Pourquoi le Sahel est devenu l’épicentre mondial du terrorisme en 2025 ?

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Sahel : pourquoi la région concentre-t-elle désormais plus de la moitié des morts liés au terrorisme mondial ?Un groupe terroriste au Sahel © AFP
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Selon une étude du Dr. El Mostafa Rezrazi, Senior Fellow au Policy Center for the New South, la région du Sahel concentre en 2025 plus de la moitié des décès liés au terrorisme dans le monde. L’effritement des États, la reconfiguration des alliances terroristes et le retrait des forces étrangères y redéfinissent les équilibres sécuritaires.

L’étude du Dr El Mostafa Rezrazi, intitulée « Les trajectoires de la production de la violence politique au Sahel : de la fragilité structurelle à la centralité du terrorisme mondial », publiée en octobre 2025 par le Policy Center for the New South, examine en profondeur les mutations sécuritaires, politiques et géopolitiques de la région.

Selon cette recherche, le Sahel connaît une « transformation majeure » : il est passé d’un espace périphérique marqué par la fragilité chronique à un foyer central de violence mondiale, concentrant à lui seul 53% des décès liés au terrorisme au premier semestre 2025.

Cette situation résulte, selon Dr Rezrazi, de plusieurs dynamiques combinées : la désagrégation des institutions étatiques, la succession de coups d’État militaires, le retrait progressif des acteurs occidentaux et l’affirmation de nouvelles puissances, notamment la Russie et la Chine.

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Une reconfiguration de la carte mondiale du terrorisme

L’étude souligne qu’entre janvier et juillet 2025, le Sahel a enregistré 4.030 morts sur un total mondial de 7.610 décès liés au terrorisme, soit plus de la moitié des victimes à l’échelle planétaire. Cette concentration illustre un basculement historique : le centre de gravité du terrorisme s’est déplacé du Moyen-Orient vers l’Afrique subsaharienne.

Selon Dr Rezrazi, cette « exception sahélienne » s’explique par l’effondrement progressif des structures de sécurité et de gouvernance au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Le retrait des forces étrangères, notamment françaises, a créé un vide rapidement exploité par les groupes armés.

Les deux principales organisations terroristes actives dans la région, la Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM, affiliée à Al-Qaïda) et Daech, ont consolidé leur présence et élargi leurs zones d’influence.

L’étude souligne également l’accroissement de la présence russe, via une nouvelle structure appelée Corps africain, chargée de missions de formation et de soutien, sans lien direct avec le groupe Wagner. Parallèlement, les transitions militaires engagées depuis 2020 ont redéfini la relation entre l’armée, l’État et la société, ouvrant un cycle politique centré sur la quête de stabilité et de légitimité nationale.

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Des dynamiques de violence en extension

Selon l’étude du Policy Center, l’année 2025 se distingue par une montée de la violence et une expansion géographique de ses foyers.

Le Burkina Faso, le Niger et le Mali enregistrent les bilans humains les plus lourds : plus de 1.680 morts au Burkina, 1.102 au Niger et 645 au Mali. Mais le phénomène dépasse désormais ces pays : le nord du Togo a connu 14 attaques en sept mois, causant 60 décès, un signal d’alarme pour les zones côtières de l’Afrique de l’Ouest.

L’étude souligne également l’émergence de nouvelles formes de violence. Les femmes et les filles sont de plus en plus instrumentalisées par les groupes armés pour déstabiliser la société. Selon les données citées par Dr Rezrazi, plus d’un million de jeunes filles ont été privées d’accès à l’éducation au Niger, au Mali et au Burkina Faso.

Le groupe Boko Haram, bien qu’affaibli, poursuit des attaques symboliques au Nigeria, conservant une capacité de nuisance significative.

Des alliances terroristes en recomposition

Dr Rezrazi observe qu’à partir de 2024, les organisations terroristes sahéliennes ont entamé une profonde reconfiguration interne.

Le JNIM a étendu son influence vers le Tchad et le Niger, en adaptant son discours à chaque contexte local pour légitimer sa présence.

