Soudan : au cœur d’une tragédie qui s’étend, les civils abandonnés au chaos
Le Soudan vit en novembre 2025 l’un des pires épisodes de son histoire contemporaine. Alors que le conflit entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (FSR) continue de s’intensifier, les civils paient un prix exorbitant. Les déplacements massifs, les massacres documentés, l’effondrement des infrastructures vitales et l’absence de financements suffisants transforment la crise soudanaise en une tragédie mondiale.
La prise d’El Fasher par les FSR, après plus de 500 jours de siège, a marqué un tournant militaire décisif, doublé d’un basculement humanitaire dramatique. Aujourd’hui, l’ONU, les ONG et les autorités locales décrivent une situation devenue incontrôlable, où famine, exactions et fuite généralisée ne cessent de s’aggraver.
El Fasher : un siège brisé, une population en fuite
La chute d’El Fasher, le 27 octobre 2025, a provoqué un séisme militaire et humain. Cette ville stratégique du Darfour du Nord, dernier bastion de l’armée dans la région, est tombée aux mains des FSR après un encerclement sans précédent. D’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 90.000 personnes ont fui les violences durant les deux semaines ayant suivi la prise de la ville.
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Amy Pope, directrice générale de l’OIM, présente à Khartoum, décrit une situation « catastrophique » dans un pays déjà ravagé par plus de deux années de guerre civile. Les FSR, milice dirigée par Mohammed Hamdan Daglo, alias « Hemedti », ont été accusées de multiplier les exactions dans les zones nouvellement conquises.
À l’est, dans l’État du Kordofan, l’avancée paramilitaire a entraîné un autre mouvement de fuite : près de 50.000 personnes ont abandonné leurs foyers au cours de la même période. Ces déplacements massifs confirment l’effondrement progressif des lignes militaires régulières et la montée en puissance de la milice paramilitaire.
Violences systématiques : les témoignages d’un cauchemar
Depuis la prise d’El Fasher, un flot de témoignages bouleversants remonte des zones désormais contrôlées par les FSR. L’OIM, les ONG présentes sur place et plusieurs organisations de défense des droits de l’homme évoquent un même tableau : viols collectifs, exécutions arbitraires, assassinats de civils sur place, sans distinction d’âge ou de sexe. Le personnel humanitaire fait également partie des cibles, compliquant davantage l’accès aux populations.
Les habitants cherchant refuge convergent vers Tawila, située à 70 kilomètres d’El Fasher. Cette petite ville, auparavant déjà surchargée, accueille désormais plus de 600.000 déplacés, devenant l’épicentre de la catastrophe humanitaire au Darfour.
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Les preuves des atrocités s’accumulent. Le laboratoire d’observation des droits humains de l’université de Yale a analysé des images satellites confirmant la présence de fosses communes et de zones de destruction massive. Parallèlement, la Cour pénale internationale (CPI) dit craindre un possible génocide, soulignant que les FSR pourraient cibler des populations en raison de leur appartenance ethnique.
Une crise de déplacement hors norme, aggravée par la famine
La guerre au Soudan a déclenché la plus importante crise de déplacement interne au monde. Depuis avril 2023, plus de 10 millions de personnes ont été poussées sur les routes, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. Ce chiffre pourrait être plus élevé encore en novembre 2025, alors que les dernières offensives des FSR ont vidé des villes entières.
Les conditions humanitaires, elles, sont apocalyptiques. Les analyses publiées en novembre 2025 confirment la présence d’une famine dans certaines zones, notamment à El Fasher et à Kadougli, où les populations ont été privées de nourriture durant plus d’un an de siège. Les taux de malnutrition aiguë dépassent parfois 70%, un niveau rarement observé dans un contexte de conflit contemporain.
L’effondrement général des services de santé, d’assainissement et des systèmes d’approvisionnement en eau favorise la propagation de maladies telles que le choléra, la rougeole ou le paludisme. Dans certaines zones, il ne reste plus aucun centre médical opérationnel.
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Financements dérisoires : le cri d’alarme de l’ONU
Alors que les besoins explosent, le financement international, lui, stagne à des niveaux dramatiquement bas. Selon Amy Pope, la réponse humanitaire au Soudan ne bénéficie que de 8% des fonds nécessaires. Une insuffisance qui entrave directement les opérations sur le terrain.
Dans la ville portuaire de Port-Soudan, où une partie des équipes humanitaires se replient, les stocks sont quasi inexistants :
– Moins de 5.000 kits d’assistance disponibles.
– Les 35 dernières tentes distribuées.
– Environ 2.000 tentes bloquées à la douane, sans date de déblocage.
« Vingt tentes ne suffisent pas face à l’ampleur de ce que nous voyons aujourd’hui », déplore Pope, rappelant que les besoins croissent plus vite que les capacités de réponse.
Le chef des opérations humanitaires de l’ONU, Tom Fletcher, a récemment débloqué 20 millions de dollars du Fonds central d’intervention d’urgence afin d’intensifier l’aide à Tawila et au Kordofan. Lors de sa visite, il a rencontré le général Abdel Fattah al-Burhan ainsi que des responsables égyptiens, dans l’espoir de relancer un processus politique. Mais sur le terrain, les humanitaires se heurtent à une autre barrière majeure : l’accès. Les routes sont contrôlées, parfois minées, souvent coupées par les combats.
Soudan : des affrontements éclatent entre l’armée et une milice alliée
Une guerre qui s’enlise et un pouvoir qui refuse la négociation
Sur le plan politique, la situation demeure tout aussi sombre. Le général Al-Burhan, chef de l’armée soudanaise, a rejeté les appels internationaux à la paix. Le gouvernement de transition affirme que les « préparatifs pour la bataille du peuple soudanais » se poursuivent, laissant présager une guerre encore longue.
Les affrontements les plus violents se sont récemment déplacés vers le Nord-Kordofan, notamment autour de la ville d’El-Obeid, où une attaque a fait au moins 40 morts. Les FSR, consolidées par leurs gains au Darfour, cherchent à étendre leur contrôle vers l’est, tandis que l’armée tente de reprendre l’initiative.
Le groupe de médiation internationale connu sous le nom de « Quad » (États-Unis, Égypte, Arabie Saoudite et Émirats arabes unis) travaille sur un plan de sortie de crise, mais sans résultat tangible. La proposition d’un gouvernement de transition excluant Al-Burhan a notamment été rejetée par Khartoum.
La communauté internationale face à l’impasse
Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a appelé les deux camps à « mettre fin à ce cauchemar de violence ». Pour lui, la crise soudanaise est en train de devenir « incontrôlable ». Les organisations humanitaires réclament, elles, des corridors sécurisés, des financements immédiats et la levée des obstacles administratifs, notamment pour l’entrée du matériel d’urgence.
Malgré la gravité de la situation, la réponse mondiale reste fragmentée et insuffisante, laissant des millions de civils pris entre les bombardements, la faim et l’absence de perspectives politiques.
Le Soudan est aujourd’hui au bord de l’effondrement total. Entre les offensives militaires, les déplacements massifs, la famine et l’insuffisance criante de l’aide internationale, le pays vit une tragédie d’une ampleur rarement observée au XXIᵉ siècle.
La chute d’El Fasher n’est pas seulement un tournant militaire : elle symbolise un désastre humanitaire qui s’approfondit chaque jour. Sans un sursaut politique et financier majeur, des millions de Soudanais resteront abandonnés à une guerre qui semble ne pas vouloir finir.
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