VIH : l’Afrique se relève et réinvente la lutte dans un contexte mondial en rupture
L’année 2025 aurait pu être celle d’une accélération vers l’objectif fixé pour 2030 : mettre fin au sida comme menace de santé publique. Les avancées des dernières années avaient laissé espérer un tournant décisif. Pourtant, en quelques mois, un retrait brutal des principaux financements internationaux a profondément bouleversé la lutte contre le VIH. Le nouveau rapport intitulé « Surmonter les perturbations, transformer la riposte au sida » décrit une rupture systémique qui remet en cause les acquis de plus de quinze ans de lutte.
Si l’impact est mondial, l’Afrique est la région la plus exposée. La dépendance historique aux bailleurs extérieurs, combinée à des législations de plus en plus restrictives dans plusieurs pays et à un contexte économique déjà fragilisé, a transformé la crise financière en crise sanitaire généralisée. Dans ce tourbillon, les services de prévention, de dépistage, de traitement et d’accompagnement ont été interrompus ou fortement réduits, touchant d’abord les populations les plus vulnérables.
Pourtant, derrière la gravité de la situation, le rapport met également en évidence une Afrique qui refuse de se résigner. Une Afrique qui accélère sa transformation, renforce ses capacités locales et réclame davantage de souveraineté sanitaire. Une Afrique qui, en ce 1er décembre, réclame une nouvelle place dans la lutte mondiale contre le sida.
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Le choc du retrait financier : l’Afrique au centre de la tempête
L’impact du retrait du principal bailleur international a été immédiat. Dans plusieurs pays africains, des cliniques ont fermé du jour au lendemain, des services de dépistage ont cessé leurs activités, les livraisons de médicaments ont été retardées ou annulées, et les organisations communautaires ont perdu la majorité de leurs ressources. Dans certaines zones rurales, les populations se sont retrouvées sans aucun point de contact pour la prévention ou le traitement du VIH.
L’Afrique de l’Ouest et du Centre illustre particulièrement l’ampleur de la dépendance financière. Dans cette région, la quasi-totalité des services de laboratoire et une large part des traitements antirétroviraux dépendaient d’aides extérieures. La réduction de ces budgets a provoqué une rupture immédiate du fonctionnement des systèmes de santé liés au VIH. Plusieurs pays ont signalé une baisse massive du nombre de dépistages, et des centaines de milliers de personnes ont vu leur accès régulier aux médicaments menacé.
Les programmes les plus touchés ont été ceux destinés aux populations décisives, souvent financés presque exclusivement par des bailleurs internationaux. La disparition de ces fonds a entraîné la fermeture d’espaces considérés comme essentiels pour les personnes LGBTQ+, les travailleuses du sexe, les jeunes vivant dans des zones à forte prévalence ou encore les migrants. Dans certaines villes, les communautés concernées affirment n’avoir plus aucun lieu sûr où se rendre. Le rapport parle d’une fragmentation de la réponse sanitaire, où la fermeture d’un seul service crée un effet domino capable de déstabiliser tout un système local.
Les plus vulnérables face à une crise invisible
Dans ce contexte, les groupes les plus exposés au VIH sont aussi ceux qui subissent le plus durement la crise. Les jeunes femmes en Afrique restent parmi les plus touchées au monde. Chaque jour, des centaines d’entre elles contractent le virus, souvent dans des environnements où l’accès à la prévention et à l’information est limité. La réduction des programmes éducatifs et de soutien, notamment ceux qui offraient un accompagnement psychosocial, une aide scolaire ou des protections contre les violences, a laissé un vide immense. De nombreuses adolescentes qui bénéficiaient d’un encadrement continu se retrouvent aujourd’hui isolées et moins informées sur les risques auxquels elles sont confrontées.
Les populations LGBTQ+ sont aussi particulièrement affectées. Dans un contexte où la stigmatisation et la criminalisation s’accentuent dans plusieurs pays africains, la fermeture de services de santé spécialisés renforce la peur et la méfiance. Beaucoup renoncent au dépistage par crainte d’être identifiés, surveillés ou arrêtés. Le rapport note une augmentation inquiétante des violences, des menaces et des discriminations envers ces communautés depuis la réduction des financements.