De son côté, Daech, près du Sahel, a adopté une stratégie dite de « basse intensité, haute efficacité », reposant sur des raids éclairs à moto et l’usage croissant de drones légers.

L’étude souligne également la montée des tensions internes : la faction d’Amadou Koufa, active dans le centre du Mali, s’est opposée à d’autres groupes armés impliqués dans le trafic d’armes et de stupéfiants. Cette dynamique a donné naissance à ce que le chercheur décrit comme une « économie de la violence », où le terrorisme devient à la fois source de revenus et moyen de reproduction sociale.

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Un environnement régional fragilisé

L’étude du Policy Center met en évidence le désengagement progressif des puissances occidentales. La France a fermé ses principales bases militaires au Sahel, et les États-Unis ont réduit leurs programmes d’aide et de formation, notamment en fermant la base d’Agadez au Niger.

En parallèle, la Chine a renforcé ses investissements dans les métaux rares et ouvert son marché à 53 pays africains exemptés de droits de douane. La Russie, quant à elle, a intensifié sa coopération sécuritaire à travers le Corps africain, présent au Mali et au Niger.

Mais, selon Dr Rezrazi, ces redéploiements ne compensent pas la faiblesse de l’architecture régionale de sécurité. Le cadre du G5 Sahel s’est effondré après le retrait du Mali, et la Force africaine en attente reste incapable d’opérer efficacement sur le terrain. Cette situation accroît la vulnérabilité du Sahel, devenu un espace de compétition entre puissances sans coordination stratégique claire.

Trois scénarios pour l’horizon 2027

L’étude du Dr. Rezrazi propose trois trajectoires possibles pour la région à moyen terme :

Scénario 1 : l’explosion régionale.

La violence s’étendrait vers les pays côtiers (Bénin, Côte d’Ivoire, Ghana) sous l’effet combiné du vide sécuritaire et de la persistance des crises politiques.

Scénario 2 : le conflit gelé.

La situation se stabiliserait sans réelle amélioration, les régimes militaires consolidant leur pouvoir, tandis que les institutions civiles resteraient marginalisées.

Scénario 3 : les solutions hybrides.

Ce scénario, jugé le plus durable, associerait politiques de sécurité et programmes de développement, portés par des partenariats régionaux et internationaux plus inclusifs, impliquant notamment la Chine, les États du Golfe et le Japon.

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L’Initiative atlantique du Maroc : une approche intégrée

Dans la dernière partie de son étude, Dr El Mostafa Rezrazi met en avant l’Initiative atlantique du Maroc comme un modèle de coopération régionale combinant économie et sécurité.

Selon lui, cette initiative vise à rompre l’isolement structurel des pays sahéliens en leur donnant un accès direct à l’océan Atlantique. Elle s’appuie sur des projets de ports transfrontaliers, de corridors logistiques et d’investissements dans l’économie bleue, l’énergie et l’agriculture durable.

Le chercheur identifie deux dimensions principales :

  • Sécuritaire, fondée sur l’expérience marocaine en matière de lutte contre l’extrémisme et de prévention du terrorisme.
  • Développement, visant à corriger les vulnérabilités structurelles qui alimentent la radicalisation.

Dr Rezrazi souligne que le succès de cette initiative dépendra de la levée des blocages politiques, notamment entre les pays de la région, et du maintien de son caractère africain, souverain et collectif, garant de sa durabilité.

Selon l’étude, le Sahel traverse une période de recomposition profonde, marquée par des crises politiques, des redéploiements géopolitiques et des mutations terroristes. L’auteur appelle à repenser les stratégies internationales dans la région en plaçant les dimensions sociales et économiques au cœur des politiques de sécurité.

La multiplication des foyers de violence et la fragilisation des États font du Sahel un enjeu mondial. Mais à travers des initiatives régionales comme celle du Maroc, l’étude estime que des solutions africaines, fondées sur la coopération et le développement, peuvent transformer cette zone d’instabilité en un espace d’intégration et de résilience.

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