Pourquoi l’Afrique doit financer son propre développement

Alors que l’aide publique au développement (APD) destinée à l’Afrique est en net déclin, le continent se retrouve confronté à un impératif stratégique : financer lui-même son développement. En dix ans, la part de l’Afrique dans l’APD mondiale a chuté de 11 points de pourcentage. Aujourd’hui, cette aide ne compense même plus les pertes annuelles liées aux fuites de capitaux, estimées à 90 milliards de dollars. Or, les besoins de financement du continent pour soutenir sa croissance sont immenses : entre 1,6 et 1,9 billion de dollars par an.
C’est dans ce contexte que la Fondation Mo Ibrahim a publié, ce 1er juin à Marrakech, en marge du forum Ibrahim Governance Weekend (IGW), son rapport Faits & Chiffres 2025 « Financer l’Afrique que nous voulons ». Le document souligne la nécessité pour l’Afrique de repenser ses mécanismes de financement et d’exploiter pleinement son potentiel interne, alors que les mécanismes traditionnels d’aide internationale et de financement climatique ne répondent plus à ses besoins.
Le Maroc, un exemple de mobilisation des ressources africaines
Le rapport met en lumière l’exemple du Maroc, qui illustre le potentiel africain encore sous-exploité. Le pays détient 67,6% des réserves mondiales de phosphate, la quatrième plus grande capacité éolienne du continent et 11,8% des transferts de fonds envoyés vers l’Afrique. Il est aussi le quatrième exportateur africain de produits alimentaires, et ses 20 principales entreprises à vocation continentale génèrent chacune plus d’un milliard de dollars par an.
À l’échelle continentale, les ressources sont abondantes, mais mal mobilisées. Le taux de pression fiscale en Afrique ne représente que 16% du PIB, contre une moyenne de 34% dans les pays de l’OCDE. De plus, environ 55 milliards de dollars sont perdus chaque année à cause d’exonérations fiscales souvent inefficaces. Pourtant, les ressources financières existent : les fonds souverains africains atteignent 130 milliards de dollars, et les fonds de pension s’élèvent à 220 milliards, concentrés principalement en Afrique du Sud et au Nigeria. Les transferts de fonds de la diaspora représentent également environ 90 milliards de dollars par an, soit jusqu’à 20% du PIB pour certains pays.
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Le potentiel naturel de l’Afrique reste également largement inexploité. Moins de 0,01% de son potentiel éolien est utilisé, et 98% de ses côtes demeurent inexplorées pour la pêche. Le continent possède plus de 50% des réserves mondiales de cobalt, de phosphate et de chrome, essentiels à la transition énergétique mondiale. Pourtant, une part importante de la production alimentaire (jusqu’à 50%) est gaspillée faute d’infrastructures adaptées. D’où l’urgence d’investir dans les transports, la logistique et la transformation agroalimentaire.
Le rapport plaide pour une refonte des partenariats extérieurs et une autonomie accrue. Il invite les États africains à mobiliser davantage de ressources fiscales internes, à orienter les fonds souverains et les fonds de pension vers des investissements nationaux, à valoriser leur patrimoine naturel (ressources minières, carbone, biodiversité), et à endiguer les flux financiers illicites.
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En matière de financement climatique, le constat est tout aussi préoccupant : l’Afrique ne capte que 3% des financements mondiaux, un niveau jugé largement insuffisant. Le système multilatéral de financement est critiqué pour son inadéquation face aux besoins spécifiques de l’Afrique, en particulier en matière de financements concessionnels et de long terme.
Le rapport rappelle que l’Afrique détient un atout majeur : sa jeunesse. D’ici à 2100, 44% des jeunes du monde vivront en Afrique. Ce capital humain pourrait devenir une force décisive, à condition d’investir massivement dans l’éducation, la formation et l’emploi. La vision de l’Union africaine pour 2063 fixe d’ailleurs un objectif ambitieux : que 75 à 90% des ressources nécessaires au développement du continent soient mobilisées localement.
L’Afrique ne manque ni de ressources ni de volonté. Mais face à l’effondrement des structures traditionnelles d’aide, elle doit activer ses propres leviers pour atteindre la souveraineté financière et construire un avenir à la hauteur de son potentiel.