Les travailleuses du sexe, souvent en première ligne des programmes de prévention, témoignent également d’un abandon brutal. Sans structures de soutien, sans distribution régulière de préservatifs, et sans médiation communautaire, elles se retrouvent davantage exposées aux risques de transmission. Le manque de suivi, de dépistage et d’accès à la PrEP (Prophylaxie Pré-Exposition, un traitement préventif pour se protéger du VIH) transforme une situation déjà fragile en véritable crise sanitaire.
Une montée des lois répressives qui fragilise la riposte
L’un des constats les plus alarmants du rapport concerne la régression des droits humains. Pour la première fois depuis plus de quinze ans, le nombre de pays adoptant ou renforçant des lois punitive envers les personnes LGBTQ+ ou les minorités de genre est en hausse. Cette tendance touche plusieurs pays africains où les législations deviennent plus sévères et où les actions des organisations communautaires sont restreintes.
Ces décisions ont un impact direct sur la lutte contre le VIH. Lorsque les populations d’un nombre important sont menacées, elles se détournent des services de santé. Elles évitent les lieux de dépistage, renoncent à chercher de l’aide et vivent dans l’angoisse d’être arrêtées ou dénoncées. Le rapport décrit un cycle où ces lois alimentent la peur, la peur alimente la transmission, et la transmission renforce les inégalités.
Les défenseurs des droits humains, les travailleurs communautaires et les associations qui intervenaient auprès de ces publics se retrouvent, eux aussi, dans des situations de danger. Beaucoup ont dû réduire leurs activités, travailler clandestinement ou fermer complètement leurs structures. La réaction en chaîne est évidente : moins de prévention, moins de dépistage, moins de suivi, et donc davantage d’infections.
Une Afrique qui résiste et construit une nouvelle souveraineté sanitaire
Malgré la gravité de la crise, le rapport insiste sur un fait essentiel : l’Afrique ne fait pas que subir. Elle s’organise, repense ses systèmes de santé et accélère un mouvement vers davantage d’autonomie. Ce tournant se manifeste d’abord au niveau politique. L’Union Africaine a adopté de nouvelles orientations en matière de santé publique qui placent la souveraineté et la production locale au cœur de la stratégie continentale. Plusieurs pays ont adopté ou renforcé des plans nationaux visant à réduire leur dépendance aux financements extérieurs.
La fabrication locale de médicaments, de tests diagnostiques et de matériel médical connaît un essor inédit. Grâce à de nouveaux partenariats régionaux et à des financements continentaux, des usines émergent au Kenya, en Afrique du Sud, au Rwanda ou en Égypte. Cette dynamique vise à garantir un accès plus stable aux traitements et à éviter les pénuries répétées.
Parallèlement, de nombreux gouvernements ont décidé d’augmenter leurs contributions nationales à la lutte contre le VIH. Même si ces augmentations restent parfois modestes au regard des besoins, elles témoignent d’un changement de posture. Certains pays ont ainsi pu préserver la continuité de leurs programmes malgré la réduction des financements extérieurs.
Les communautés africaines jouent un rôle central dans cette résilience. Elles ont maintenu leurs activités, parfois de manière bénévole, parfois en développant des solutions locales pour contourner les contraintes. Dans plusieurs régions, des réseaux de pairs éducateurs ont été réactivés pour maintenir un minimum d’accès à la prévention. Des cliniques mobiles ont été mises en place pour rejoindre les zones les plus éloignées. Et dans les grandes villes, de nouvelles formes de solidarité émergent pour soutenir les personnes les plus isolées.
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L’Afrique au rendez-vous du 1er décembre
Cette Journée mondiale de lutte contre le sida marque un moment charnière. Le rapport présenté n’est pas seulement un constat d’échec ou d’inquiétude. Il est aussi un appel à repenser la lutte globale, à redonner aux pays du Sud, et particulièrement à l’Afrique, les moyens de bâtir des systèmes de santé plus souverains et plus durables.
La crise actuelle aurait pu provoquer un effondrement complet de la lutte contre le VIH sur le continent. Elle révèle au contraire une détermination nouvelle, portée par les citoyens, les associations, les chercheurs et les gouvernements africains. L’Afrique ne se contente plus d’attendre le soutien extérieur. Elle construit ses propres solutions. Elle affirme sa volonté de maîtriser son destin sanitaire. Et elle montre que, malgré les ruptures, il est encore possible d’innover, de résister et de transformer la lutte contre le sida.