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Dette africaine : les marchés retiennent leur souffle

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Nous ne sommes pas encore dans une nouvelle crise de la dette, mais la situation de nombreux pays reste tendue. La Zambie, puis le Ghana, jadis bon élève des organisations internationales, a fait défaut le mois dernier. Pas loin de là, le Nigéria est au bord de l’abîme. Décryptage de Ludovic SUBRAN, chef économiste du groupe Allianz.

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Abashi Shamamba pour Lebrief : La hausse des taux obligataires accroît le risque d’insolvabilité de plusieurs pays africains dont le Ghana, le Nigeria, la Zambie et le Congo-Brazzaville. Est-ce une énième crise de la dette en Afrique et quelle évolution voyez-vous du risque souverain dans la région ?

Ludovic SUBRAN : Beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest étaient déjà très endettés avant la crise du Covid. Le Nigeria, le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Sénégal faisaient partie de ceux dont le ratio dette/PIB était supérieur à 100 %. Le Ghana a consacré 2,2 milliards de dollars au service de la dette extérieure en 2021, soit l’équivalent de 15 % des recettes budgétaires. Le renforcement du dollar et de l’euro a compliqué les choses. À cela s’ajoute une inflation mordante exacerbée par la guerre en Ukraine.

Au Nigeria, où la collecte d’impôts représente environ 6% du PIB, la dette est un sujet particulièrement sensible. La ministre des Finances a tiré la sonnette d’alarme lorsqu’elle a annoncé que le coût du service de la dette était supérieur aux revenus du pays. Alors que le Nigeria est assis sur d’énormes réserves de pétrole et de gaz, le pays n’a pas bénéficié de la récente hausse des prix du pétrole, car il n’a pas de capacité de raffinage de l’essence, de sorte que les importations d’essence raffinée ont annulé tout gain.

La moindre croissance aux États-Unis et en Europe, des conditions de financement très tendues, et des risques propres à chaque pays accentuent le risque de défaut avec un calendrier de remboursement particulièrement dangereux. Les risques d’accident (dette cachées, tensions chez les créanciers, échec des programmes d’appui) sont importants.

 

A.S.  : Comment cette dégradation du risque pays impacte-t-elle la prime de risque de ces pays ?

L.S. : La fin de l’année 2022 a été marquée par une hausse des coûts de financement des émissions obligataires. Depuis le début de l’année 2023, les taux se sont stabilisés dans de nombreux pays, y compris dans les grandes économies d’Afrique subsaharienne, mais restent néanmoins à des niveaux élevés. Les principales exceptions à cette tendance sont actuellement l’Égypte et, à un niveau moindre, le Kenya, où une certaine nervosité subsiste.

 

A.S. : Les professionnels de marché anticipent une consolidation de l’Euro face au Dollar. Partagez-vous cet avis et quelle serait l’incidence de la remontée de la devise européenne sur les économies de la zone CFA ?

L.S. : Les gains de l’euro pourraient se poursuivre au cours du premier semestre 2023, sous l’effet, des hausses de taux de la BCE et du ralentissement de l’économie américaine alors que l’économie européenne fait preuve de résilience. Les inquiétudes concernant l’approvisionnement en énergie et en gaz naturel et les craintes de récession pourraient revenir au premier plan au second semestre et peser sur la paire de devises. Les termes de l’échange restent dégradés pour l’Europe. La facture à l’import de la zone CFA bénéficiera mécaniquement d’un euro plus fort.

 

A.S. : Au Maghreb, la Tunisie suscite l’inquiétude des marchés financiers. Quelle est l’appréciation d’Allianz sur ce pays ?

L.S. : Les élections parlementaires tunisiennes n’ont attiré que 11 % des électeurs en décembre. Bien que le gouvernement soit critiqué pour son manque de pluralisme, la baisse de légitimité pourrait être de plus en plus motivée par son incapacité à résoudre la crise économique. Les négociations avec le FMI ont été reportées et les discussions futures nécessiteront une sorte de compromis entre le président Saïed, les autres forces politiques et l’Union générale tunisienne du travail. Les marchés ne sont pas optimistes quant à la possibilité d’y parvenir. Nous misons sur l’approbation du programme du FMI en mars, ce qui devrait empêcher la Tunisie de tomber dans une crise plus profonde et éviter les défauts de paiement. Cependant, les tensions sont profondément enracinées et resteront tangibles tout au long de l’année, tandis que la dette publique pourrait dépasser 90 % du PIB.

 

A.S. : Pensez-vous que l’inflation soit entrée dans une phase de ralentissement, voire de baisse ? Quel impact cela peut-il avoir sur les taux et quelles sont les prévisions d’Allianz ?

L.S. : Bien sûr. L’inflation a déjà ralenti très fortement aux États-Unis et en Europe, soit grâce à la détermination des banques centrales, soit à cause du ralentissement de la croissance, soit aussi à cause de certains subterfuges, dont le contrôle des prix. Même si la magnitude du choc d’inflation nous a tous surpris, comme nous l’avons d’ailleurs été par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les politiques publiques se sont mis en marche pour réduire l’inflation coûte que coûte. En 2023, nous aurons quand même toujours beaucoup trop d’inflation : celle-ci sera au-dessus de 5% en moyenne et le risque de rebond existe avec la réouverture chinoise et la volatilité des prix de l’énergie. Mais dès 2024, nous aurons retrouvé un régime d’inflation sous contrôle même si on devrait observer un peu d’inflation résiduelle due à la fragmentation du monde, et à la décarbonation. Les taux d’intérêts vont continuer d’augmenter jusqu’au milieu de l’année et se stabiliser à un niveau élevé (plus de 5% aux Etats Unis et 3,5% en Europe) avant de redescendre d’un point fin-2023 ou début 2024. C’est la fin des taux zéros et le retour d’une gestion monétaire au cordeau.

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