux engagés dans des travaux dangereux. Les adolescents âgés de 15 à 17 ans sont encore plus touchés, avec 59% d’entre eux ne fréquentant aucun établissement scolaire.
Même lorsque les enfants parviennent à concilier travail et école, l’impact sur leurs apprentissages est tangible. Les données montrent qu’ils sont 30% moins susceptibles de maîtriser les compétences de base en lecture et en calcul que leurs pairs non travailleurs.
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Parmi les 87 millions d’enfants concernés en Afrique, une proportion inquiétante exerce des activités dangereuses. À l’échelle mondiale, 54 millions d’enfants sont exposés à des travaux considérés comme dangereux, notamment en raison de longues heures de travail, de l’exposition à des produits chimiques ou au port de charges lourdes. Une part importante de ces enfants se trouve en Afrique.
Dans le secteur industriel, plus de 60% du travail des enfants est jugé dangereux, contre 48% dans les services et environ un tiers dans l’agriculture. Or, l’absence de données complètes empêche souvent de mesurer toute l’étendue des formes les plus graves de travail des enfants, telles que la traite, l’exploitation sexuelle ou l’utilisation dans des conflits armés, qui restent sous-déclarées.
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Des causes structurelles profondes
Le rapport souligne les liens étroits entre pauvreté, conflits, fragilité institutionnelle et travail des enfants. Dans les pays en situation de conflit, le taux de travail des enfants atteint 21%, contre seulement 5 % dans les pays stables. Même sans guerre, les États fragiles affichent une prévalence de 16%.
La pauvreté est également un facteur clé. En Afrique, près d’un enfant sur quatre est concerné par le travail des enfants, contre moins de 1% dans les pays à revenu élevé. Or, l’Afrique subsaharienne reste la région la plus pauvre du monde, malgré une réduction de 20% du taux de pauvreté depuis 2008.
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Face à ces constats, l’éducation et la protection sociale apparaissent comme les leviers les plus efficaces. Pourtant, les taux d’achèvement de l’école primaire en Afrique subsaharienne restent très bas : près de 30% des enfants n’achèvent pas le cycle primaire, contre moins de 6% dans d’autres régions.
La couverture des régimes de protection sociale pour les enfants est elle aussi très faible, malgré une légère amélioration. En 2023, à peine un enfant sur dix en Afrique bénéficiait d’une couverture, alors que l’ONU plaide en faveur d’une couverture universelle.
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Une opportunité démographique à saisir
À moyen terme, l’Afrique pourrait transformer ce défi en atout. La transition démographique en cours devrait accroître la part des adultes dans la population. Si cette main-d’œuvre potentielle est soutenue par des investissements dans l’éducation et l’emploi décent, le continent pourrait bénéficier d’un dividende démographique, moteur de croissance susceptible de réduire durablement le travail des enfants.
Mais cela suppose un changement d’échelle. Le rapport affirme qu’au rythme actuel, l’élimination du travail des enfants en Afrique ne serait pas atteinte avant 2060. Pour y parvenir d’ici à 2045, il faudrait multiplier par sept le rythme actuel des progrès.
L’Afrique subsaharienne se trouve à la croisée des chemins. Malgré des efforts louables et quelques progrès notables, la persistance du travail des enfants illustre l’ampleur des défis sociaux, économiques et institutionnels à relever. À l’heure où le monde entre dans la dernière phase des Objectifs de développement durable, l’accélération de la lutte contre le travail des enfants en Afrique n’est pas seulement une priorité régionale, mais un impératif mondial.